jeudi 11 août 2011 - par Michel Santi

L’âge d’or était l’âge où l’or ne régnait pas. Le veau d’or est toujours de boue

A présent que la notation des Etats-Unis vient d’être dégradée – tout au moins par une des agences majeures – et que la dette américaine est en théorie supposée représenter un certain degré de risque, y a-t-il et reste-t-il encore un placement au monde qui en soit dénué ? Cet électrochoc mettra-t-il enfin « les pendules à l’heure » dans les mentalités des investisseurs et des spéculateurs enclines au risque effréné ? La chute de son piédestal du « benchmark » par excellence – à savoir les Bons du Trésor US – ramènera-t-elle une certaine discipline ou un semblant de rigueur au sein de marchés financiers débridés et aux origines de bien des fortunes virtuelles ?

Au demeurant, ce concept même de risque zéro – symbolisé par le prestigieux AAA conféré à un cercle très restreint de pays – est-il défendable même s’il s’agit de dette souveraine, c’est-à-dire d’obligations émises et garanties par des Etats ? S’il est vrai que l’implosion européenne actuelle projette sur le devant de la scène tout en les départageant les dettes souveraines hyper solvables (celle de l’Allemagne ou des Pays-Bas), celles encore solvables (la française) et celles qui se voient contraintes de s’acquitter de taux terriblement rédhibitoires pour lever quelque fonds (Europe périphérique), l’union monétaire européenne avait énormément contribué vers la fin des années 1990 à renforcer cette thèse de l’existence d’un immense marché de la dette souveraine susceptible d’inspirer aux investisseurs une confiance absolue.

Car il fut un temps où les nations dites du « PIIGS » – à gouvernance souvent déficitaire et à faible compétitivité – devaient se résigner à dévaluer massivement leur monnaie nationale tout en réglant (sur leur endettement) des taux d’intérêts beaucoup plus élevés qu’aujourd’hui ! Préalablement à leur intégration européenne, les marchés exigeaient ainsi de ces nations du « Club Med » un tribut nettement plus élevé comme prime de risque pour financer leur train de vie. Ce n’est en effet qu’à la faveur de l’introduction de l’Euro que ces nations, mal aimées des marchés, purent enfin bénéficier de taux aussi avantageux que l’Allemagne qui, elle, avait rudement travaillé, épargné et sacrifié pendant des décennies pour parvenir à ce stade enviable.

Pour autant, ne nous y trompons pas car les marchés et investisseurs ne poussèrent pas la béatitude ou la naïveté jusqu’à anticiper que les pays d’Europe périphérique redresseraient comptes et gouvernance comme par enchantement. En réalité, la fameuse convergence – notamment dans les rendements offerts par les Bons du Trésor de ces nations peu disciplinées ou tout simplement peu compétitives – fut uniquement possible et réalisable en vertu du principe (qui s’est avéré par la suite juste) que celles de ces nations qui se trouveraient en situation financière périlleuse seraient secourues par le reste du bloc européen. L’abolition des monnaies nationales et la centralisation de la politique monétaire à Francfort achevèrent de supprimer toute pression adverse habituellement exercée par les investisseurs sur les économies et les finances publiques des nations à la traîne, lesquelles nations se persuadèrent qu’elles vivaient et évoluaient dans une bulle hermétique dont le territoire serait âprement défendu par la BCE…

La conséquence quasi naturelle de ce sentiment d’invulnérabilité se traduisit en des endettements et en des déficits massifs de la part de pays strictement pas en état de rembourser leurs engagements, parfois pas même les intérêts sur ces mêmes engagements. Pour autant, n’accusons pas seulement l’Union Européenne et l’avènement de sa monnaie unique de cette euphorie ayant éradiqué toute notion de risque de la surface de la planète. En réalité, ce sentiment grisant de toute puissance – selon lequel rien de très mal ne pouvait arriver et que, en définitive, la prise de risque serait en toute circonstance bien rémunérée – fut global et devait prédominer même auprès des Banquiers Centraux, pourtant ultimes gardiens du temple… C’est ainsi que de la fameuse politique Greenspanienne -consistant à ne surtout pas lésiner à réduire abruptement les taux d’intérêts- aux agences de notation qui s’auto persuadèrent que les subprimes méritaient bien leur AAA, rien ne semblait plus devoir se mettre en travers de la croissance infinie et de l’appréciation ininterrompue des marchés financiers.

En finalité, le seul risque était de ne pas oser prendre de risques !

Aujourd’hui, le charme est définitivement rompu et la dégradation de la note américaine sonne ce qui sera probablement un sauve qui peut généralisé, quoique graduel, hors des actifs à risque. Pourtant – et n’en doutez pas ! – cette aversion au risque favorisera paradoxalement … les Bons du Trésor US dont les rendements n’augmenteront assurément pas suite à cette perte de leur AAA. Eh oui, les choses sont ainsi faites que, quoiqu’il arrive, le « privilège exorbitant » des Etats-Unis – qui disposent du monumental levier de première devise de réserves au monde – est amené à pérenniser cette pyramide de Ponzi de la dette publique américaine qui attire encore et toujours l’épargne globale. Et les menaces des autorités chinoises n’y changeront rien car elles continueront à être friandes des T-Bonds aussi longtemps que leur pays bénéficiera d’un excédent commercial – très majoritairement libellé en monnaie américaine – qui aura donc impérativement besoin d’être recyclé aux Etats-Unis.

Conclusion : une nouvelle ère de grande frilosité et de salutaire frugalité semble devant nous même si le grand déclencheur de ce nouveau paradigme – à savoir la dégradation de la notation américaine – déroulera ses effets pervers principalement au détriment des dettes souveraines occidentales à l’exclusion cependant de celle des Etats-Unis d’Amérique, nation par qui le scandale arrive… Jusqu’à ce que, bien-sûr, l’ensemble de l’édifice vienne à s’effondrer, ce qui n’est vraiment pas souhaitable.



16 réactions


  • Gabriel Gabriel 11 août 2011 11:15

    Le veau d’or n’a jamais cessé de régner cher ami et, de par votre métier, vous en êtes un serviteur et un adorateur assidu. Les boues  financières qui submergent les peuples aujourd’hui jusqu’à les étouffer sont le fait de vos propres déjections. Vous dites qu’il n’est pas souhaitable que l’édifice s’écroule, sans doute voudriez vous en profiter encore, hélas pour vous mais la cupidité, l’avidité et l’âpreté aux gains des congénères de votre clan ont  sapé les fondations de nos sociétés dont l’équilibre était basé sur la solidarité, la fraternité et l’égalité. La consolation que nous pouvons en tirer Monsieur le conseilleur, c’est que vous ne maîtrisez plus rien et que vous serez, vous les spéculateurs, ensevelis sous vos propres déchets. Quel gâchis ! 


  • lechoux 11 août 2011 11:37

    Vous voilà locace Mr Santi !! C’est le mois d’août et tout le monde s’en faoût !


    • Michel Santi Michel Santi 11 août 2011 13:54

      oui vous avez raison lechoux : quand je vois la réaction de l’individu qui vous précède, je me demande si ça vaut encore la peine que j’écrive pour des gens qui prennent plaisir à m’insulter...


    • Gabriel Gabriel 11 août 2011 15:09

      Veuillez m’excuser Monsieur Santi, il est vrai que le spéculateur et le trader que vous êtes, tout comme vos congénères, n’ont rien à se reprocher et ne sont en rien responsable de la situation actuelle. Si vous compreniez ce que vous lisez aussi bien que vous comptez, vous vous apercevrez que Monsieur Santi n’a pas été insulté mais uniquement son activité et les résultats qui en sont issus. Par contre, il est vrai cependant, que vos bons conseils d’expert financier, que vous venez dispenser si généreusement sur ce site, me porte le cœur lèvre, et quelques relents de bile, face à la certitude des gens de votre clan, m’agressent l’appareil digestif. « La grandeur chez un homme c’est sa faculté à se remettre en question » Petite citation en cadeau pour les gens de votre corporation. 


    • lechoux 11 août 2011 20:57

      Ce que je vous reproche, en ce qui me concerne, c’est d’avoir fait acte de présence quelques fois sur le site, c’est à dire que vos articles étaient faits sur le coin du bureau, alors que vous avez la compétence et l’expertise qui m’a beaucoup servi pour comprendre la crise. J’ai donc supposé que votre emploi du temps du mois d’août vous a permis d’être plus sérieux.

      En ce qui concerne ceux qui vous insultent, laissez-les créer leur monde, leurs ennemis, leurs monstres, leur paradis. La schizophrénie se soigne bien de nos jours, ne soyez pas inquiet.

      Et selon Sun Tzu : « Rassures ton ennemis, laisse le croire qu’il est le plus fort ».

      Bien à vous.


  • Pyrathome Pyrathome 11 août 2011 12:39

    Jusqu’à ce que, bien-sûr, l’ensemble de l’édifice vienne à s’effondrer, ce qui n’est vraiment pas souhaitable.

    Oh que si c’est souhaitable !! ....vous venez bougonner tous les jours votre haine du système mais vous redoutez que celui-ci implose ?
    N’allez pas peur, tout le monde ne s’en portera que mieux après le trépas des vampires quitte à leur enfoncer un pieu dans le cœur et les ensevelir sous une montagne d’ail pour les faire crever plus vite ces vermines....


    • asterix asterix 11 août 2011 14:11

      Un peu vite dit, Pyrathome. Qu’on soit d’accord avec lui ou pas, reconnaissons à Mr Santi le courage de contester au moins les contours de ce dont il vit.
      L’effondrement que tu estimes souhaitable, tu vas le remplacer par quoi ?
      Beh oui : par quoi ?
      Je t’écoute... A part faire trépasser les vampires, que proposes-tu ?
       


    • Pyrathome Pyrathome 11 août 2011 14:40

      L’effondrement que tu estimes souhaitable, tu vas le remplacer par quoi ?

      Par le bon sens et l’honnêteté, les entreprises et particuliers sont pris en otages par ces terroristes de banquiers, et vous aimeriez continuer ainsi ?
      Il n’y a aucun mal à faire beaucoup mieux que ces enfoirés qui tiennent tout le monde à la gorge, le mur de Berlin et le communisme soviétique se sont écroulés, place maintenant à l’écroulement du capitalisme et de la chute du mur dollar....
      Une nouvelle ère doit commencer en tenant compte de l’avis de tout un chacun et surtout pas d’une poignée d’oligarques qui dictent ses volontés au plus grand monde....
      Il faut briser ses chaines et la créativité s’épanouira dans le respect de la nature, de la faune et de chacun d’entre-nous....
      Mais avant tout ça, un Nuremberg 2.0 doit avoir lieu pour juger et châtier la vermine qui manigancent depuis bien trop longtemps dans l’ombre....
      J’aime bien Michel Santi, il a compris un peu tardivement certes le jeu malsain du système, mais à part ronchonner tous les jours ici, il ne propose pas grand chose de différent, moraliser le capitalisme, c’est comme demander au tigre de faire « coucouche et donner la patte », c’est absurde et mensonger, le capitalisme se nourrit exclusivement de la misère du plus grand monde, c’est un système criminel encore pire que le système stalinien ou Hitlérien....la démocratie actuelle, c’est juste une facade pour cacher le néant, mais en fait un totalitarisme qui n’ose avouer son nom...


  • oj 11 août 2011 16:27

    je ne pense pas que l’on puisse modifier le paradigme de la civilisation par une reflexion concertée et une action paisible

    L’histoire nous montre que les changements de paradigme se font par un chambardement.

    nous ne savons pas pas gérer la complexité dans le chaos.

    toutes les constructions humaines se crashent : centrales nucléaires, avions, trains, voitures, ponts, immeubles, programmes informatiques.....

    Quand un conducteur estime que le véhicule en face double dangereusement, il est rare qu’il decide de lui-meme de se jeter dans le fossé pour eviter un possible accident car dans ce cas il SAIT qu’il perd le bénéfice de l’assurance , risque d’etre bléssé et que le chauffard risque tout gagner grace a lui.

    Son reflexe est d’ESPERER que cela passera et si ce n’est pas le cas, son bon droit sera alors sans doute reconnu dans l’analyse de l’accident et pour cela il doit prendre le risque du choc et des blessure : surréaliste réalité !

     


    • lechoux 11 août 2011 21:03

      Si je peux me permettre, pourriez-vous me dire quand prenez-vous votre voiture et quel itinéraire vous comptez prendre ?


  • Piotrek Piotrek 11 août 2011 16:35

    Franchement, même si les méthodes de calculs diffèrent, je me demande si à terme les notes vont ressembler à celles de l’agence de notation Dagong

    http://www.dagongcredit.com/dagongweb/english/pr/show.php?id=104&table=web_e_zxzx

    Les chinois sont bien les plus aptes à rembourser quoique ce soit, n’est ce pas ?

    Quant au sentiment d’invulnérabilité, c’est d’une part dû à la difficulté de l’homme de prévoir ou d’accpeter quelque chose de différent de ce qu’il a pu observer (l’effet black swan) et d’une autre facilité par la dilution de responsabilités sur des biens « publics »

    Enfin, n’ecoutez pas les sentimentalistes, vos articles sont toujours intéressants smiley


    • lechoux 12 août 2011 16:06

      « Il n’y a pas de plaisir plus subtil que d’être traité de con par un abruti. »

      J’applaudis des deux mains et des deux pieds, ainsi que des oreilles, possible aussi des baloches !! :)))


  • lechoux 11 août 2011 21:11

    « pendant que l’Allemagne bossait, elle ? » qui soudoie les acheteurs pour vendre sa production hors de prix en dehors de la zone euro, qui vend des voitures de haute qualité, bien conçues, solides, au prix des voitures françaises et qui ne voie pas sa monnaie se renchérir puisque c’est l’ensemble de la zone euro qui absorbe son succès.

    Ah, j’oubliais : du fait de sa nature pragmatique, le Deutchmark a une particularité : c’est la seule monnaie du panier de monnaies, qui ont formé l’euro, qui a un rapport entier avec l’euro ; pour être sûr que vous ayez bien compris : 1 euro = 2 DM.


  • easy easy 12 août 2011 08:30

    @ Michel Santi

    Merci pour cet exposé qui comporte des points de vue à la fois originaux et pertinents


  • Garnier Denis Gardarist 12 août 2011 08:52

    Un bon complément

     


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