vendredi 13 novembre 2009 - par Michel Santi

L’indépendance en question des Banques Centrales…

Comment sortir de la politique monétaire des taux zéro ? Telle est aujourd’hui la question fondamentale qui préoccupe les principales Banques Centrales à travers le monde avec, bien-sûr, des approches divergentes. En effet, pendant que la Réserve Fédérale US passe en revue les modalités techniques d’un virage dont elle précise qu’il ne sera pour demain, la BCE penche pour une sortie rapide de cette politique hyper expansionniste en opposition radicale avec une Banque du Japon qui, résignée à ce type de politique monétaire, s’attend à cinq années supplémentaires de taux d’intérêts nuls... 

Bulles et inflation seront quoiqu’il arrive au menu des réjouissances dans le monde de demain car, les politiques monétaires de nos pays industrialisés et de nos économies développées ayant tendance à être appliquées de manière asymétriques, l’expérience démontre que les Banques Centrales réduisent les taux d’intérêts afin de relancer les exportations lorsque leur devise nationale s’apprécie mais ne parviennent que très péniblement à relever ces mêmes taux dès lors que leur monnaie baisse. A l’évidence génératrice de bulles, cette déficience quasi généralisée des Banques Centrales majeures de ce monde ayant été malencontreusement inaugurée dans les années 80 dans un pays - le Japon - qui s’est par la suite retrouvé totalement à court de munition ( c’est-à-dire dans l’incapacité de réduire des taux qui étaient déjà à zéro ! ) à l’occasion de la crise Asiatique des années 1997/1998. Au demeurant, Greenspan qui, en réduisant agressivement les taux Américains et en hésitant longtemps avant de les remonter, n’a pas agi autrement vis-à-vis de marchés financiers ayant accueilli ces tergiversations avec des fièvres d’ "exubérances irrationnelles" !
 
En réalité, cette politique quasi endémique de taux maintenus structurellement très bas met à terme sérieusement en danger le niveau de productivité d’un pays avec, à la clé, des conséquences néfastes sur la croissance. Ces politiques accommodantes - pour paraphraser Hayek - permettent certes d’éviter la panique mais les dépenses et stimuli Etatiques massifs qui en sont toujours l’épiphénomène - inondant indifféremment et sans distinction l’ensemble des secteurs de l’activité économique - sont susceptibles de niveler par le bas la compétitivité et la productivité du fait de liquidités mal ciblées. Leur interprétation tronquée - ou démagogique - de la science macro économique autorise aujourd’hui nos autorités monétaires à négliger les allocations d’actifs - pourtant fondamentales - des liquidités qu’ils distribuent si généreusement dans le seul but d’améliorer de manière cosmétique les chiffres d’un P.I.B. qui ne reflète pratiquement plus aucune réalité économique.
 
Par ailleurs, il y a fort à parier que la croissance économique imputable aux subsides Gouvernementales ne puisse se perpétuer en cas d’interruption de stimuli qui se logent dans des secteurs peu compétitifs ... et ce dans un contexte à venir qui ne manquera pas d’être chargé en terme d’augmentations d’impôts ( afin de résorber au moins en partie les déficits gigantesques ) qui exerceront immanquablement une pression baissière sur ce même P.I.B. ? On comprend mieux comment ces autorités économiques et monétaires tombent dès lors dans leur propre piège car incapables de remonter des taux d’intérêts qui ne manqueront pas d’achever les secteurs d’activité peu sains ayant survécu de la charité des deniers publics tout en faisant exploser ça et là des bulles !
 
Sans négliger que ce raffermissement de politique monétaire aura des conséquences potentiellement catastrophiques sur le financement de l’endettement public : En effet, un Etat aura très clairement d’autant plus tendance à conserver ses propres taux d’intérêts très bas aussi longtemps qu’il subit des déficits publics élevés. Le Japon de la fin des années 90 n’a-t-il pas ainsi été contraint de maintenir ses taux à zéro à cause d’un endettement public - dépassant 200% de son P.I.B. - qu’il souhaitait garder sous contrôle ?
 
L’indépendance des Banques Centrales est donc très largement surestimée dans une conjoncture où, en bons soldats, elles se doivent de soutenir leur Gouvernement dans la monétisation de sa dette et donc dans l’application de sa politique économique. Du reste, la Banque du Japon n’avait-elle pas fini par être tout bonnement reléguée comme une des multiples agences Gouvernementales dans le courant des années 90 ? De même, et en dépit des prétentions hiératiques de M. Trichet, la BCE ne pourra à l’évidence que très difficilement remonter ses taux si l’Euro reste à ces niveaux, voire s’apprécie davantage... Le jeu et le calcul politique resteront donc au coeur des politiques monétaires de nos pays modernes et les dirigeants privilégieront toujours systématiquement les mesures expansionnistes, à court terme fort opportunes, au détriment des réformes de fond. La voie est ainsi toujours grande ouverte aux futures bulles spéculatives.
 


16 réactions


  • wawa wawa 13 novembre 2009 10:44

    "Le jeu et le calcul politique resteront donc au coeur des politiques monétaires de nos pays modernes et les dirigeants privilégieront toujours systématiquement les mesures expansionnistes, à court terme fort opportunes, au détriment des réformes de fond. La voie est ainsi toujours grande ouverte aux futures bulles spéculatives.« 

    Ce qui veut dire que l’on assistera pas à une calme descente des économies occidentales, mais que les déséquilibres se réduiront brusquement, En clair par des »krack". voilà qui augure mal de la suite...
    les krack ne laissant guère aux gens le temps de s’adapter.

    On peut en dire autant de la reponse face aux déséquilibres écologiques, ce ne sera pas une lente adaptation mais une brusque diminution de l’empreinte écologique globale (krach ecolo ?) qui nous attends, par la famine, la guerre ou le génocide !

    Ce doit être le talon d’achille des systèmes démocratiques


    • plancherDesVaches 13 novembre 2009 11:49

      Démocratiques... ??? Si la Démocratie existait encore, cela se saurait.

      Talon d’achille des systèmes de prédation financière, là, oui.
      Mais... laissons-les aller encore un peu plus loin. Ils ont juste commencé à s’échauffer, là.


  • plancherDesVaches 13 novembre 2009 12:00

    « L’indépendance des Banques Centrales est donc très largement surestimée dans une conjoncture »
    Elles sont effectivement « coincées ».
    Mais peuvent aussi garder une attitude identique à celle du Japon pendant des décennies.
    L’endettement « officiel » de la FED n’est que de 370% du PIB américain, aprés tout.... Ils peuvent faire mieux.


  • lechoux 13 novembre 2009 13:34

    « En effet, un Etat aura très clairement d’autant plus tendance à conserver ses propres taux d’intérêts très bas aussi longtemps qu’il subit des déficits publics élevés. Le Japon de la fin des années 90 n’a-t-il pas ainsi été contraint de maintenir ses taux à zéro à cause d’un endettement public - dépassant 200% de son P.I.B. - qu’il souhaitait garder sous contrôle ? »
    Pourriez-vous développer et expliquer le mécanisme ? Puisque les taux d’intérêts conditionnent les prêts aux acteurs économiques, comment cela se répercute-il sur les déficits publics ? Et cela paye-t-il pour le Japon puisqu’il est dans ce cas-là depuis une décennie ? Si cela marchait, cela se vérifierait pour le Japon.

     
    « De même, et en dépit des prétentions hiératiques de M. Trichet, la BCE ne pourra à l’évidence que très difficilement remonter ses taux si l’Euro reste à ces niveaux, voire s’apprécie davantage...  »
    Je crois plutôt que Monsieur Trichet et sa bande obéit au dikta américain d’aligner ses taux sur ceux de la FED, car si la BCE avait maintenu ses taux à 3 ou 4 %, nous aurions déjà un change à 2 dollars pour 1 euro.

    • Michel Santi Michel Santi 13 novembre 2009 14:57

      Un pays lourdement endetté ne peut se permettre de monter ses taux d’intérêts car il se condamnerait à payer plus d’intérêts sur ses propres dettes. A condition bien-sûr que ses dettes soient libellées dans sa devise. Exemple : la dette publique Japonaise étant en Yens, remonter les taux japonais revenait à alourdir la charge de la dette... Un pays comme l’Indonésie par exemple peut remonter ses taux autant qu’elle le voudra sans payer plus d’intérêts car sa dette n’est pas en Roupie mais en Dollars... Autrement dit, seuls les pays « développés » ayant leur propre marché obligataire liquide sont concernés.


    • plancherDesVaches 13 novembre 2009 15:47

      Dés lors, Monsieur Santi, peut-on penser que tous les pays qui ont leur dette émise en dollars ont tout intérêt à le voir chuter... ???
      (telle l’Allemagne)


    • lechoux 13 novembre 2009 17:39

      Désolé, je ne comprends toujours pas le mécanisme. Comment un taux d’intérêt d’aujourd’hui impact des dettes antérieures à ce nouveau taux ?


    • Michel Santi Michel Santi 13 novembre 2009 18:12

      Lechoux : le taux d’intérêt payable sur une dette souveraine est rarement figé : il évolue au gré du marché...


    • Michel Santi Michel Santi 13 novembre 2009 18:16

      Plancher : oui les pays endettés en dollars ont tout intérêt à ce qu’il se casse la g... SAUF si les taux Dollars montent pour freiner cette chute alors on se retrouve dans le cas de figure explicité à Lechoux et SAUF si l’économie est Dollarisée car à ce moment la baisse du Dollar serait sans effet...

      ( J’ignorais que l’Allemagne était endettée en Dollars ?? En êtes-vous sûr ? )


    • lechoux 14 novembre 2009 15:04

      Merci pour votre réponse. Ainsi, dites-moi si je me trompes :

      1 - Les nouveaux emprunts d’état à un taux faible servent à rembourser les précédants contractés à un taux plus élevé ? Et payent-ils des frais de remboursement anticipés, comme les citoyens en fait ?

      2 - Il y a un montant d’emprunt courant sur lequel s’applique le taux du jour ?

      3 - Il y a une co-existance entre les divers emprunts contractés ?

      [Cliquez sur la bonne réponse] :)


    • Michel Santi Michel Santi 15 novembre 2009 16:55

      Les emprunts d’Etat doivent être régulièrement renouvelés (roll over) et ce au taux du marché et par ailleurs un Etat lance régulièrement de nouveaux emprunts : Donc ces opérations sont forcément effectuées au taux du jour et reviennent plus cher si les taux sont sur une pente ascendante


    • lechoux 17 novembre 2009 15:18

      J’en conclu que les pays sont friands de crédit revolving !! :)


  • lechoux 13 novembre 2009 13:35

    En apparté, avez-vous entendu parlé du Sucre, la nouvelle monnaie Sud-Américaine ?


  • Le péripate Le péripate 14 novembre 2009 08:55

    Un économiste hétérodoxe (comprendre de gauche) a même préconisé des taux d’intérêts négatifs ! 
    Au secours, ils sont fous.....

    Sinon, il y a cette enquête de deux économistes sur les opinions des économistes français. Surprise, ils sont majoritairement à gauche. Sans blague !


  • Daniel Roux Daniel Roux 15 novembre 2009 19:12

    Extrait de Wikipédia
    Le carry trade ou l’opération spéculative sur écart de rendement[1] est une technique financière très employée sur le Forex, et qui consiste à profiter des écarts de rendement entre différents types d’actifs. Les acteurs qui ont recours au carry trade sont nombreux : institutionnels d’une part (Hedge funds, Etats) et privés d’autre part (entreprises, spéculateurs). La finalité du carry trade est de jouer sur un différentiel de taux d’intérêt entre deux pays, et donc entre deux devises : le principe de base du carry trade est donc de s’endetter dans une devise à faible taux d’intérêt et à placer ces fonds empruntés dans une autre devise à taux d’intérêt plus fort.

    Inutile de se demander où passe l’argent que les banques devraient consacrer aux crédits d’investissements. Pourquoi prêter quand on peut gagner beaucoup plus en spéculant.

    Les gouvernements leur ont donné le feu vert en venant à leur secours avec l’argent des contribuables et de l’endettement public. Le risque de faillite n’existe pas alors pourquoi s’en faire ? A la santé des contribuable !! Hic !!! Jusqu’au prochain crash qui détruira encore un peu plus nos sociétés déjà chancelantes.

    Totales irresponsabilités partagées par tous les acteurs y compris et surtout les élus.

    On aimerait que les opposants s’opposent sur des sujets réels et sérieux comme celui là et proposent par exemple, la création d’une Banque nationale d’investissements et de prêts ou le re nationalisation de la BNP par exemple.


  • BA 16 novembre 2009 00:47

    LEAP/E2020 est une entreprise de prospective. LEAP/E2020 vient de diffuser son dernier bulletin de prévision le 15 novembre 2009.

    Lisez cet article exceptionnel :

    «  Les Etats face aux trois options brutales de 2010  : inflation, forte pression fiscale, ou cessation de paiement.

    Comme anticipé par LEAP/E2020 en Février dernier, faute de refonte majeure du système monétaire international, le monde est bien en train d’entrer actuellement dans la phase de dislocation géopolitique mondiale de la crise systémique globale. Pour l’année 2010, sur fond de dépression économique et sociale, et de protectionnisme accru, cette évolution va ainsi condamner un grand nombre d’Etats à choisir entre trois options brutales, à savoir  : l’inflation, la forte hausse de la pression fiscale, ou la cessation de paiement.

    http://www.europe2020.org/spip.php?article625&lang=fr


Réagir