mardi 29 mai 2007 - par Michel Monette

La Banque mondiale est devenue le « parrain » du développement

L’adjoint du secrétaire américain au Trésor a déclaré récemment que « la tradition » d’avoir un Américain à la tête de la Banque mondiale avait bien servi le monde. Pourtant, les difficultés s’accumulent année après année. Mais ce n’est pas le fait d’avoir ou non un Américain qui va changer le vice de fonctionnement fondamental de la Banque mondiale. Se pourrait-il d’ailleurs que la véritable crainte de son personnel envers Wolfowitz ait été de perdre le monopole intellectuel qu’ils exercent sur le développement ? C’est une hypothèse qui mériterait d’être fouillée.

Peu importe qui sera le successeur de Paul Wolfowitz, la première tâche à laquelle il devra s’atteler est de la recentrer sur sa véritable mission : fournir des fonds qui permettront aux pays en développement de se doter des infrastructures qui leur manquent cruellement : routes, voies ferrées, ports, production et transport de l’électricité, hôpitaux, écoles... Pour le reste, la BM devrait faire le grand ménage et réduire considérablement son personnel.

La Banque mondiale est « le laboratoire d’idées sur le développement le plus important au monde, produisant des rapports et des données sur de nombreux sujets », écrivaient en 2002 Alex Wilks et Fabien Lefrançois du Bretton Woods Project dans Le savoir de la Banque : science infuse ou vrai débat). Au bout du compte, ce sont les analystes de la BM qui déterminent les politiques de réduction de la pauvreté, le nouvel objectif de l’institution financière internationale depuis les années 1990.

Avec cette mainmise de la Banque mondiale sur les idées à la base des choix politiques et administratifs dans les pays où elle intervient, l’aide est devenue très technocratique. Une véritable armée de consultants et de conseillers a littéralement pris d’assaut les gouvernements et les groupes de la société civile de ces pays.

La nouvelle coqueluche des institutions financières internationales et des principaux pays donateurs, la Stratégie de réduction de la pauvreté (SRP) est ainsi une coquille vide dans laquelle les experts de la Banque mondiale finissent toujours par mettre ce qu’ils veulent. Il ne faut pas s’étonner que cette stratégie soit reçue avec si peu de satisfaction dans les pays concernés.

En fait, la Banque mondiale est devenue si puissante grâce à son réseau d’officiels, de journalistes et de contacts universitaires, soutiennent Wilks et Lefrançois, qu’elle remporte facilement la bataille des idées même là où elle ne prête pas.

Là ou elle prête, ses conseils deviennent l’équivalent de ceux qu’un parrain de la mafia prodigue à un ami : impossible de les refuser.

La Banque se substitue aux autorités politiques qu’elle prend en otage. Envers les groupes de la société civile, sa méthode est plus subtile. Elle les « accompagne » lors des consultations sur les SRP. Encore là, elle se mêle de ce qui ne la regarde pas.

Non seulement l’autonomie décisionnelle des pays qui reçoivent son aide est-elle le cadet de ses soucis, mais en plus son parti pris intellectuel « l’a souvent menée à faire de graves erreurs de prévision », écrivaient Wilks et Lefrançois.

Assisterons-nous à une ère nouvelle avec le successeur de Wolfowitz ? Ça serait la meilleure chose qui puisse arriver pour commencer à briser le monopole intellectuel du Nord sur le développement.



5 réactions


  • 29 mai 2007 13:24

    Etonnant Tous les pays ayant eu à bénéficier de l’aide de la BM se plaignent et maintenant l’Amérique du Sud vient de créer sa propre banque et veut y attirer les pays en voie de développement et propose à l’Afrique de se « greffer ». La toute puissance de la technocratie...... en perte de vitesse car plus adaptée à l’évolution du monde.


    • 29 mai 2007 13:57

      L’article récent d’Antoine Reverchon (Le Monde) dont j’ai pris connaissance après coup, explique bien le réalignement actuel qui pourrait changer la donne en faveur des banques régionales de développement. Ce réalignement explique peut-être, justement, que la Banque mondiale ait autant gonflé son rôle de Banque du savoir, perdant du terrain en ce qui concerne son rôle de prêteur.

      Antoine Reverchon. Trois scénarios pour rénover le système financier mondial.


  • finael 29 mai 2007 13:42

    Il suffit de lire l’ouvrage de Joseph E. Stiglitz (ex co-président de la Banque Mondiale, ex conseiller de Bill Clinton et prix « nobel » d’économie) pour constater, de l’intérieur, ce qu’a été l’action de la Banque Mondiale et quelles en ont été les conséquences pour les pays où elle a sévi.

    Il est tout aussi important de noter le rôle du FMI.

    Comme l’explique très bien Joseph Stiglitz, non seulement la BM et le FMI ont été dès le début des repaires pour intégristes de l’ultra-libéralisme, mais leur principal souci a été de faire gagner un maximum d’argent aux gros investisseurs privés aux dépends des peuples qu’ils étaient censés « aider ».

    Ceci dit, certains pays ont refusé de se plier à leurs règles - que les USA eux-mêmes ne respectent en rien, et ces pays : Japon, Corée du Sud, ... ont connu des croissances spectaculaires.


    • 29 mai 2007 14:02

      Voilà bien pourquoi il faut empêcher la Banque mondiale de donner des leçons de développement économique et social. Ce ne devrait pas être son rôle.


  • 29 mai 2007 23:08

    La création d’une banque de dévellopement au mercosur est une bonne chose pour tous les pays d’amérique latine et un nouveau signe du déclin de l’empire américain .Ceci étant on risque de voir ressurgir les vieux démons de la CIA (déstabilisation ,coup d’état etc .. ) car il serait étonnant de voir les US perdre leur leadership sans réagir ... Il leur faudra bien essayer de prouver que rien ne fonctionne en dehors du néoliberalisme .


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