samedi 29 juin 2013 - par Yannick Harrel

La politique industrielle allemande : un modèle d’efficacité solidaire

 
Brabus, Alpina, RUF, Irmscher ? Qu'ont en commun ces quatre sociétés ?
La première d'être allemandes, la seconde d'être des préparateurs automobiles et la troisième d'être des constructeurs indépendants.
 
En effet, RUF, préparateur de Porsche, Alpina s'occupant de BMW, Brabus travaillant sur des modèles Mercedes et Irmscher très lié à Opel n'en sont pas moins indépendants des constructeurs dont ils sont patentés. Pourquoi les prendre en exemple ? Parce qu'ils sont emblématiques d'une synergie entre grosses pointures du secteur et structures plus modestes (en taille, ce qui ne gage en rien leur capacité technique). Ces quatre entités ont commencé par graviter dans l'orbite de ces grandes groupes avant de prendre leur envol une fois leur chiffre d'affaires et carnet de clientèle assurée et potentielle consolidés. Loin de les écraser afin d'empêcher ou limiter une concurrence future, les constructeurs automobiles historiques appuyèrent ou a minima continuèrent de faire appel à leur service sans tenter d'entraver leur essor. Une mentalité qui en d'autres pays tendrait vers l'exotique...
 
Or le monde industriel français est frappé d'un manque de cohésion coupable, du dédain du pouvoir comme par les grands groupes envers ces PME, souvent valeureuses et innovantes et d'un manque d'attention de la part d'organismes professionnels censés les assister dont l'entrelacs de compétences et le saupoudrage d'aides n'aident en rien. C'est tout autant une culture qu'une stratégie globale qui repose sur une compréhension que les structures les plus solides font office de brise-glace du commerce extérieur. Si l'on prend le cas français, le Président de la République s'est mué au fil des dernières décennies en VRP de luxe, ce qui pose un premier problème qui mériterait un article complémentaire, et ce dernier s'affaire à emmener en son sillage une majorité de responsables de groupes membres du CAC40 (les sociétés françaises les mieux cotées en bourse). C'est à la fois injurieux pour les entreprises qui ne font pas appel à une importante capitalisation extérieure comme celles qui sont absentes de toute cotation et dédaigneux puisque privilégiant le quantitatif au détriment du qualitatif (le plus gros chiffre d'affaires l'emportant sans prise de considération de l'impact symbolique et/ou technologique de sociétés plus modestes). En outre, la variable d'ajustement des plus grandes entreprises lors de toute crise est souvent de pressuriser les sous-traitants, c'est à dire les petites entités gravitant autour de leur sphère d'activité.
 
En Allemagne l'on évoque moins la notion de compétitivité puisqu'elle est inhérente au made in germany. Ainsi la qualité de la production allemande puise ses sources à la fois dans une réalité, un savoir-faire, et une labellisation issue de ce travail des esprits par les sociétés allemandes reposant sur un socle solide.
 
Malmené, écorné, le modèle rhénan industriel n'en perdure pas moins avec ses caractéristiques les plus essentielles :
  • capitaux entre les mains de la même famille depuis la création de la société
  • concertation avec les différents acteurs, étatiques et sociaux
  • implication dans les oeuvres sociales, mâtinée de paternalisme
  • sens de l'entreprise dans la défense de la marque et de ses traditions
 
Quoi d'étonnant à trouver les très catholiques länder du Bade-Wurtemberg et de la Bavière comme étant les régions de la République Fédérale Allemande les plus dynamiques puisqu'elles ont appliqué de manière très poussée ce modèle ? Appuyées par les Konzern, ces puissantes associations d'entreprises (à l'instar des Keiretsu japonaises) qui reposent sur une intégration sectorielle, un esprit entreprenarial familial et un appui bancaire (plus simple à obtenir lorsqu'il est formulé par plusieurs entités se portant garantes les unes pour les autres).
 
Autre facilité : le réalisme allemand qui prévaut dans les sphères de dirigeance là où en France la méconnaissance du monde de l'entreprise aboutit le plus souvent à des mesures législatives retorses, iniques et inappropriées. La faute aussi il est vrai à une moindre représentativité du secteur privé dans les travées des assemblées. D'où de sempiternelles relances quant à la question des charges patronales et sociales depuis des décennies, de l'édiction de mesures toujours temporaires et instables et au final à un dénigrement et à un lestage concourrant partiellement à une chute de la balance commerciale extérieure (couplée notamment à l'absence de politique industrielle rationnelle et suivie au plan national).
 
 La France a une approche plus, disons colbertiste, de l'économie. Ce qui au fond correspond à son approche et à la prégnance du fait étatique en ce pays (sans l'État, la France n'est rien, ou plutôt serait une constellation de territoires épars voués à se séparer les uns et les autres pour rejoindre des sphères d'influence diverses). En revanche, cette force est aussi une faiblesse lorsque la machinerie se grippe, et que l'intérêt supérieur, c'est à dire public, se dilue dans la multitude d'intérêts privés de ceux qui ont à charge de gérer les affaires de l'État. Sans compter leur porosité à des corporations ayant une assise financière plus que respectable et un état d'esprit parfois délétère, comme on a pu le constater avec la question de l'auto-entreprise en France où le lobby de l'artisanat a préféré oeuvrer pour détruire un système qui fonctionnait et dopait la création d'entreprises plutôt que de réclamer un alignement de ce régime pour ses membres : une position mortifère qui n'aurait jamais eu lieu en Allemagne où la solidarité entreprenariale est aussi une nécessité nationale suivie de près par le pouvoir politique. Cet exemple a surtout confirmé la méconnaissance profonde du monde de l'entreprise par les personnalités françaises au pouvoir chargés d'arbitrer quant au devenir de centaines de milliers d'individus, et ce malgré la remise de rapports circonstanciés et prudents par deux organismes indépendants (l'Inspection Générale des Finances et l'Inspection Générale des Affaires Sociales). Une fois encore, un colbertisme version next-gen n'impose pas de retirer à l'un pour aider l'autre mais de favoriser l'un pour qu'il arrive au niveau de l'autre et qu'il contribue à la richesse nationale.
 
Ce que l'exemple décrit en début d'article signifie, c'est que l'union fait la force, surtout lorsqu'elle est alimentée par la complémentarité et l'appui ascensionnel. Sans être parfaite, la stratégie d'imbrication, voire de pénétration des marchés extérieurs, des géants allemands, portent ses fruits depuis plusieurs décennies. Ce qui était le viatique pour le renouveau d'une Allemagne apaisée avec ses voisins sous la férule et l'appui du ministre de l'économie puis chancelier Ludwig Erhard (1897-1977) est devenu le symbole et la clef d'une réussite nationale, qui ne saurait cependant occulter des déficiences structurelles souvent peu traitées lorsqu'il est question du miracle économique outre-rhin ainsi que certains artifices statistiques employés.
 

En complément :
Cyberstratégie Est-Ouest, « Maintenant toute l'Europe parle allemand », novembre 2011.
http://harrel-yannick.blogspot.fr/2011/11/maintenant-toute-leurope-parle-allemand.html
La Tribune, « Et si la dette publique allemande était elle aussi trop élevée ? », mai 2013.
http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20130521trib000765708/et-si-la-dette-publique-allemande-etait-elle-aussi-trop-elevee.html 



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