La règle d’or à la rescousse de la spéculation ?
“Qui sauvera les sauveteurs ?” Telle est la question posée en fin de semaine dernière par le Président allemand Christian Wulff qui, déplorant les déficits publics de son pays ayant atteint 83% du P.I.B., s’en est pris à la BCE, accusée de « largement outrepasser son mandat ». Les interventions de la BCE ayant consisté à acheter pour 110 milliards d’Euros de Bons du Trésor espagnols et italiens furent effectivement violemment critiquées en Allemagne par nombre de responsables dont la respectée Bundesbank. Accusée de violer les traités en secourant des pays européens « sans légitimité démocratique », la BCE s’apprête néanmoins à recevoir un ultime camouflet le 7 Septembre prochain, date de la décision de la Cour Constitutionnelle allemande qui devra statuer sur la légalité des contributions allemandes aux opérations de sauvetage des pays sinistrés. Il est plus que vraisemblable que l’augmentation substantielle du Fonds de Stabilité (de 440 à 2’000 milliards d’Euros) souhaitée par les politiques européens sera ainsi rejetée par cette instance suprême allemande.
En réalité, le Président allemand, comme sa Banque Centrale et la majorité de ses citoyens, entendent ainsi démontrer qu’ils résisteront aux pressions des marchés. Wulff n’a-t-il pas stigmatisé la Chancelière Merkel pour avoir interrompu ses vacances à cause de la volatilité boursière en assenant un : « ils (les leaders politiques) ne devraient pas réagir nerveusement à l’occasion de chaque chute des marchés » ? Ou encore : « Ils ne devraient pas se laisser diriger par les banques, par les agences de notation ou par les média erratiques »… Ce faisant, il pose une question fondamentale car des décisions de cette nature et impliquant des sommes de cette envergure ne doivent être prises que dans le cadre des Parlements, sources de toutes les légitimités dans nos démocraties européennes. N’est-il pas navrant de constater que, tout au long de cette crise, nos Chefs d’Etat et de gouvernement européens se soient progressivement transformés en analystes financiers scrutant anxieusement les aléas boursiers ou suspendus avec déférence aux verdicts prononcés par les agences de notation ?
Et la volonté de mettre en place une « règle d’or » ne fait que prouver cette reconversion de nos autorités politiques en « traders » ! Il est certes judicieux de limiter constitutionnellement la boulimie dépensière d’un Etat … tout comme il fut sage pour Ulysse de s’attacher au mât de son navire pour ne pas céder au chant des sirènes. Cette précipitation, à quelques mois d’élections majeures dans plusieurs pays européens, comme le ton péremptoire employé par celles et ceux qui la défendent semblent pourtant suspects car une question insidieuse reste en suspens : cette règle d’or est-elle adoptée dans l’objectif de calmer les marchés et de satisfaire aux exigences des agences de notation ? Car ces amendements constitutionnels seront probablement accompagnés de clauses autorisant le dépassement de ces quotas d’endettement. Le fameux « frein à l’endettement » allemand voté en 2009 prévoit en effet qu’en cas « de situation d’urgence exceptionnelles qui échappent au contrôle de l’Etat et compromettent considérablement les finances publiques, ces limites supérieures de l’emprunt peuvent être dépassées »…
Alors, que veulent vraiment les ardents défenseurs de cette règle d’or si ce n’est de caresser les marchés « dans le sens du poil » et de les persuader que la chute du domino grec ou portugais n’entraînera pas l’Espagne ou la France ? Les avocats de cette « règle d’or » savent bien que son adoption apaisera le courroux des investisseurs (avec des retombées bénéfiques pour leur propre carrière), quitte à ce que ce plafond soit relevé, voire violé ultérieurement. La précédente règle d’or allemande adoptée en 1949 n’avait-elle pas été transgressée une bonne dizaine de fois ?
Voilà donc la Constitution de nos démocraties qui se meut en pacificatrice des marchés à la faveur des bons offices de nos plus hautes autorités politiques.