mercredi 17 juin 2009 - par Caleb Irri

La surproduction, une aubaine pour la démocratie ?

La surproduction est une plaie pour le capitalisme. Malheureusement pour lui (et pour les peuples aussi), elle est inévitable. Comme je le lisais dans un excellent article de Louis Gill (bien qu’assez difficile d’approche-surtout pour un amateur comme moi), la volonté de profits toujours plus grands favorise la recherche de technologies toujours plus productives, et nuit ainsi à l’emploi salarié. Mais la plus-value (la marge) faite sur un salarié est toujours rentable que sur une machine. Et il s’ensuit que la tendance à la baisse du profit, implacable, finit par provoquer les crises comme celle que nous vivons actuellement.

Il ne faut pas oublier que la concurrence est le résultat de la loi sur l’offre et la demande. Et les prix sont fixés selon ce rapport. Les machines permettent de vendre plus, à moins cher, et ainsi de remporter des marchés. Mais le profit étant le but ultime du capitaliste (et non pas comme on pourrait le penser la satisfaction des besoins), certains ont pensé que créer l’offre suffirait à engendrer la demande, en espérant que les prix du produit vendu continue malgré tout à monter. Mais le capitalisme n’aime pas la surproduction.

De fait, la crise d’aujourd’hui semble être le résultat d’une surproduction induite par les facilités de crédit proposées par les spéculateurs. La demande étant artificiellement provoquée (ou la « surconsommation » ?), il s’en ait suivi une surproduction incapable de trouver des acheteurs (solvables en tous cas).

Car il faut faire une différence entre la demande telle qu’elle existe potentiellement (la volonté d’accession aux produits, commune à l’ensemble des êtres humains), et la demande telle qu’elle existe réellement, sur le marché (c’est à dire solvable, capable d’être satisfaite concrètement). Il faut aussi se rappeler que les lois qui régissent les échanges entre les êtres sont basées sur la rareté, et non pas sur l’opulence, comme on serait en droit de le souhaiter.

En effet, quand les anciens imaginaient le futur, ils rêvaient d’un monde d’abondance où tout serait accessible à tous. Aujourd’hui, ce rêve est rendu possible par la technique, mais pose de sérieux problèmes au système qui domine le monde. Car il s’agit de savoir comment faire correspondre la nécessité d’employer un maximum d’individus au plus bas prix possible en même temps que de leur vendre les produits qu’ils créent à un prix supérieur au coût de leur travail. Et cela tout prenant en compte les avancées technologiques qui tendent d’une part à faire augmenter la productivité, et d’une autre à rendre le travail obsolète.

C’est sans doute pour éviter ce problème que des crises semblent survenir à intervalles plus ou moins réguliers. Mais plutôt que de se pencher sur les nouvelles possibilités qu’engendre le progrès technique, les pouvoirs politique et financier préfèrent encore une « bonne guerre » que la remise en cause de leurs privilèges et de leurs pouvoirs.

Cette situation pourrait perdurer indéfiniment si un autre facteur n’intervenait pas, de façon de plus en plus prégnante, et qui inévitablement fera cesser l’existence du capitalisme comme nos aînés l’avaient conçu. La course aux profits étant corrélée à la fois à la course technique et à la baisse du coût du travail(et ce en dépit de toute morale ou de toute règle éthique-même écrite), le capitalisme entraîne la surexploitation des ressources de la planète sur laquelle nous vivons. Et à moins que de trouver une autre planète exploitable à loisir, le capitalisme va devoir cesser d’exister, pour que l’homme continue lui aussi d’exister. Les gouvernements et les financiers, qui ont des intérêts communs, sont donc alliés pour sortir ensemble du capitalisme, tout prenant soin de protéger leur condition : toutes les lois restreignant les libertés sociales sont adjointes de lois sécuritaires, afin de ne plus permettre, lorsque le moment sera venu, la moindre contestation face à sa condition subie. Mais pour les peuples désireux de liberté, pourquoi la surproduction serait-elle néfaste ?Imaginons un instant le changement de paradigme. Au lieu de considérer que la rareté est une valeur, ne pouvons nous pas accepter que l’abondance lui soit supérieure ?
Comment est-il possible d’accepter qu’avec les moyens techniques dont dispose l’humanité, il existe encore des millions d’individus privés du strict minimum ?

Le problème n’est pas l’environnement, car la surexploitation des ressources n’est pas la conséquence d’une plus juste répartition de celles-ci mais l’accaparement des ressources par une minorité dont l’unique objet est le profit.
Notre planète est tout à fait capable non seulement de nous nourrir tous, et plus encore, et aussi de nous loger tous.

Pourquoi ne pas profiter de la crise pour un changement de système ?

Que les ouvriers, les employés de tous bords continuent de produire, et plus ils produiront plus les prix baisseront. Qu’ils produisent tant que les prix s’effondrent, et ne rapportent plus rien à personne.

Que les produits soient donnés à qui les veut, et que les licenciés du monde de la finance prennent part à un nouvel engagement, qui ne lui nuirait pas. Il y a besoin de bras, et de têtes à n’en plus savoir que faire : l’énergie propre, la construction, le recyclage, les transports, la voirie, l’hygiène, les pays pauvres, la faim....

Bien sûr tout cela nécessite une organisation complètement nouvelle, et pose des défis fantastiques non seulement à l’imagination, mais aussi à la réalisation. Mais face à ce que nous préparent les puissants, n’est-ce pas là une raison suffisante pour y réfléchir ?

Et puis pour faire accepter ce changement de paradigme, c’est toute l’éducation qu’il faut revoir, et aussi la conception de l’homme, et celle de son bien le plus cher : le bonheur.

L’homme ne doit plus considérer la réussite comme une accumulation de biens (utiles ou futiles), mais comme la satisfaction de ses besoins. A partir du moment où tous peuvent tout avoir, combien y en aurait-il pour vouloir trop ? Il faut que les hommes apprennent leurs différences, et n’essayent plus de ne faire que correspondre à un standard de réussite illusoire. Que les métiers soient choisis en fonction de leur intérêt intrinsèque et non plus de leur intérêt financier. Il faut que les hommes sachent que tout est acquis, et non inné, afin qu’ils comprennent que seule leur volonté peut les conduire à la réussite de soi.

Cette approche peut sembler succincte et approximative, et bien sûr de nombreuses difficultés, voire impossibilités semblent très vite sauter aux yeux. Mais cette réflexion n’a pour unique but que de renverser un cadre de pensée établi, où l’existence de la misère des uns serait absolument indispensable à la richesse des autres. Si les hommes sont capables de tant et tant d’ingéniosité pour oppresser leur prochain, créer des armes et perpétuer un système si complexe et si éloigné de l’aspiration de la majorité des êtres humains, il ne fait aucun doute qu’ils parviennent à établir un autre mode de pensée, d’échange et de production, sans forcément pour cela devoir nuire expressément à leur prochain.



6 réactions


  • TARTOQUETSCHES TARTOQUESCHES 17 juin 2009 14:04

    Très bon article, vous avez tout à fait raison... Nous sommes comme des Shadoks qui voient le mur arriver et continuent de pédaler droit devant en accélérant. Société absurde ou les quelques réalistes qui font les bons constats sont traités d’utopistes.
    Le virage a prendre ne sera donc pobablement pas anticipé (vive l’individualisme roi et la surconsommation de masse !) mais nous sera de tte façon imposé par les limites terrestre que nous commençons à atteindre. Ca risque de faire mal...


  • Noel Flantier 17 juin 2009 16:17

    Surproduction.

    pour produire il faut des matieres premiers et des energies, elles ont un cout, on ne peut pas produire gratis.

    Donc l’utopie est impossible (ou alors ,systeme communiste mondial).

    vous dites  : « l’énergie propre, la construction, le recyclage, les transports, la voirie, l’hygiène, les pays pauvres, la faim.... »

    Donc nous allons tous bosser dans l’aide aux pays pauvres ??

    La bonne blague !


    • caleb irri 17 juin 2009 21:00

      @ Noel Flantier

      bien sûr il faudrait bosser pour aider les pays pauvres. et si cela gêne quelques uns, ils n’ont qu’à se dire qu’au rythme où vont les délocalisations, la France pourrait bientôt en être un.

      c’est comme pour l’immigration, quand les Français en seront à émigrer pour trouver du travail, peut-être considéreront-ils l’immigration sous un autre angle... la bonne blague, en effet !!
       


  • Peretz Peretz 17 juin 2009 18:39

    Effectivement tout crise est l’occasion d’une remise en question. Mais pas trop d’illusions : la propriété individuelle et collective continuera à générer des inégalités. Les privilèges n’ont pas disparu totalement en 1789. Mais les principes des Lumières résistent. On peut espérer que la lucidité et la Raison l’emporteront quand les évènements seront propices. Cette crise va certainement avoir quelques conséquences favorables, mais ne nous faisons pas trop d’illusion. La démocratie est en panne actuellement, mais il y a des solutions, le temps sera peut-être long avant qu’elles apparaissent. (www.voixcitoyennes.fr))


  • perlseb 17 juin 2009 20:54

    Constat tout à fait exact. Mais que se passe-t-il depuis que l’homme est sur terre ? Est-ce que les mentalités changent ?

    En 1789, certains leaders aspiraient de la même manière à plus de liberté, de justice... Pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui ? S’ils avaient su, ils n’auraient pas risqué (voire donné) leur vie !

    La seule chose qui évolue, ce sont les techniques. L’esprit humain, lui, reste au niveau zéro. Oui, bien sûr, il y a des nouvelles générations, avec de nouveaux espoirs et souvent des idées déjà anciennes. C’est toujours la même chose au final : une révolution et on est rendu au même point mais avec d’autres crapules.

    C’est vrai que c’est totalement désolant, avec la technique actuelle, de créer autant de précarité là où, en travaillant tous 8h par semaine (après avoir supprimé les métiers improductifs), on pourrait tous être logés et nourris décemment. Le système est au même degré que l’esprit humain : niveau zéro.


  • thomy03 18 juin 2009 18:46

    En effet notre société de surproduction ne permet plus d’atteindre le bonheur. La recherche du profit incessant n’encourage que les inégalités sociales toujours plus élevés. L’innovation technologique crée une substitution du capital au travail.

    Nous constatons d’ailleurs par ces excès tous les licenciements causés par une incapacité à satisfaire la demande. Ne tombons nous pas alors dans un cercle vicieux ?

    L’idée d’un revenu d’existence peut nous apparaître comme une solution.

    Personnellement je suis en faveur d’un montant suffisant pour couvrir les besoins d’une vie chiche mais digne, aux alentours de 1000 euros par personne actuellement, les montants inférieurs auraient des effets pervers sur les salaires.

    La garantie inconditionnelle à toute personne d’un revenu à vie aura toutefois un sens et une fonction foncièrement différent selon que ce revenu est suffisant ou insuffisant pour protéger de la misère.

    - a - Destinée, selon ses partisans, à être substituée à la plupart des revenus de redistribution[7] (allocations familiales et de logement, indemnités de chômage et de maladie, RMI, minimum vieillesse, etc.…), la garantie d’un revenu de base inférieur au minimum vital a pour fonction de forcer les chômeurs à accepter des emplois au rabais, pénibles, déconsidérés (…). Il faut donc subventionner ces emplois en permettant le cumul d’un revenu social de base insuffisant pour vivre avec un revenu du travail également insuffisant

    On créera de la sorte un « deuxième marché du travail » protégé contre la concurrence des pays à bas salaires mais aussi, bien évidemment, contre les dispositions du droit au travail, vouées à disparaître. Plus le revenu de base est faible, plus « l’incitation » à accepter n’importe quel travail sera forte et plus aussi se développera un patronat de «  négriers » spécialisé dans l’emploi d’une main d’œuvre au rabais dans des entreprises hautement volatiles de location et de sous-location de services.

    Le workfaire américain, légalisé fin juillet 1996 par le président Clinton, lie le droit à une allocation de base (le welfare) très faible et l’obligation d’assurer un travail « d’utilité sociale » non payé ou à peine payé à la demande d’une municipalité ou d’une association homo-loguée. Le workfare a de nombreux partisans en France ainsi qu’en Allemagne où des municipalités ont commencé à menacer les chômeurs de longue durée de leur supprimer l’aide sociale s’ils n’accomplissaient pas des tâches « d’utilité publique » (travaux de nettoiement, de terrasse-ment, de déblayage, etc.) pour lesquels une indemnité de 2 DM leur est versée, destinée à couvrir leurs frais de transport et de vêtement.

    Toutes les formes de workfare stigmatisent les chômeurs comme des incapables et des fainéants que la société est fondée à contraindre au travail - pour leur propre bien. Elle se rassure de la sorte elle-même sur la cause du chômage : cette cause, ce sont les chômeurs eux-mêmes : ils n’ont pas, dit-on, les qualifications, les compétences sociales et la volonté nécessaires pour obtenir un emploi. (…)

    En réalité, le taux de chômage élevé des personnes sans qualification ne s’explique pas par leur manque d’aptitudes professionnelles mais par le fait que (…) le tiers des personnes qualifiées ou très qualifiées occupe, faute de mieux, des emplois sans qualification (…).

    Au lieu de subventionner les emplois non qualifiés par le biais d’un revenu de base, c’est donc des emplois qualifiés qu’il conviendrait de subventionner la redistribution en y abaissant fortement le temps de travail[8].

    Selon cette conception le « revenu d’existence » doit permettre un travail-emploi intermittent et même y inciter. Mais le permettre à qui ? Là est toute la question. Un « revenu d’existence » très bas est, en fait, une subvention aux employeurs. Elle leur permet de se procurer du travail en le payant en-dessous du salaire de subsistance. Mais ce qu’elle permet aux employeurs, elle l’impose aux employés. Faute d’être assurés d’un revenu de base suffisant, ils seront continuellement à la recherche d’une vacation, d’une « mission » d’intérim ; donc incapables d’un projet de vie multiactive. Le « revenu d’existence » permet dès lors de donner un formidable coup d’accélérateur à la déréglementation, à la précarisation, à la « flexibilisation » du rapport salarial, à son remplacement par un rapport commercial. Le revenu continu pour un travail discontinu révèle ainsi ses pièges. A moins, bien entendu, que les intermittences du travail, sa discontinuité relèvent non pas du pouvoir discrétionnaire du capital mais du droit individuel et collectif des prestataires de travail à l’autogestion de leur temps.

    - b - L’allocation à tout citoyen d’un revenu social suffisant relève d’une logique inverse : elle ne vise plus à contraindre les allocataires à accepter n’importe quel travail à n’importe quelle condition, mais à les affranchir des contraintes du marché du travail.
    Le revenu social de base doit leur permettre de refuser le travail et les conditions de travail « indignes » ; et il doit se situer dans un environnement social qui permette à chacun d’arbitrer en permanence entre la valeur d’usage de son temps et sa valeur d’échange : c’est-à-dire entre les « utilités » qu’il peut acheter en vendant du temps de travail et celles qu’il peut produire par l’autovalorisation de ce temps. L’allocation universelle d’un revenu suffisant ne doit pas être comprise comme une forme d’assistance, ni même de protection sociale, plaçant les individus dans la dépendance de l’Etat-providence. Il faut la comprendre au contraire comme le type même de ce qu’Anthony Giddens appelle une « politique générative » (generative policy)[9] Elle doit donner aux individus des moyens accrus de se prendre en charge, des pouvoirs accrus sur leur vie et leurs conditions de vie.


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