mardi 1er décembre 2009 - par mortimer

Le temps de l’économie sociale est-il venu ?

Pour être un chercheur des plus sérieux en matière de science de gestion, François Rousseau*, n’en est pas moins militant : l’Économie Sociale et Solidaire est le modèle d’organisation économique qui est capable de produire la plupart des biens et des services dont l’homme aura besoin au cours de ce siècle, tout en s’imposant comme le nouveau moteur du progrès social. [Compte rendu d’un exposé donné le 26 novembre à Nice, à l’occasion du "Mois de l’économie sociale et solidaire"]

L’idée du progrès social est en panne et le modèle marchand, principalement tourné vers la croissance, n’est plus à même de le faire avancer comme il le fit au 20e siècle. Le lien social, véritable carburant de l’Économie Sociale, pourrait bien remplacer la notion de « PIB », triomphante à la fin du siècle passé, et devenir la véritable richesse du 21e.
 

Ce carburant que représente le lien social est d’autant plus important qu’il remet en question une corrélation jusqu’à présent évidente entre développement économique et progrès social, en renversant l’organisation sociétale non seulement « de l’extérieur » (au travers de la redistribution que réclame la mise en place du lien social) mais également à l’intérieur des entreprises, par une nouvelle manière d’envisager le mode de production : les utilisateurs de services deviennent des usagers (les sociétaires) qui s’intéressent non seulement à la redistribution des résultats de l’entreprise qui les sert en tant que consommateur de services, mais également aux conditions de production de ces services. « On ne peut ignorer qu’au-delà de la prestation de service, on participe à « autre chose » du point de vue sociétal » rappelle François Rousseau.

Le lien social devenant premier (y compris même devant service produit) dans l’objet d’une entreprise de l’Économie Sociale, il peut être comparé à la finalité d’une entreprise de l’économie marchande (le profit) auquel il se substitue. La production de ce lien social apparait en outre de manière d’autant plus prégnante que le modèle de l’État providence est lui aussi en crise : « l’État ne peut pas tout », semblent dire aujourd’hui les populations des pays développés, pour lesquelles il devient évident que leur mieux être individuel dépend d’elles-mêmes, au travers d’une action collective… Un principe démocratique, profondément rattaché à l’Économie Sociale, séduit ainsi davantage que le modèle marchand qu’il dépasse : un statut de sociétaire remplace celui de client, un double statut de producteur et de bénéficiaire de l’entreprise né, la non-rémunération du capital s’impose, comme le principe d’égalité entre les personnes (1 individu = 1 voix).

Du point des vue des grands schémas  macro-économiques, nous apprend François Rousseau, il semblerait en outre que l’ESS puisse corresponde à une sorte de 4e secteur de l’économie. Ainsi, après le secteur primaire, de l’agriculture en tant que transformatrice de la terre (auquel correspond un modèle d’organisation de la production spécifique : la ferme) ;  après le secteur secondaire, secteur de la transformation de la matière (auquel correspond le modèle de l’usine) ; juste après le secteur tertiaire, du commerce et des services qui régit un rapport marchand entre les hommes (auquel correspond la boutique), le secteur quaternaire, introduit l’idée de lien social comme raison du rapport entre les hommes et l’association comme modèle dominant de production de ce rapport.

En conclusion, comme alternative à la figure de la veuve américaine (qui semblait couler ses vieux jours sur l’exploitation des ouvriers Européens) ou du plombier polonais (qui pratiquait un dumping social terrifiant), François Rousseau présenta la figure du sociétaire, qui ne pourra s’imposer, selon lui, qu’à la condition que les organisations de l’ESS parviennent rapidement à répondre aux 3 défis à venir :

1. Maintenir le principe de démocratie économique malgré la dilution de la voix du sociétaire dans la masse des autres sociétaires (explosion du nombre de sociétaires au sein de certains établissements de l’ESS),

2. Conserver le lien entre la technostructure et l’intention initiale de l’établissement concerné (risque de la prise de pouvoir des techniciens sur les sociétaires),

3. Ne pas oublier cette même intention initiale dans la production du service, lequel doit par ailleurs et selon toute évidence, présenter des caractéristiques techniques au moins identiques à celles du secteur marchand.

Compte rendu rédigé par MORTIMER

* François Rousseau est docteur en science de gestion, chercheur associé au centre de recherche en gestion de l’École Polytechnique.



2 réactions


  • HASSELMANN 1er décembre 2009 11:43

    Il serait judicieux que ce billet soit mis en exergue par AV car il pointe un aspect fondamental de la réfléxion sociétale.
    je vous signale, que nous pronons sur LIBR’ACTEURS ,l’ESSOR (Economie sociale et solidaire responsable) depuis des années, comme devant être le modéle économique de demain.
    Pour ma part spécialiste de la matière et ancien DG d’institution sociale, par rapport a Mr ROUSSEAU, j’indique dans mes interventions (Colloques et gdes Ecoles) qu’il faut adapter le modéle.
    Il est temps de finir avec des données du type démocratie un homme une voix, ou non lucrativité.Il est temps d’en finir avec des modalités de gouvernance qui pénalisent également ce modéle.
    L’ESS doit être adaptée, pour accueillir un capital individuel de proximité, pour recruter un salariat de qualité pétri de conviction , pour sortir du tout subventions terreau du clientelisme politique,ou dons soumis aux aléas conjoncturels.C’est le sens de la réfléxion des grandes entreprises acteurs de l’ESS, c’est aussi le sens du chantier intié au sein de TERRE DEMOCRATE
    Merci de vos commentaires.


  • ddacoudre ddacoudre 1er décembre 2009 23:12

    bonjour mortimer

    excellent article de réflexion.

    Nous connaissons tous le sens des mots social et économie, que je mets dans cet ordre, parce que je considère que c’est l’ordre naturel du développement de notre espèce, et par sa pensée symbolique je considère que c’est notre comportement social qui a permis le développement économique, et non l’inverse.

    Sans cette « structure », (ce processus mécanique qui nous pousse les uns vers les autres), il n’y aurait jamais eu de communauté organique. Nous qualifions ses interactions de sociales, et par elle, (interactions sociales sous le regard de l’homme qui s’observe) l’organisation de la production de biens et services qui en découlent, l’économie.

    Cela, parce que, la production a suivi l’organisation sociale, et j’observe que si les hommes ne trouvaient pas d’utilité sociale aux produits que nous élaborons, ils ne seraient d’aucun service, donc de valeur nulle.

    Si nous utilisons une hache, c’est que nous avons eu envie de couper du bois en ayant établie une relation entre nous et l’objet (bois), dans un espace déterminé, vers un but, pour satisfaire à une perception sensorielle (le besoin de se réchauffer par exemple), et non pas parce que quelqu’un a inventé la hache, que l’ayant inventé nous avons ensuite coupé du bois pour justifier son utilisation. Alors qu’aujourd’hui nous recherchons quels sont les besoins de l’homme inexprimés qui me permettrait de lui vendre un produit.

    Une autre définition estime que l’homme est un être économique (l’homo oeconomicus, être rationnel motivé par son seul profit, « coût avantage ») parce qu’il effectue un travail pour cueillir et chasser. Cette extension de la définition de l’économie je la trouve excessive et inappropriée, car poussée dans sa plus petite dimension, elle nous conduirait à dire que notre Univers est un univers économique, parce que chaque association atomique, et ce qui en découle, exige un travail et un coût association (échange) qui se mesure comme le nôtre, guidé par un ordre sous-jacent, que dans le cadre de l’analyse des motivations humaines, nous appelons conscience ou esprit, avec sa part raisonnée et celle insufflée en relation (inconscient et conscient).

    Ainsi, l’organisation économique ne peut qualifier ce que nous sommes, elle n’est qu’un moyen de parvenir à la réalisation, à la production, et à la satisfaction de nos besoins et désirs humains. Et parmi cela, celui important « du rêve absolu » de chacun. Un rêve pour lequel, quand nous ne prenons pas le temps et les moyens pour le construire, certains d’entre-nous nous vendent à sa place des illusions qui nous empêchent de voir que nos rêves sont accessibles.


    cordialement.


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