jeudi 21 juin 2012 - par Pharmafox

Lundbeck joue aux soldats de plombs

Les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour les salariés de l’industrie pharmaceutique. Après AstraZeneca1, c’est au tour de Lundbeck d’annoncer un plan social. Mais si AstraZeneca ne fait que confirmer son déclin, Lundbeck s’amuse et réduit sa masse salariale alors même que les perspectives sont florissantes.

Le communiqué officiel 2

Ainsi, Lundbeck annonce vouloir une organisation commerciale plus souple, les représentant ayant à charge d’informer en avance les prescripteurs du lancement de nouveau produits. Comprenez qu’on demandera plus de travail aux miséreux que l’on aura eu l’immense magnanimité de garder. Pour les autres, ils pourront crever, mais crever heureux d’avoir servi si noble cause que celle du laboratoire.

La nouvelle structure préparera la voie pour une transition réussie du portefeuille de produits actuel vers le futur. Comprenez que les représentants bourreront le mou des médecins sur les miracles des médicaments de Lundbeck avant même qu’ils ne sortent, alors que jusqu’à présent, on avait la décence d’attendre. Notons que ce n’est qu’une fois le produit commercialisé que la communauté scientifique peut en saisir l’intérêt réel, puisque le laboratoire n’est plus en mesure de filtrer l’info.

En plus, cela permettra de limiter la pression sur les prix causée par les réformes des systèmes de santé et la concurrence des médicaments génériques. Là, je commence à avoir du mal à suivre. La concurrence des génériques pour les médicaments qui n’existent pas encore ? Non. En fait non. Ce sont les médicaments actuels qui seront concurrencés. En fait, tout irait bien, car Lundbeck va lancer de nombreux nouveaux produits. Sauf que, justement, les ministères de la santé vont obliger l’entreprise à ne pas les vendre trop cher, d’une part. Ceci est particulièrement vrai si le produit n’est pas très innovant. A croire que les futurs produits en question seront assez mauvais…

 

Un pipeline riche

A en croire les études publiées (certes financées par Lundbeck), les produits que le laboratoire développe sont pourtant particulièrement prometteurs :

· Le Nalmefène (voire l’article que j’ai consacré au sujet) 3

· La Vortioxétine, un super anti-dépresseur qui va supplanter les autres car il cibles plusieurs systèes monoaminergiques 4

· Le Brexpiprazole, un nouvel antipsychotique avec une efficacité accrue, appelé à succéder à l’Aripiprazole 5

A ces trois stars, il faut ajouter de nouvelles indications et formules pour l’Aripiprazole et la Carbamazépine, produit parfaitement établis, la Desmoteplase (dont le marché est potentiellement plus limité à mon sens) et la Zicronapine (pour laquelle je manque un peu d’informations).

A plus long terme, Lundbeck peut espérer commercialiser un autre antidépresseur, la Tedatioxétine, et un médicament contre la maladie d’Alzheimer qui a eu les honneurs de la presse cette semaine. 6

Pour la Vortioxétine, notamment, Lundbeck entend déposer la demande d’AMM dès cette année, et il pourrait être commercialisé dès 2013. Ne serait-ce pas au contraire le moment d’informer sérieusement la communauté médicale des atouts de ce médicament ? Je ne vois qu’une explication : le produit n’est pas terrible et les médecins préfèreront rester sur une valeur sûre.

 

Le Cipralex génériqué

Le vrai problème de Lundbeck, c’est que son produit phare est maintenant générique. Le Cipralex (ou Lexapro, escitalopram) a représenté 50% du chiffre d’affaires de Lundbeck en 2011. 7 Mais au premier trimestre 2012, les ventes avaient déjà reculé de 20%, chute qui devrait s’accentuer rapidement. 8

Forest, le partenaire de Lundbeck qui commercialise le produit aux Etats-Unis, vient d’ailleurs de lancer un avertissement sur résultats, pour cette raison précise. 9

En somme, Lundbeck gagnera moins d’argent et ne pourra plus payer autant de salariés. De plus, l’entreprise n’aura plus besoin de tant de monde pour faire la publicité d’un produit qui ne rapporte plus rien.

Pourquoi pas.

Dans ce cas, peut-être Lundbeck aurait-elle mieux fait de s’abstenir d’embaucher 300 représentants en août dernier. 10 Mais non : il fallait profiter à font des derniers mois d’exclusivité sur le Cipralex, et pour en vendre un maximum, il fallait plus de vendeur.

Je comprend pourquoi le patron Ulf Wiimberg porte le titre de directeur général, de Chief Executive Officier : tel l’officier, il lève les troupes, puis les sacrifies en les envoyant en zone hostile, les décrète démobilisées lorsqu’il n’arrive plus à les nourrir et les exécute lorsqu’elles se rebellent ou échouent : ce n’est certainement pas un hasard si Marie-Laure Pochon, nommée vice-présidente des opérations commerciales en septembre (oui, oui, juste après l’annonce des 300 recrutements) 11 a démissionné en mai (tiens donc, juste avant l’annonce des licenciements). 12

 

1. Big Pharma, la machine à chômeurs, Pharmafox, AgoraVox, 2 Mars 2012

2. Lundbeck plans to establish a more flexible commercial organisation in Europe, Lundbeck, 14 Juin 2012

3. Baclofène contre Nalmefène, Pharmafox, AgoraVox, 27 Avril 2012

4. Statistically significant clinical phase III results of Lu AA21004 provide basis for submission of an NDA and MAA for major depression (MDD), Fierce Biotech, 14 Mai 2012

5. Brexpiprazole, Wikipedia

6. Lundbeck's Innovative Alzheimer's Drug Met Primary Cognition Endpoint, Market Watch, 13 Juin 2012

7. Full year report 2011, Lundbeck, 8 Février 2012

8. First quarter report 2012, Lundbeck, 2 Mai 2012

9. Forest Laboratories, Inc. Revises Fiscal Year 2013 Earnings Guidance Primarily Due to Evolving Conditions in the Lexapro / escitalopram Market, Market Watch, 11 Juin 2012

10. Sales reps, polish your resumes : Lundbeck is hiring, Tracy Staton, Fierce Pharma, 10 Aout 2012

11. Marie-Laure Pochon elected as Lundbeck's new EVP of Commercial Operations, Lundbeck, 7 Septembre 2012

12. Lundbeck announces the resignation of Marie-Laure Pochon, Executive Vice President, Commercial Operations, Lundbeck, 9 Mai 2012



5 réactions


  • wawa wawa 21 juin 2012 17:31

    vos textes sont toujours interessants


  • Pharmafox 26 juin 2012 09:58

    Pour note, l’UNSA dénonce le plan social et craint 200 suppressions de postes rien qu’en France (un tiers de l’effectif total, la moitié si l’on exclu les chercheurs et les salarié de l’usine de Sophia-Antipolis). Il s’agirait de licenciements secs sans accompagnement digne de ce nom.

    Elément à décharge (mais loin de justifier qu’on mette les gens à la rue), les autorités sanitaires obligent le laboratoire à vendre son Ebixa 18% moins cher.

    Source : L’usine Nouvelle :
    http://www.usinenouvelle.com/article/lundbeck-pourrait-licencier-200-personnes-en-france.N177279


  • jpderval 1er août 2012 11:14

    Bonjour Pharmafox,


    fidèle lecteur de vos articles, je voulais vous dire que je trouve vos articles particulièrement intéressants, toujours percutants et bien documentés. Vous n’épargnez pas toujours le petit monde de la pharma (qui le mérite souvent), mais au moins c’est toujours avec des arguments solides, au-delà de l’ironie qui vous caractérise. Moi-même qui travaille pour une société pharmaceutique étrangère, je constate souvent les dérives que vous dénoncez (course au profit au détriment de la R&D, essais cliniques truqués, patrons voyous...). Je pourrais vous en raconter des vertes et des pas mûres ! 

    Au plaisir de vous relire !

  • Pharmafox 2 août 2012 16:15

    Bonjour jpderval,
    Merci pour votre commentaire, c’est toujours sympathique d’avoir des lecteurs heureux !
    Ce n’est pas toujours le cas : un de mes articles, dans lequel je m’étais il est vrai un peu « défouler » (pas toujours constructif, mais ça fait du bien et certains le méritent) a été retiré d’Agoravox. Il a du déplaire à certains...
     Mais bon, à mon âge on devrait pouvoir dire ce qu’on pense. Surtout que je n’écris qu’à partir d’articles que chacun peut trouver sur la toile. J’y enlève juste la langue de bois, et j’y ajoute un peu (beaucoup) d’ironie...


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