samedi 7 août 2010 - par Indépendance des Chercheurs

Plateau de Saclay et mythe d’une « Silicon Valley » française

Le 5 août, un rapport du Sénat fait par Alain Millon (UMP) au nom de la Commission d’enquête sur la grippe A évoque notamment les « vives et nombreuses critiques à l’encontre de l’OMS » suscitées par cette affaire. Analysant la «  gestion en France » du risque de pandémie et la mise en oeuvre du plan «  Pandémie grippale », le rappport s’interroge sur le « déséquilibre des relations contractuelles entre les pouvoirs publics et les fournisseurs de vaccins ». Se référant à ce rapport, Les Echos intitule son article « Grippe A/H1N1 : le gouvernement pieds et poings liés avec les labos ». Le Figaro n’hésite pas à employer le titre « Grippe A : le gouvernement "était à la merci des labos" ». Mais peut-on valablement ignorer que la soumission aux intérêts du secteur privé a été la caractéristique essentielle des politiques gouvernementales françaises des deux dernières décennies ? Et des opérations comme celle du Plateau de Saclay ont-elles été conçues avec une plus grande indépendance de la part des pouvoirs publics ? A commencer par la propagande récurrente sur la prétendue création d’une « Silicon Valley française » qui justifierait l’agitation financière, politicienne et immobilière autour de l’ensemble Orsay - Gif - Saclay - Palaiseau. La réalité est que, sur le fond, le projet du Plateau de Saclay n’est en rien comparable à une quelconque «  Silicon Valley », qui ne nécessiterait pas de tels déménagements et regroupements de laboratoires dans une zone géographique aussi restreinte. Il s’agit, en revanche, d’un instrument de dislocation accélérée du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et des autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), au bénéfice : i) d’une stratégie de démantèlement et de privatisation de la recherche publique ; ii) de la tutelle qu’exercera un montage politicien et patronal incarné par l’Etablissement public de Paris-Saclay, écartant le CNRS et tous les EPST de la gestion directe des moyens financiers de l’opération.

Quiconque connaît quelque peu la réalité de la recherche dans l’Essonne sait pertinemment que les collaborations entre chercheurs et laboratoires de Gif, Palaiseau, Orsay, Saclay... font partie du quotidien depuis des décennies. Pour ce faire, les chercheurs n’ont point attendu l’arrivée de Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse. De par leur rôle statutaire, le CNRS les autres EPST ont toujours encouragé les collaborations entre laboratoires aux échelles locale, régionale, nationale et internationale.

De ce point de vue, l’opération du Plateau de Saclay apparaît particulièrement vide de contenu. Elle opèrera en revanche une véritable démolition institutionnelle, non seulement au niveau national par rapport au CNRS et aux autres EPST, mais aussi sur le plan local par des « mutualisations de laboratoires ». Des regroupements à la recherche d’une prétendue « taille critique » et d’un « rapprochement public privé », qui se solderont par un embridagement général des chercheurs et par la fin de l’indépendance de la recherche publique dont, précisément, le CNRS et l’ensemble des EPST sont les garants institutionnels.

Les déménagements imposés aux laboratoires libéreront des bâtiments et des terrains à côté de la ligne des Sceaux. Qui en profitera ?

Quant à la propagande sur une prétendue « Silicon Valley française », quel rapport ? Un article de Cyberpresse, repris dans le blog Franco-American News & Events, 8, rappelait les données suivantes :

http://fanset8.blogspot.com/2008/05/deux-qubcois-silicon-...

Deux Québécois à Silicon Valley

(...)

DANS LES COULISSES DE SILICON VALLEY

  • 2,49 La population de Silicon Valley, en millions.
  • 4800 La superficie de la région, en km2.
  • 1,3 Le nombre d’emplois, en millions.
  • 73 300 Le salaire moyen d’un employé ($US).

(...)

(fin de citation)

En clair, la Silicon Valley californienne s’étend sur un territoire équivalent à la superficie d’un département français, sans comparaison possible avec la petite extension de la zone visée par l’opération du Plateau de Saclay. Ce que confirme cet extrait d’un article du média espagnol Silicon News, qui fait également état d’une zone industrielle allemande (Rhin-Main-Neckar) aussi vaste que celle de Silicon Valley mais jugée moins productive :

http://www.siliconnews.es/es/news/2009/11/26/europa-no-ti...

¿Por qué Europa no tiene un Silicon Valley ?

(...)

... En Rhein-Main-Neckar se han asentado 8.000 empresas en un área de 5.000 kilómetros cuadrados, frente a los 4.000 de Silicon Valley y sus 7.000 compañías.

Aún así, los ingresos de la estadounidense son de 180.000 millones de euros, frente a unos más modestos 42.000 de la europea. En creación de empleo también están a años luz : 500.000 trabajadores en la más exitosa y 80.000 en la menos. Las diferencias son abrumadoras. Rhein-Main-Neckar sólo es el 20% de las cifras de Silicon Valley.

Más cifras : a los clusters europeos les falla el atraer mano de obra extranjera. No saben captar talento, como si hacen es Estados Unidos. Según las cifras de este informe, el 50% de las empresas del valle del silicio han sido creadas por inmigrantes.

(...)

(fin de citation)

Silicon News constate également que ce n’est pas en voulant copier Silicon Valley, que les pays européens parviennent à des résultats analogues. Mais, en ce qui concerne les « immigrés créateurs d’entreprises », l’auteur de l’article oublie que le rôle des inventeurs étrangers aux Etats-Unis est très largement dû aux incroyables lacunes de l’éducation dans ce pays. Résultat, notamment, d’une incroyable délocalisation de l’éducation et l’enseignement supérieur.

De même, s’agissant des problèmes rencontrés par les pays Européens, Silicon News ignore entre autres les effets destructeurs de deux longues décennies de délocalisation de la recherche et le rôle particulèrement négatif d’entités comme l’Union Européenne ou l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Pour un plan de Silicon Valley, voir par exemple l’article de janvier 2001 « ¿ Dónde está y cómo nació Silicon Valley ? » du blog :

Actualidad de Silicon Valley

http://www.de-francisco.com/blogs/sva/labels/SOCIEDAD.html

Il apparaît clairement, contrairement à la propagande récurrente de Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse, que ce n’est pas une quelconque « opération campus » qui se trouve à l’origine de l’émergence de Silicon Valley profitant du travail de recherche des universités californiennes, notamment de celle de Standford.

De surcroît, il paraît évident qu’aucun regroupement géographique sur le Plateau de Saclay n’est nécessaire, ni utile, pour créer une « Silicon Valley française » ni rien de comparable à cette grande zone industrielle des Etats-Unis.

Actuellement, la zone de Silicon Valley en Californie s’étend sur une superficie entre 4.000 et 5.000 kilomètres carrés, soit de l’ordre de la taille d’un département français et deux fois et demie celle de l’ensemble de l’Essonne (1.800 kilomètres carrés). Rien à voir avec la zone du Plateau de Saclay, comparativement très petite (cinquante kilomètres carrés). Pourquoi faudrait-il à tout prix concentrer des moyens sur ce plateau ?

Que penser, dans ces conditions, de l’extrait qui suit du discours du 26 juillet de Nicolas Sarkozy à la conférence ICHEP 2010 (35ème Conférence Internationale de Physique des Hautes Energies) à Paris ?

http://www.elysee.fr/president/mediatheque/videos/2010/ju...

http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/20...

(...)

Depuis 2007, année de mon élection, le budget de l’enseignement supérieur s’est accru d’un milliard d’euros de plus par an. Depuis 2007, le budget de la recherche publique a été augmenté de 800 millions d’euros par an.

Nous rénovons nos campus universitaires, avec une dotation de 5 milliards d’euros qui permettront de favoriser l’avènement d’une dizaine de grands campus aux meilleurs standards internationaux. Parce que la rencontre des compétences, des idées, des diplômes, des disciplines doit se faire au sein d’un vrai campus. Le campus virtuel n’existe pas. Et moi j’en avais assez de voir que les campus existaient partout dans le monde et qu’en France on rêvait des campus des autres. Arrêtons de rêver, faisons-les. Pourquoi se contenter de regarder ce que font les autres ? Mieux vaut s’en inspirer.

Enfin, au cœur de la crise, nous avons décidé un plan d’investissements d’avenir de 35 milliards d’euros pour les quatre prochaines années. Les deux tiers de cet investissement seront consacrés à l’enseignement supérieur et la recherche, avec un tiers spécifiquement consacré à des programmes de recherche appliquée dans les domaines de l’aéronautique, de l’espace, des énergies décarbornées ou de l’économie numérique.

Ces moyens immenses, nous voulons qu’ils permettent de faire émerger les meilleures équipes et les meilleurs campus français pour que notre pays participe pleinement à la recherche mondiale. Parmi ces équipes d’excellence qui portent nos espoirs, je tiens notamment à saluer les chercheurs du plateau de Saclay. Jusqu’à aujourd’hui, leur présence collective était presque considérée comme un heureux hasard et nul n’avait songé à tirer parti des atouts potentiels que cela pouvait représenter. Vous imaginez, c’est un peu comme si on s’était dit pendant des années : tiens nous avons des entreprises de high-tech, nous avons des centres de recherche, des grandes écoles, des labos, des universités, quelle coïncidence ! C’est un peu comme si nous avions tous les ingrédients de la Silicon valley, mais qu’elle attende son Christophe Colomb ! On avait découvert, mais on ne le savait pas... Nous voulons faire de Saclay l’un des meilleurs campus de recherche au niveau mondial, en favorisant les synergies et la coordination de tous les acteurs qui y travaillent : chercheurs, entrepreneurs, investisseurs.

Je connais les espoirs que suscite cette perspective dans la communauté française de la physique des hautes énergies. Vous avez développé un projet dont je salue la qualité : regroupant plus de 2000 chercheurs en physique subatomique autour de plateformes ultramodernes, vous pourrez développer le pôle de « Physique des deux infinis et de recherche spatiale » autour des laboratoires du CEA, du CNRS, de l’Université de Paris Sud et de Polytechnique. Vous aurez là, dans votre domaine, un des plus puissants centres de recherche au monde, un centre capable de porter les projets de grands équipements ambitieux. Et naturellement sur le plateau de Saclay, le rapprochement avec les meilleurs spécialistes des autres disciplines, -je pense en particulier aux spécialistes des lasers-, ouvre des perspectives extrêmement intéressantes.

(...)

(fin de l’extrait de l’intervention de Nicolas Sarkozy à ICHEP 2010)

Si globalement le discours de Nicolas Sarkozy à ICHEP 2010 ne tient manifestement pas la route, la remarque sur les « campus virtuels » paraît particulièrement déplacée au vu de l’étendue géographique de Silicon Valley et des domaines d’activité de cette région industrielle où l’internet occupe une place de choix.

Quant aux divagations, pour le moins étonnantes, du genre « les campus existaient partout dans le monde et (...) en France on rêvait des campus des autres », Sarkozy passe outre à la matérialité de longue date des équipements de recherche, des universités et des complexes scientifiques dans le pays. Il ignore également la réalité des résultats scientifiques obtenus par la recherche publique française dans le système de l’après-guerre qu’il cherche à démolir et à éradiquer.

Mais il y a pire : Nicolas Sarkozy annonce son intention de « faire de Saclay l’un des meilleurs campus de recherche au niveau mondial », comme si la qualité de la recherche était une question de « campus » et d’opérations immobilières, et comme si sa politique de privatisation et de marchandisation de la recherche publique était bénéfique pour les chercheurs. De surcroît, comme dans l’ensemble du discours présidentiel, seule la recherche faite en région parisienne est explicitement mentionnée.

Quant à la création de l’Etablissement public de Paris-Saclay, quel rapport avec Silicon Valley ? Wikipédia rappelle :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Silicon_Valley

(...)

Silicon Valley étant définie par son activité économique, ses frontières sont floues et en constante évolution. L’expression ne correspond pas à une entité administrative et désigne une région comprenant environ 2 millions d’habitants et 6 000 entreprises de haute technologie. Son PIB équivaut à celui d’un pays comme le Chili.

Certains font correspondre Silicon Valley au comté de Santa Clara, qui comprend le plus gros des entreprises de technologies de pointe de la région. Plus généralement, on considère que Silicon Valley englobe la partie nord de la vallée de Santa Clara, ainsi que les localités du sud de la péninsule de San Francisco et du sud-est de la baie. L’organisme Joint Venture Silicon Valley Network, qui a mis sur pied un indice socio-économique pour la région, la définit comme l’ensemble du comté de Santa Clara, plus les localités de Foster City, San Mateo, Belmont, San Carlos, Redwood City, Atherton, East Palo Alto, Woodside, Portola Valley et Menlo Park dans le comté de San Mateo, les localités de Union City, Fremont et Newark dans le comté d’Alameda, et Scotts Valley dans le comté de Santa Cruz.

Il arrive enfin parfois que l’expression soit utilisée, souvent par les médias nationaux ou internationaux, pour désigner l’ensemble des entreprises technologiques de la région urbaine de San Francisco. Nombre de sociétés spécialisées dans le logiciel ou les services Internet sont en effet situées à San Francisco, et un pôle de biotechnologies existe dans l’est de la péninsule. D’autres entreprises sont situées dans l’est de la baie, comme Pixar à Emeryville ou E-Loan à Pleasanton.

(...)

Après un passage à vide, la vague du Web 2.0, et surtout une accélération de la diversification vers d’autres domaines que l’informatique, notamment vers les biotechnologies et les énergies renouvelables, ont redonné un nouveau souffle à Silicon Valley. En 2008, il existe sept entreprises travaillant pour l’énergie solaire parmi lesquelles figurent SolarCity (Foster City), Sun Power (San José), Nanosolar, Ausra (Palo Alto) et eSolar (Pasadena).

La région reste l’épicentre technologique principal de la Californie, offrant les plus hauts salaires et employant le plus de salariés et de « cerveaux » du secteur, selon le rapport California Cybercities 2006 publié par l’AeA, une association professionnelle de l’industrie des hautes technologies.

(fin de l’extrait)

On est très loin des schémas de l’Opération Campus et du « Grand Emprunt ». En réalité, Silicon Valley n’est qu’une vaste zone industrielle à technologie avancée, comme sont censées l’être la région parisienne et les autres régions industrielles de chez nous. Si tel n’est pas le pas coté français, et si la copie allemande de Silicon Valley n’a pas vraiment réussi, la responsabilité n’en revient pas aux chercheurs mais à la politique de délocalisations financières et industrielles des dernières décennies. Tous les gouvernements ont activement soutenu cette stratégie, qui n’a pas épargné la recherche et la haute technologie. Or, la politique de Nicolas Sarkozy revient à endetter l’Etat et démanteler la recherche publique pour financer encore, à la fin de la chaîne, les auteurs de ces délocalisations. Quel peut en être le résultat ?

De même, si le CNRS et les autres EPST figuraient parmi les responsables de la gestion directe des sommes consacrées à l’opération du Plateau de Saclay, cette circonstance impliquerait un suivi du projet par des instances nationales (conseils d’administration, conseils scientifiques, sections du Comité National...) où siègent des membres élus des chercheurs, des enseignants-chercheurs et des autres personnels de la recherche publique et de l’enseignement supérieur. Ces instances pourraient d’ailleurs se saisir de leur propre chef ou être saisies par des collègues, diffuser des rapports... De toute évidence, Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse ont cherché à éviter de tels suivis.

L’absence de représentants élus des scientifiques au sein du Conseil d’administration de l’Etablissement public de Paris-Saclay a été dénoncée à plusieurs reprises. Voir, par exemple :

http://www.snesup.fr/Le-Snesup/L-actualite-du-SUP?aid=520...

 



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