Puisque l’hyper existe... il faut sauver le soldat hyper !
Mittal se propose de racheter Arcelor parce qu’Arcelor s’est affaibli. En hyper, c’est la même chose. Carrefour et Casino sont affaiblis et peuvent se faire acheter par Wal-Mart ou Tesco. Que doivent faire les hypermarchés français pour vivre, voire survivre ?
C’est un constat. L’hypermarché est le moteur du commerce - pardon, de la distribution ! - depuis 1963, et par ricochet moteur de l’industrie des produits de grande consommation en France. L’architecture commerciale très « années 60 » qui en résulte a séparé les zones de logements de celles de commerce et de celles de travail, avec les conséquences sociales que l’on sait. L’industrie des produits de grande consommation est prisonnière d’un système de rémunérations cachées officialisées (marges arrière) et la bagarre sur les prix nuit aux performances économiques de nos entreprises (Danone) ou de nos usines (Nestlé), avec les conséquences que l’on sait.
L’idée de voir Wal-Mart ou Tesco en France, lorsque les relations commerce-industrie seront assainies, est loin d’être absurde, d’autant que les enseignes seront alors exsangues.
Quel constat, pour quelles réponses attendues de la part des hypermarchés ?
1. Le budget « hyper » des ménages a profondément changé. Dans les années 1970 les postes budgétaires des ménages concernés par l’hypermarché des origines (alimentation et boisson en principal, équipement de la personne) représentaient 40% des dépenses des ménages, contre moins de 20% aujourd’hui. Les produits complémentaires qu’ont vendus les hypermarchés (équipement de la maison, loisirs, beauté, etc.) sont tous en concurrence avec des grandes surfaces spécialisées (bricolage, sport, aménagement et décoration de la maison, jardinage, etc.) qui gagnent régulièrement des parts de marché. Et surtout, chaque rayon alimentaire voit naître aujourd’hui son hyperspécialiste (surgelés, fruits et légumes, viande, etc.). Concurrencé sur chacun de ses rayons par plus spécialiste que lui, l’hypermarché l’est aussi par moins cher, avec les hard-discounters en alimentation, bricolage, textile, etc.
2. L’hypermarché n’a plus l’originalité de sa création, "le tout sous le même toit". Sa galerie marchande est complémentaire, ou double son offre, et les commerces autour de son parking en font autant. Donc, l’assortiment de l’hypermarché est présent trois fois, plus ciblé, moins généraliste. Il n’a plus l’originalité du prix, du « discount », car il y a moins cher. Il n’a plus l’originalité de l’émerveillement du choix, car chaque spécialiste a plus de choix que lui. Il n’a pas eu à sa création l’originalité du service qui lui coûte si cher aujourd’hui. Il n’a pas eu à sa création l’originalité de la qualité qui n’était pas son objectif. Et l’hypermarché n’est plus ce temple du commerce où l’on vient en famille le samedi. Les ingrédients de la création de l’hypermarché ("tout sous le même toit", prix, choix) ne seraient plus suffisants pour créer le concept de l’hypermarché aujourd’hui.
3. L’hypermarché a vieilli. La plupart des hypermarchés ont trente ans ou plus. Et ils sont immobiles. Plus immobilisés que n’importe quelle industrie. Dans la durée, soit les caractéristiques sociodémographiques de la population de sa zone de chalandise n’ont pas changé, et alors celle-ci s’est appauvrie, soit la population de sa zone de chalandise a vieilli, et elle s’est enrichie, le nombre de personnes par foyer a diminué, n’a plus besoin de chariots de 300 à 400 litres et n’a plus la force de faire le tour de la surface de vente. Mais surtout, sa zone de chalandise s’est rétrécie, car de nombreux concurrents ont ouvert. Quant à la localisation, elle s’est complexifiée, avec un réseau routier plus sophistiqué, un urbanisme densifié en première et seconde couronne urbaine, un accès compliqué, voire monumental, qui fait qu’entrer ou sortir d’un hypermarché (de la route à la surface de vente) prend 10 à 20, voire 30 minutes. Les ingrédients de la création de l’hypermarché (la grande surface près de chez soi) ne sont plus suffisants pour créer l’hypermarché tel qu’il est aujourd’hui.
4. Enfin, conjoncturellement, l’hypermarché est confronté à un effet d’offre qui pousse au prix bas, à une crise de la valeur immatérielle dont celle du marketing et de l’innovation, à une forme de rejet de la société de consommation (la société de tentation) dont il est le symbole. Aujourd’hui, on ne créerait pas l’hypermarché.
Or l’hypermarché existe (environ 1200 unités). Il représente plus de 50% des ventes du parc commercial alimentaire (en hausse ces dernières années par agrandissements de supermarchés).
Les cours de bourse - tout au moins ceux de Casino et Carrefour, les autres sociétés n’étant pas cotées - montrent un doute certain sur le modèle. On ne recréerait pas l’hypermarché aujourd’hui : que faut-il faire de lui, notamment de ceux de plus de 10 000 m² ?
Notre recommandation se fonde sur un commerce de produits quotidiens de demain devenus secondaires dans la vie des consommateurs, ils représentent moins de 20% du budget des ménages. C’est pourquoi ce commerce est défini par le choix et par le temps. Le prix et la qualité ne sont que des résultantes secondaires du choix et du temps, voire tertiaires pour le prix. Les commerces se partagent entre ceux qui ont un temps d’achat court et ceux qui ont un temps d’achat long.
Notre recommandation se fonde aussi sur une profonde mutation du consommateur. A la création de l’hypermarché, l’hypermarché était un lieu de loisirs (but de déplacement automobile, émerveillement de consommation) et le chariot était un signifiant de pouvoir d’achat et de consommation. Le consommateur des années 2000 connaît les loisirs chez lui (la télévision), sur lui (le téléphone portable, la radio, le lecteur MP3), hors de chez lui (les restaurants, les cinémas, les commerces de loisirs et tous les lieux et activités de loisirs - sport, jardinage, bricolage). La hausse du pouvoir d’achat diminue l’importance des produits vendus par l’hypermarché et la hausse du vouloir d’achat relativise ce lieu de consommation. L’hypermarché est devenu un espace et un temps contraint, un lieu secondaire.
Que faire des hypermarchés existants, de plus de 10 000 m² ? Voici l’exemple de 4 formats d’hypermarchés de demain :
1. Casser en 4 ou 5 surfaces de vente spécialisées. Créer des surfaces moyennes spécialisées. L’alimentaire est en deux surfaces : l’une garde son métier historique, l’alimentaire et ses rayons connexes (PGC) offre un choix large et peu profond, pour des achats rapides donc à prix bas, autour de 5/7 produits[1] au m² ; l’autre, plus petite, offre les produits alimentaires orientés sur les services et la qualité, avec le choix profond d’une épicerie en grande surface, capteuse de temps, autour de 12/15 produits au m². Deux surfaces complémentaires séparées. Les autres surfaces sont spécialisées dans des gammes de produits fortes de l’hypermarché.
2. Retrouver le métier d’origine : "Tout sous le même toit" au temps le plus court. Simplifier drastiquement les assortiments, et donc l’offre et le temps d’achat des clients, environ 3/5 produits au m². Simplifier radicalement la centrale d’achat comme le fait Kaufland en Allemagne. Une partie des produits à marque de l’enseigne fournissent l’assortiment.
3. Refondre l’hypermarché alimentaire en deux magasins. D’une part, créer une surface réservée aux MDD (marques de distributeur). Elles sont devenues tellement -voire trop - larges et spécialisées, qu’on peut en faire l’assortiment d’une surface réservée à partir d’un assortiment large et peu profond, et d’une surface de vente conçue pour temps restreint d’achat, autour de 5/7 produits au m². Cette surface ne pourra vivre que si le cahier des charges MDD n’est pas de fabriquer la copie la moins chère, mais le produit le plus attendu au prix le plus bas possible. D’autre part, créer le magasin alimentaire des grandes marques et des marques locales, véritable laboratoire des nouveaux produits, réservé à l’alimentaire et à ses produits complémentaires en assortiment profond, éventuellement complété du bazar en qualité supérieure. Un magasin dédié à la découverte, la référence en alimentaire. 12/15 produits au m².
4. Enfin abandonner l’hypermarché et recréer le magasin populaire. Créer la grande surface généraliste de périphérie, dans une démarche de capteur de temps, avec un assortiment moins large et moins profond, pour un positionnement plus précis sans doute moyen-bas, 12 produits au m². A la différence d’aujourd’hui, recentrer le niveau de gamme de l’hyper, qui est devenu incompréhensible pour le consommateur et ingérable pour son directeur.
Les enseignes testent aujourd’hui des solutions sympathiques mais anecdotiques : X express, Y MDD, Z qui changent l’enseigne en créant d’autres formats. Or il y a urgence dans le format principal, le format roi. Prisonnières de leurs surfaces de vente, elles n’osent se remettre véritablement en cause. Les hypermarchés sont enfermés derrière un double mur de verre : le prix de vente, dont ils sont persuadés que le consommateur fait son unique ou principal critère d’achat, et la surface de vente dont ils sont persuadés que plus elle est vaste et plus on y aligne de produits, plus on réalise de marge. Cela fait 15 ans que ces deux murs de verre auraient dû sauter !
Il y a urgence d’oser la remise en cause, car il faut sauver les hypermarchés, comme il faut sauver les marques. Il faut sauver le soldat hyper !
[1] A titre de comparaison, un hard-discounter pur a 1 produit au m², les hypermarchés ont 10/13 produits au m², Monoprix a 15 produits au m².