vendredi 3 février 2006 - par Philippe

Puisque l’hyper existe... il faut sauver le soldat hyper !

Mittal se propose de racheter Arcelor parce qu’Arcelor s’est affaibli. En hyper, c’est la même chose. Carrefour et Casino sont affaiblis et peuvent se faire acheter par Wal-Mart ou Tesco. Que doivent faire les hypermarchés français pour vivre, voire survivre ?

C’est un constat. L’hypermarché est le moteur du commerce - pardon, de la distribution ! - depuis 1963, et par ricochet moteur de l’industrie des produits de grande consommation en France. L’architecture commerciale très « années 60 » qui en résulte a séparé les zones de logements de celles de commerce et de celles de travail, avec les conséquences sociales que l’on sait. L’industrie des produits de grande consommation est prisonnière d’un système de rémunérations cachées officialisées (marges arrière) et la bagarre sur les prix nuit aux performances économiques de nos entreprises (Danone) ou de nos usines (Nestlé), avec les conséquences que l’on sait.

L’idée de voir Wal-Mart ou Tesco en France, lorsque les relations commerce-industrie seront assainies, est loin d’être absurde, d’autant que les enseignes seront alors exsangues.

Quel constat, pour quelles réponses attendues de la part des hypermarchés ?

1. Le budget « hyper » des ménages a profondément changé. Dans les années 1970 les postes budgétaires des ménages concernés par l’hypermarché des origines (alimentation et boisson en principal, équipement de la personne) représentaient 40% des dépenses des ménages, contre moins de 20% aujourd’hui. Les produits complémentaires qu’ont vendus les hypermarchés (équipement de la maison, loisirs, beauté, etc.) sont tous en concurrence avec des grandes surfaces spécialisées (bricolage, sport, aménagement et décoration de la maison, jardinage, etc.) qui gagnent régulièrement des parts de marché. Et surtout, chaque rayon alimentaire voit naître aujourd’hui son hyperspécialiste (surgelés, fruits et légumes, viande, etc.). Concurrencé sur chacun de ses rayons par plus spécialiste que lui, l’hypermarché l’est aussi par moins cher, avec les hard-discounters en alimentation, bricolage, textile, etc.

2. L’hypermarché n’a plus l’originalité de sa création, "le tout sous le même toit". Sa galerie marchande est complémentaire, ou double son offre, et les commerces autour de son parking en font autant. Donc, l’assortiment de l’hypermarché est présent trois fois, plus ciblé, moins généraliste. Il n’a plus l’originalité du prix, du « discount », car il y a moins cher. Il n’a plus l’originalité de l’émerveillement du choix, car chaque spécialiste a plus de choix que lui. Il n’a pas eu à sa création l’originalité du service qui lui coûte si cher aujourd’hui. Il n’a pas eu à sa création l’originalité de la qualité qui n’était pas son objectif. Et l’hypermarché n’est plus ce temple du commerce où l’on vient en famille le samedi. Les ingrédients de la création de l’hypermarché ("tout sous le même toit", prix, choix) ne seraient plus suffisants pour créer le concept de l’hypermarché aujourd’hui.

3. L’hypermarché a vieilli. La plupart des hypermarchés ont trente ans ou plus. Et ils sont immobiles. Plus immobilisés que n’importe quelle industrie. Dans la durée, soit les caractéristiques sociodémographiques de la population de sa zone de chalandise n’ont pas changé, et alors celle-ci s’est appauvrie, soit la population de sa zone de chalandise a vieilli, et elle s’est enrichie, le nombre de personnes par foyer a diminué, n’a plus besoin de chariots de 300 à 400 litres et n’a plus la force de faire le tour de la surface de vente. Mais surtout, sa zone de chalandise s’est rétrécie, car de nombreux concurrents ont ouvert. Quant à la localisation, elle s’est complexifiée, avec un réseau routier plus sophistiqué, un urbanisme densifié en première et seconde couronne urbaine, un accès compliqué, voire monumental, qui fait qu’entrer ou sortir d’un hypermarché (de la route à la surface de vente) prend 10 à 20, voire 30 minutes. Les ingrédients de la création de l’hypermarché (la grande surface près de chez soi) ne sont plus suffisants pour créer l’hypermarché tel qu’il est aujourd’hui.

4. Enfin, conjoncturellement, l’hypermarché est confronté à un effet d’offre qui pousse au prix bas, à une crise de la valeur immatérielle dont celle du marketing et de l’innovation, à une forme de rejet de la société de consommation (la société de tentation) dont il est le symbole. Aujourd’hui, on ne créerait pas l’hypermarché.

Or l’hypermarché existe (environ 1200 unités). Il représente plus de 50% des ventes du parc commercial alimentaire (en hausse ces dernières années par agrandissements de supermarchés).

Les cours de bourse - tout au moins ceux de Casino et Carrefour, les autres sociétés n’étant pas cotées - montrent un doute certain sur le modèle. On ne recréerait pas l’hypermarché aujourd’hui : que faut-il faire de lui, notamment de ceux de plus de 10 000 m² ?

Notre recommandation se fonde sur un commerce de produits quotidiens de demain devenus secondaires dans la vie des consommateurs, ils représentent moins de 20% du budget des ménages. C’est pourquoi ce commerce est défini par le choix et par le temps. Le prix et la qualité ne sont que des résultantes secondaires du choix et du temps, voire tertiaires pour le prix. Les commerces se partagent entre ceux qui ont un temps d’achat court et ceux qui ont un temps d’achat long.

Notre recommandation se fonde aussi sur une profonde mutation du consommateur. A la création de l’hypermarché, l’hypermarché était un lieu de loisirs (but de déplacement automobile, émerveillement de consommation) et le chariot était un signifiant de pouvoir d’achat et de consommation. Le consommateur des années 2000 connaît les loisirs chez lui (la télévision), sur lui (le téléphone portable, la radio, le lecteur MP3), hors de chez lui (les restaurants, les cinémas, les commerces de loisirs et tous les lieux et activités de loisirs - sport, jardinage, bricolage). La hausse du pouvoir d’achat diminue l’importance des produits vendus par l’hypermarché et la hausse du vouloir d’achat relativise ce lieu de consommation. L’hypermarché est devenu un espace et un temps contraint, un lieu secondaire.

Que faire des hypermarchés existants, de plus de 10 000 m² ? Voici l’exemple de 4 formats d’hypermarchés de demain :

1. Casser en 4 ou 5 surfaces de vente spécialisées. Créer des surfaces moyennes spécialisées. L’alimentaire est en deux surfaces : l’une garde son métier historique, l’alimentaire et ses rayons connexes (PGC) offre un choix large et peu profond, pour des achats rapides donc à prix bas, autour de 5/7 produits[1] au m² ; l’autre, plus petite, offre les produits alimentaires orientés sur les services et la qualité, avec le choix profond d’une épicerie en grande surface, capteuse de temps, autour de 12/15 produits au m². Deux surfaces complémentaires séparées. Les autres surfaces sont spécialisées dans des gammes de produits fortes de l’hypermarché.

2. Retrouver le métier d’origine : "Tout sous le même toit" au temps le plus court. Simplifier drastiquement les assortiments, et donc l’offre et le temps d’achat des clients, environ 3/5 produits au m². Simplifier radicalement la centrale d’achat comme le fait Kaufland en Allemagne. Une partie des produits à marque de l’enseigne fournissent l’assortiment.

3. Refondre l’hypermarché alimentaire en deux magasins. D’une part, créer une surface réservée aux MDD (marques de distributeur). Elles sont devenues tellement -voire trop - larges et spécialisées, qu’on peut en faire l’assortiment d’une surface réservée à partir d’un assortiment large et peu profond, et d’une surface de vente conçue pour temps restreint d’achat, autour de 5/7 produits au m². Cette surface ne pourra vivre que si le cahier des charges MDD n’est pas de fabriquer la copie la moins chère, mais le produit le plus attendu au prix le plus bas possible. D’autre part, créer le magasin alimentaire des grandes marques et des marques locales, véritable laboratoire des nouveaux produits, réservé à l’alimentaire et à ses produits complémentaires en assortiment profond, éventuellement complété du bazar en qualité supérieure. Un magasin dédié à la découverte, la référence en alimentaire. 12/15 produits au m².

4. Enfin abandonner l’hypermarché et recréer le magasin populaire. Créer la grande surface généraliste de périphérie, dans une démarche de capteur de temps, avec un assortiment moins large et moins profond, pour un positionnement plus précis sans doute moyen-bas, 12 produits au m². A la différence d’aujourd’hui, recentrer le niveau de gamme de l’hyper, qui est devenu incompréhensible pour le consommateur et ingérable pour son directeur.

Les enseignes testent aujourd’hui des solutions sympathiques mais anecdotiques : X express, Y MDD, Z qui changent l’enseigne en créant d’autres formats. Or il y a urgence dans le format principal, le format roi. Prisonnières de leurs surfaces de vente, elles n’osent se remettre véritablement en cause. Les hypermarchés sont enfermés derrière un double mur de verre : le prix de vente, dont ils sont persuadés que le consommateur fait son unique ou principal critère d’achat, et la surface de vente dont ils sont persuadés que plus elle est vaste et plus on y aligne de produits, plus on réalise de marge. Cela fait 15 ans que ces deux murs de verre auraient dû sauter !

Il y a urgence d’oser la remise en cause, car il faut sauver les hypermarchés, comme il faut sauver les marques. Il faut sauver le soldat hyper !


[1] A titre de comparaison, un hard-discounter pur a 1 produit au m², les hypermarchés ont 10/13 produits au m², Monoprix a 15 produits au m².




12 réactions


  • Noun (---.---.7.86) 4 février 2006 23:12

    bonjour L’hyper meurt à cause de ses pratiques douteuses et des marges arrières monumentales et surtout pour cause d’ententes illicites entre les groupes .Tous au meme prix tarif des fournisseurs + Tva Au mieux. Les marges arrières c’est pas possible de les incorporer sinon ventes à pertes ..........comme c’est étrange ,c’est là ou voit les liens corruptés des politiques et de la distibution . Donc effet pervers contre intuitif plus du tout de concurrence ou biaisée , ententes illicites , donc plus de commerce et si plus de commerce moins de clients et moins de pigeons (fournisseurs) à plumer.. le soldat hyper il existe pas c’est plus le plumeur hyper ..... beaucoup plus juste.


  • julialix (---.---.194.32) 8 février 2006 14:15

    Sauvons les hypers ?

    Je dirais plutot sauvons les petits marchés de quartiers et de village !

    Et vive les producteurs qui s’entendent entre eux pour faire de la vente directe de produits de qualité.


    • chriscraft_ (---.---.29.63) 8 février 2006 22:04

      bonsoir Rapidement. Le commerce de proximité a pratiquement disparu de nos campagnes. La visite à l’hypermarché devient finalement une corvée pour beaucoup. Et plus c’est grand plus on passe de temps.... Je me suis permise d’imprimer le texte pour le lire de plus prés.


  • Philippe Philippe 9 février 2006 08:56

    Le petit commerce n’a pas disparu de nos campagnes. Disons le petit commerce dit traditionnel a disparu mais des supérettes se multiplients dans les petites communes de 1000 habitants et les magasins ambulants - en camionnette -ou commerce à domicile reprennent vie.

    Par ailleurs nos campagnes changent rapidement et de nombreuses se repeuplent d’urbains en mal d’air ou de loyers plus bas.

    C’est un autre commerce qui se développe dans une autre campagne.

    Ceci dit, mon sujet était bien : puisque l’hyper existe, que faut-il en faire ? Et l’hyper a besoin de 7000 habitants pour exister.


  • jef88 (---.---.247.207) 9 février 2006 21:57

    Regardez avec attention les rayons (et les étiquettes) de votre hyper préféré...

    D’ou viennent les produits ? De France ? Que nenni... Ils viennent de pays à bas salaire, cela à commencé à l’aube des années 80 avec ke textile, et, quand une famille de produit commence à arriver sur notre marché un pan de notre industrie s’effondre, vive le chômage.

    Carrefour Auchan et consorts en difficultés ? Pas possible ; avec leur politique de marges arrière pour la production locale et de marges colossales sur les produits chinois ou assimilés J’ai trouvé, sur Agoravox le détail du prix d’un t-shirt à 3 euros
    - coton 0,70
    - fabrication 0,30
    - transport 0,08
    - droits de douane 0,12
    - Prix de revient 1,20
    - TVA 0,56
    - Marge 1,24 soit donc 103% de bénéfice. Les éléments de prix du t-shirt à 3 euros sont vrais, mais le prix de vente est plutôt de 7 euros.

    Donc marge 386%

    Vérifiez...

    Il faut donc 7000 habitants pour un hyper ! Combien pour une superette 1000 ? La géographie des petites villes a changé souvent plus de la moitiè des zones de chalandise a disparu ces 30 dernières années au profil d’une périphérie inabordable à pieds. Donc voitures et polutions Les villages de 200 habitants n’ont plus rien !!! Même plus un bistrot. Ne parlez pas des tournées en camionette : le systéme est impraticable si l’on travaille. Il n’y a que le boulanger qui peut glisser les deux baguettes dans un sac plastique accroché à la poignée de porte. VIVE LA GRANDE DISTRIBUTION !


    • Philippe Philippe 9 février 2006 23:35

      Délicat de vous répondre en bloc et même en détail puisque je n’ai plus votre texte sous les yeux :

      . tous les produits ne viennent pas d’Asie, loin s’en faut, en tous les cas peu de produits alimentaires, ce qui est l’activité principale de vente des supermarchés. Pour les autres rayons, vous avez raison.

      . le commerce ambulant : voyez la référence que je donne : Magasin Bleu et parlons-en après. Par ailleurs les ventes et services (coiffeur) à domicile se développent, c’est incontestable. Les petits bistrots disparaissent, j’en conviens ... mais renseignez-vous sur « les bistrots de pays » ou un nom proche ... ils se développent avec de nouveaux concepts

      . le détail du prix d’un article textile ... pourquoi pas, je veux bien le croire.

      Ceci dit, je vous encourage vivement à vous promener dans les campagnes françaises du sud de la Seine et dans un rayon de 50 km des grandes et moyennes villes, vous y verrez une France que vous ne décrivez pas et semblez ignorer. La campagne française ne ressemble plus à celle de Jacques Tati ! On peut le déplorer, mais le progrès est passé par là, donc par exemple la voiture ...


  • jef88 (---.---.236.112) 10 février 2006 22:21

    Pas de chance ! J’habite au nord de la Seine dans une région montagneuse à 20 km d’une moyenne ville (25000 habitants) et à 100 km de 2 grandes villes...

    Au rez de chaussée de mon domicile il y a un salon de coiffure, il y en a d’ailleurs 4 pour une commune d’un peu plus de 2000 habitants, C’est un service qui se développe !!! les 2 coiffeuses aprés avoir attendu leur client de la demie journée continuent de travailler à midi ou le soir à domicile. Je leur ai donné un petit coup de main pour leur gestion et j’ai constaté qu’avec 10 ou 11 heures par jour elles gagnent quand même le SMIC... Elles se sont mises à leur compte en pensant gagner plus et echapper au chômage alors l’explosion des services ????

    Autre problème : dans les campagnes environnantes ou le seul lien officiel avec le monde est le facteur on a vu une poussée du Front National. J’ai regardé également les résultats des derniers votes pour des zones similaires du Doubs et du Jura on y retrouve la même poussée.


  • (---.---.232.107) 20 février 2006 10:05

    La montagne où vous habitez est un contexte particulier, en général plus pauvre que la moyenne.

    D’ailleurs vous soulevez un métier exemplaire des régions en vieillissement : le coiffeur ! C’est le baromètre d’âge d’une région ou d’un quartier ... et comme vous les soulevez, mal rémunéré. mais regardez les tarifs de Saint Algue : au-delà, bien des gens se privent de coiffeur. Alors ?

    Doubs, Jura, Frant National, ... je cherche d’ailleurs un lien entre la « distribution » et les vote politique : si vous avez des éléments, je suis preneur.

    Le lien de vote dans cette région a été détectée en 2002 plus par la psychose de la violence que par la réalité.


  • (---.---.52.97) 1er mars 2006 09:33

    Bravo pour cet excellent article. Je paratage l’analyse, mais il existe encore d’autres solutions. Le modèle économique n’est pas mort.


  • michel (---.---.35.106) 1er mars 2006 09:37

    Bravo, excellente prospective, dommage que les enseignes ne tiennent pas compte de nos idées, de nos réflexions...(voir mon blog :http://liberge.over-blog.com/) Il faut sauver le soldat hyper ! Ne soyons pas utopique, les soldat hyper va mourrir seul, il n’a jamais su et désirer se faire suffisement d’amis par le passé...Laissons ce concept avoir une fin de vie dans la dignité...Il existe des gens qui pourraient l’accompagner, mais nous sommes la plupart du temps non écouté.. je parle de nous ; LES clients...


  • Thibaut Bayart (---.---.178.8) 10 mars 2006 16:31

    Repéré grâce au magazine papier Linéaires faisant référence à un article publié par Philippe Cahen sur Agoravox, je conseille la lecture de cet article. Si j’étais patron d’une chaîne d’Hypermarchés cela me ferait froid dans le dos, et me


  • (---.---.176.237) 29 avril 2006 13:55

    Combien de centrales d’ achat pour la France ?

    Le traité de Rome n’ a-t- il a eu pour but d’ abolir les monopoles ?

    N’ est- elle pas monstrueuse , cette concentration de pouvoir entre les mains de quelques distributeurs ?

    Auteur de ce texte,essayez seulement de prendre rendez-vous chez un de ces grands distributeurs,pour leur vendre votre camelote,ce sont des Dieux,ils vous déshabilent même si vous êtes à poil.Vous leur parlez produits,ils vous parlent ristourne,marge arrière,tête de gondole,remises de fin d’ année,catalogue.

    Une partie des problèmes en France vient de cette concentration et de son pouvoir. Personne ne le dit jamais,n’ est-ce pas curieux ?

    Bien sur il fallait sans doute une évolution au petit commerce,mais pour autant fallait-il l’ écraser ?

    A quel endroit se trouve le côté humain de la grande distribution,à part sur le maillot de foot du club du coin,après de nauséabondes discussions concernant les retombées de cette réclame sur le dos de don client.

    Mort au soldat HYPER

    ROCLA


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