Réformes structurelles et politique macroéconomique en Europe
En juillet dernier, vous proposant de réfléchir à la politique économique, j’écrivais : Comment arriver à un rythme annuel de croissance économique d’au moins 3% ?
La réponse classique que nous fournissent les spécialistes français et internationaux tient à nouveau en deux mots : « réformes structurelles ». Et derrière ces deux mots, il y a toute une série d’actions à moyen et long terme, dont les comparaisons avec les pays qui connaissent ou ont connu une croissance soutenue permettent d’établir la liste : réduction des impôts et de l’endettement, réforme de la sécurité sociale, réforme du marché du travail, réforme du système éducatif, réforme de l’État, etc. Et, bien entendu, ces spécialistes ont raison !
Le problème, c’est que dans l’environnement dépressif actuel, et avec la crise de confiance qui affecte notre pays, aucune de ces réformes indispensables n’a de chance d’être menée à son terme avec succès, le temps et les marges de manœuvre nécessaires n’étant tout simplement pas disponibles. Il faut donc une stratégie à court terme, qui remette la machine économique en marche, de manière à retrouver une capacité d’agir à moyen et à long terme.
Je suis heureux de constater aujourd’hui que des économistes éminents relativisent la « thèse dominante » selon laquelle le retard de croissance européenne ne tiendrait qu’à « la combinaison de l’inachèvement de l’intégration européenne et de l’insuffisance, au niveau national, des réformes structurelles (celles notamment se rapportant au marché du travail et au marché des biens et services) », et qu’ils mettent l’accent sur « le caractère défaillant du système de politique économique dont l’Europe est dotée » et sur le postulat dit de « séparabilité » selon lequel « les politiques macroéconomiques et les politiques structurelles peuvent être menées de manière indépendante ».
Ce sont là quelques-unes des observations contenues dans le rapport que Philippe Aghion, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry ont élaboré pour le Conseil d’analyse économique, placé auprès du Premier ministre, sur « Politique économique et croissance en Europe », dont le résumé figure en annexe de cette note.
Parmi les commentaires les plus pertinents de ce résumé, en attendant de pouvoir disposer du rapport complet, je retiendrai celui-ci :
« La question n’est pas (...) de savoir s’il faut faire des réformes, mais plutôt de comprendre pourquoi il existe des obstacles à leur mise en œuvre.
Les difficultés auxquelles les gouvernements des pays européens se heurtent sont de deux types.La première vient de ce que les perdants potentiels aux réformes s’y opposent, et réussissent souvent à en atténuer la portée. La seconde tient à la nature même des réformes, qui sont coûteuses à courte échéance en termes de croissance et d’emploi, leurs effets positifs ne se matérialisant qu’à moyen terme, de sorte que les gouvernements sont peu incités à en faire.
L’accompagnement des réformes par des politiques macroéconomiques expansives, soit pour indemniser les perdants, soit pour amortir leur impact à court terme, faciliterait leur acceptabilité politique et la capacité des gouvernements à les mettre en œuvre. En Europe, seuls quelques pays comme la Suède, au milieu des années 1990, ont mené une stratégie de ce type, avec un grand succès.
En fait, le cadre macroéconomique européen permet difficilement à l’Europe d’appliquer une telle stratégie. Les politiques budgétaires nationales sont encadrées par le pacte de stabilité et de croissance, et la règle des 3 %, tandis que la politique monétaire est orientée vers la stabilité des prix. Quant aux politiques structurelles, elles sont envisagées séparément. »
L’absence d’un gouvernement économique européen en situation de définir et de mettre en œuvre une véritable politique économique à l’échelle du continent a pour conséquence que l’économie y est pilotée de manière chaotique et désordonnée, par référence à des critères partiels, comme la stabilité des prix, et au travers d’institutions comme la Banque centrale européenne, qui n’ont qu’un champ d’action limité. Ainsi, l’Europe n’est pas en état de mener la politique contre-cyclique dont elle peut avoir besoin pour relancer la croissance : sa désorganisation l’en empêche, et la gestion juridique des déficits par le biais du pourcentage aussi magique qu’arbitraire de 3% le lui interdit dans les circonstances présentes.
Les auteurs du rapport, avec une détermination digne d’éloge, proposent une série de mesures palliatives, comme on parle de soins palliatifs en médecine, destinées à améliorer la gouvernance économique de l’Europe. La seule difficulté est qu’en cassant le processus de construction politique de l’Europe par leur rejet du traité constitutionnel, les Français et les Néerlandais ont laissé peu de chances de succès à de telles tentatives, ou en tout cas, ont reporté aux calendes grecques leur éventuelle mise en oeuvre.