samedi 17 mai - par Laurent Herblay

Tesla, Bitcoin : anatomie d’une bulle spéculative

Mes papiers sur Tesla, puis le Bitcoin du début d’année m’ont permis une plongée rapide dans la bulle spéculative qui entoure ces deux valeurs. Une véritable expérience sociologique, révélant des comptes de réseaux sociaux dédiés à leur promotion, l’illustration moderne des esprits animaux dont parlait Keynes et de la douce folie qui peut prendre marchés financiers et investisseurs

 

Quand une foi remplace toute raison 

Il faut reconnaître que l’histoire autour de ces deux valeurs a quelque chose qui peut justifier une forme de foi. Comme je le détaille dans le dernier numéro de Front Populaire, le Bitcoin est un exercice de communication particulièrement habile, qui a autant sa place dans l’étude des innovations numériques (avec la blockchain) que dans les écoles de communication (avec une histoire digne des meilleures écoles de marketing). Tesla, pour sa part, a pu représenter le nouvel Apple, dont les voitures allaient être à la voiture ce que l’IPhone a été au téléphone. La croissance époustouflante de l’entreprise, de 2020 à 2023, et sa rentabilité, pouvait justifier une valorisation exceptionnelle, d’autant plus que Tesla a plusieurs cordes à son arc, diversifiant son chiffre d’affaires dans l’énergie et investissant dans la robotique. Mais dans les deux cas, la plongée dans la bulle qui les entoure montre bien que l’on sort de toute rationalité.

En février, à la publication des résultats 2024 de Tesla, j’ai publié un papier, qui, s’il souligne la réussite assez extraordinaire de l’entreprise, pointe que sa valorisation est totalement extravagante, dix à vingt fois supérieure aux multiples de l’industrie. Alors, l’action Tesla valait encore plus de 370 dollars, soit une valorisation de plus de 1100 milliards de dollars. N’étant pas le seul à questionner le potentiel de croissance de l’entreprise et la chute de sa rentabilité, la première correction a été spectaculaire, Tesla perdant à un moment 50% du pic de valeur atteint fin 2024. Les résultats du premier trimestre sont pires qu’anticipés par les analystes : les revenus chutent de 9% (et 20% pour l’automobile). Les profits s’effondrent de 71% (alors qu’ils avaient déjà reculé de 50% en 2024). Pour couronner le tout, pour qui lit les résultats, Tesla n’est parvenu à gagner de l’argent que grâce aux crédits réglementaires, qui viennent notamment de l’UE

Bref, les problèmes de croissance et de rentabilité apparus en 2024 s’amplifient gravement en 2025. A un ami qui objectait que le Cybertruck allait monter en puissance, la chute de 24% des livraisons des modèles autres que les modèles 3 et Y semble indiquer que l’échec du 5ème modèle de la gamme est scellé. Pire, le premier trimestre est de loin le plus petit en revenus, ce qui n’augure rien de bon pour les comparatifs des prochains trimestres. Bien sûr, il est encore possible de pointer la montée en puissance du Model Y restylé, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le restylage du Model 3 fin 2023 n’a pas apporté une grande dynamique commerciale pour Tesla en 2024, avant même les errements politiques d’Elon Musk. Là, ce relancement va souffrir d’une image de marque très dégradée en Europe, qui continuera à peser sur les ventes. Et on peut douter que les tensions commerciales entre Washington et Pékin soit un terreau favorable aux ventes de Tesla en Chine, même si les voitures sont fabriquées localement.

Bref, les perspectives semblent assez sombres, même si un modèle plus économique est annoncé pour ce trimestre et si Elon Musk s’éloigne de la politique. Les questions sur la valorisation délirante de Tesla me semblent d’autant plus justifiées. Rappelons ici que Tesla vaut encore 18 fois plus que Daimler Benz, dont le chiffre d’affaires est pourtant près de deux fois supérieur, résiste mieux (CA -7% vs -9%) et est davantage profitable. Et après une mauvaise année 2024, il ne s’agit pas d’un accident conjoncturel, mais bien d’une vraie difficulté stratégique. En cela, le rebond de l’action Tesla, confirmé après la publication des résultats, apparaît comme un épisode digne des Tulipes du 17ème siècle. Les résultats du premier trimestre auraient dû pousser l’action encore plus bas. Ils sont le signe manifeste que le jugement des marchés sur Tesla dépasse complètement le champ du rationnel pour tomber dans une forme de croyance ou de foi délirante. Plus haut est le cours de Tesla, plus dure sera la chute contre le mur de la réalité.

Mais après tout, l’exubérance irrationnelle des marchés financiers n’est pas une nouveauté. Cela fait des siècles que les investisseurs, y compris les plus riches, et ceux qui sont présentés comme les plus avisés, font des paris qui, après un effondrement, apparaissent comme totalement déraisonnables. En cela, l’examen rapide des liens communiqués par un contradicteur Tesla-fan est instructif. La moindre bribe de nouvelle positive est montée en épingle, sans la moindre mise en perspective, des informations à la véracité questionnable sont transmises, avec un ton grossier qui reflète sans doute l’incapacité à opposer des arguments solides et structurés aux personnes qui questionnent la valorisation de ce veau d’or du 21ème siècle. Le simple nom des comptes de réseaux sociaux (Tesla Bull…) indique que la distance critique est exclue. S’agit-il d’une simple entreprise de relations publiques destinée à entretenir un buzz positif pour soutenir le cours de l’action en dépit des résultats de l’entreprise ? 

Les mêmes phénomènes sont à l’œuvre sur le Bitcoin, et il est piquant de noter que les périodes de tensions des marchés poussent souvent son cours à la baisse, comme si au fond d’eux, ils savaient bien que ce ne sont pas des valeurs sûres. En tout cas, merci pour cette plongée sociologique dans la fabrique des bulles financières. Dans le climat actuel, les prochains mois et les prochaines années promettent d’être passionantes pour ceux qui ne jouent pas leur argent sur les tulipes de ce siècle.

 



8 réactions


  • Krokodilo Krokodilo 17 mai 14:09

    Je ne comprends pas que personne, à l’ONU, ne lance une initiative pour inciter les Etats à interdire les monnaies numériques, cette aberration écologique, inutile, spéculative, largement utilisée par les mafieux, et polluante au possible par sa consommation toujours croissante d’énergie.


    • Seth 17 mai 14:36

      @Krokodilo

      J’ai eu comme vous beaucoup de mal à comprendre comment un quidam pouvait créer une mauvais comme ça, entre le fromage et le dessert ou sur les cagoinsses en cas de constipation, ayant toujours eu l’idée saugrenue que seuls les états pouvaient battre monnaie.

      Je vieillis, je vieillis....  smiley


    • Seth 17 mai 14:37

      @Seth

      créer une mauvais

      créer une monnaie. Oups !


    • Krokodilo Krokodilo 17 mai 16:24

      @Seth Mauvaise monnaie ?! L’avenir le dira, tout ça au nom d’une indépendance vis-à-vis des banques centrales, du libertarisme anti-étatique.


    • Yaurrick Yaurrick 17 mai 19:56

      @Krokodilo
      L’intérêt du bitcoin est justement d’être complétement indépendant des états. Et au vu de la dépréciation des monnaies étatiques, je ne peux pas donner tort à l’existence du bitcoin.


    • Eric F Eric F 18 mai 10:54

      @Krokodilo & al.
      Je partage votre opinion sur le côté irrationnel de ces pseudo-monnaie dont la valeur n’est basée sur absolument rien de tangible, visant à échapper au système bancaire mais créant de fait un système spéculatif, il y a ’’enrichissement sans cause’’ de la part des créateurs et propagateurs, et utilisation pour des transactions douteuses, car quelle utilisateur honnête a besoin d’y recourir (à la rigueur tenter une ’’épargne juteuse’’ mais à risque).

      La complaisance des états à l’égard de ces monnaies parallèles rappelle celle envers une part de travail clandestin et de trafics, certains gouvernants et personnes influentes y trouvent leur compte (dont Trump, sans vergogne avec sa propre crypto), mais les transactions occultes échappent aux contrôles du fisc.

      Alors quand on nous alarme sur le phénomène d’enlèvements de proches de ’’parrains’’ des cryptos par des crapules, nécessitant protection policière et sollicitude du ministre de l’intérieur, cela ressemble à des démêlés entre truands.


  • LeMerou 18 mai 06:30

    La Cryptomonnaie !

    Quelle étrange chose ces monnaies, ou presque du jour au lendemain en exagérant un peu ont peut passer du statut de milliardaire à millionnaire ou l’inverse. Bref, devenu le produit ultime de spéculation d’un monde capitaliste qui ne sait plus quoi faire pour s’enrichir encore plus.

    Décriées hier par les « Banques », presque adulées aujourd’hui, tellement les gains peuvent être énormes. Dans le champagne des profits il y a des bulles et celles ci en font partie. La soit disant indépendance monétaire est partie en fumée depuis pas mal de temps. 

    La survalorisation de Tesla, n’a rien d’étonnant non plus, qu’est ce que sont les Bourses d’aujourd’hui ? Ayant gaiment dérivée de leur utilité première. Sans compter non plus sur les fameuses agences de notations ou commissions de régulation, qui ne voient rien venir, ou trop tard.

    Alors il est vrai que depuis ma petite fenêtre de quidam, non rompu à la finance et toutes les subtilités les accompagnant, l’humble Gaulois que je suis, trouve ça assez hallucinant et d’une dangerosité diabolique, si la frénésie impensable régnant dans les salles d’échanges ne fait pas peur.... Tout s’achète tout se vend, sauf la bêtise, le mensonge et la connerie, car ils seraient hors cotation.

    Mé bon ça fait tourner le monde dit-on, une Bourse tousse pour une raison quelconque le monde va mal. J’ai noté après l’élection de M. TRUMP les constats médiatiques d’un effondrement Boursier Mondial de quelques %, regagné le lendemain, voir même un peu plus qu’avant.

    Après une bonne peur, il faut se réjouir non ? 

    J’ai noté cette phrase

    « Dans le climat actuel, les prochains mois et les prochaines années promettent d’être passionnantes pour ceux qui ne jouent pas leur argent sur les tulipes de ce siècle. »

    Je ne suis pas d’accord, elles ne seront pas passionnantes, elles seront dramatiques, car si certes elles ruinerons quelques uns, elles entrainerons la ruine des autres n’ayant rien demandé. Maxi crise de 1929 en perspective à mon sens sûrement, car les Banques ces grandes « vertueuses », ayant compris, nous ayant jurés après la dernière crise en date, d’être plus « prudentes » de « s’autoréguler », bref des mots rien d’autres, comme en prononce nos politiques, auront investies en masse dans ces dernières, sans forcément le crier sur les toits.

    Déja qu’un dollar, un euro, ou autres ne valent plus grand chose, ou du moins, retiré la spéculation, qu’il y a t-il de concret, de palpable derrière ?

    Alors une « monnaie » virtuelle...Si l’enrichissement tout aussi virtuel (riche en rien en fait) est présent dans les tableau, malgré des « fluctuations hallucinantes ».

    Le déclin, la perte, l’effondrement cessera d’être virtuel, devant réel par je ne sais quel tour de passe passe, sera lui bien réel pour ceux qui n’auront rien gagné.


  • Seth 18 mai 19:08

    Reste que les bagnoles tesla sont imprésentables au grand dam des pseudo-écolos argentés.  smiley


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