jeudi 27 octobre 2022 - par Laurent Simon

Un rapport américain encense les succès de DASSAULT…(2) L’art et la science de Marcel Dassault pour gagner de l’argent

L’art et la science de Marcel Dassault pour gagner de l’argent, avec d’excellents avions, conçus et produits en France au moindre coût, malgré de hauts risques technologiques potentiels. Dassault Aviation, ce n’est pas seulement l’assurance d’excellents chasseurs, mais aussi de les développer à coût optimal, et à risques minimaux, grâce à ses bases de données (nombreux essais et prototypes antérieurs) et à ses méthodologies incomparables. Ce qui contraste singulièrement avec le programme F-35 états-unien, à la fois gouffre financier, déjà 15 ans en retard, et pour lequel Lockheed ne parvient toujours pas à résoudre les centaines de problèmes constatés, dont 7 très critiques. (Voir par exemple Des erreurs sur le F-35 gardées secrètes ; il restait toujours 871 problèmes à régler en février 2021, voir Le F35 américain affiche toujours des "défaillances" critiques)

Nous avons vu dans la première partie de l’article pourquoi il était important aujourd’hui de traduire de larges extraits de ce rapport Rand Corporation, 5 décennies après sa publication, dans le contexte des programmes SCAF / NGF très ambitieux, et très risqués technologiquement. Et que DASSAULT avait alors, en 1973, non seulement rattrapé l’avance prise en aéronautique pendant la 2e guerre mondiale par les britanniques, mais aussi remplacé leur position prépondérante en Europe.

Dans (2) Les performances et la polyvalence du Mirage III et de ses successeurs F1 et 2000, nous voyons que le Mirage III était non seulement devenu bi-sonique (ayant atteint Mach 2.2), mais aussi était devenu polyvalent avec le Mirage III E, dès 1961. Et que les Mirage F1 et 2000 permettaient d’effectuer plusieurs missions selon la configuration choisie au sol, et annonçaient l’extrême polyvalence du Rafale (remplaçant 5 avions différents dans les flottes françaises), sa « polyvalence élargie », et son caractère « omni-rôle », capable de plusieurs missions au cours d’un même vol. (Voir (3) Pourquoi le Rafale est objectivement meilleur que l’Eurofighter). 

Le premier chapitre du rapport détaille la personnalité de Marcel Dassault, ses choix managériaux et de recrutement (les grandes écoles françaises), et illustre par des exemples des choix décisifs de la compagnie.

Le deuxième chapitre concerne la conception des avions, l’approche générale. Le principe de base est de minimiser le risque technique, à tout moment.

Comme annoncé dans la 1ère partie, ce qui suit est extrait du rapport ou bien par une citation, ou par un résumé. Les éléments [entre crochets] sont nos commentaires, actuels.

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Le Mirage IV, un Mirage III en plus grand (homothétique)

Rapport Rand : N’importe quel avion, même considéré comme nouveau, n’inclut pas plus d’une ou deux caractéristiques majeures de conception. L’entreprise est presque totalement engagée à s’appuyer sur des prototypes pour vérifier la conception et valider de nouveaux éléments de structure, d’aérodynamique, de propulsion, etc. Presque tous les prototypes dérivent en grande partie d’un avion précédent. Avec quelques exceptions, un avion Dassault est conçu autour d’un système de propulsion disponible et très bien testé, bien que certains prototypes peuvent voler initialement avec un réacteur différent de celui prévu pour la production. … Un même prototype peut utiliser 3 ou 4 réacteurs successifs, améliorés, durant sa vie de test….

La même approche caractérise les développements de nouvelle avionique, aérodynamique, structure ou de la cellule entière. Une cellule peut être agrandie dans toutes ses dimensions, ou diminuée, sans s’éloigner de façon substantielle de l’agencement de base de son prédécesseur (comme le Mirage IV nettement plus grand par rapport au Mirage III, ou la transition du F-2 au plus petit F-1).

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Le Balzac très proche d’une cellule Dassault existante

Les changements majeurs de conception sont effectués de manière incrémentielle et indépendante. … Le prototype Mirage III V (comme ‘Vertical’) fut créé en intégrant des réacteurs prévus pour le décollage vertical dans une cellule existante, et en faisant toutes les adaptations vraiment essentielles pour tester le concept de décollage vertical. …

La philosophie de conception de Dassault est de concentrer l’effort, à n’importe quel moment, sur quelques paramètres de conception, ou sur l’intégration d’un petit ensemble de caractéristiques de conception dans un design existant. …

[On retrouve ici un des principes sous-jacents aux méthodes de gestion de projet dites « agiles », qui sont particulièrement bien adaptées aux projets complexes, dans un environnement complexe (cas de la conception d’un avion) : l’accent est mis alors sur ce qui fait la complexité, le risque (la nouveauté), pour se concentrer sur ces aspects, et pouvoir gérer au mieux l’ensemble du projet. (voir plus loin).

Marcel Dassault et ses ingénieurs ont là aussi été visionnaires, puisque le management de projet agile a été formalisé 5 décennies plus tard, par exemple en 2001 avec le ‘Manifeste’aux Etats-Unis. En France, des chercheurs publiaient de leur côté à la même époque un document sur le management de projet, distinguant les projets selon leur complexité technique et/ou organisationnelle et humaine : les techno-projets ‘seulement’ complexes technologiquement (compliqués), les ‘projets complexes’ pour des raisons humaines et/ou organisationnelles (ce qui ajoute des incertitudes significatives), et les projets ‘épineux’, complexes sur les deux dimensions (Voir schéma ci-dessous).

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Les ’techno-projets’, versus les projets ’épineux’

Est-il besoin de dire que les projets d’avion, innovants, soumis aux aléas politiques, aux difficultés des coopérations entre entreprises et potentiellement entre différents pays sont des projets ‘épineux’ ? Les nombreux éléments, de contexte notamment, donnés dans (2) Les performances et la polyvalence du Mirage III et de ses successeurs F1 et 2000 (à paraître) montre par exemple que ce sont les circonstances qui ont fait exister le Mirage F1, inattendu et développé par Dassault sur fonds propres, plutôt qu’un des (nombreux) projets soutenus par la France à cette époque.

Et il convient donc d'utiliser non seulement des méthodologies rigoureuses et éprouvées (suffisantes pour les techno-projets), mais aussi des approches prenant en compte ces complexités humaines et organisationnelles, ce qu'ont réussi les ingénieurs de Dassault de façon exceptionnelle, bien aidés par les autorités françaises, c'est patent sur le programme Rafale. Alors que Lockheed Martin et les Etats-Unis font la démonstration inverse avec le programme F-35, en ce qui concerne les aspects technologiques.

Dans « Comment manager un projet complexe et innovant, dans un environnement complexe et incertain » (à paraître), nous détaillerons ces aspects, qui complètent les explications données ici, notamment sr le management de projet agile. Et nous verrons que cela a beaucoup rapport avec le pilotage par les finalités, et donc avec l’instauration de Gagnant / Gagnant. Voir « Le Win Win : sa puissance, en France et en Europe » (série d’articles à paraître) ]

Rapport Rand : La conception est confiée à de petites équipes de concepteurs hautement compétents et habitués à travailler ensemble.

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De petites équipes, pluridisciplinaires, ayant l’habitude travailler ensemble, comme dans les équipes ’agiles’

[Ce point est un autre principe de base des processus « agiles » de gestion de projet Et Marcel Dassault insiste sur les compétences généralistes des ingénieurs, capables de dessiner un avion entier, même si leur travail ne porte que sur une partie de l’avion. Ce qui est un point décisif dans les processus « agiles », car cela permet d’obtenir d’excellentes solutions globales : en revanche, faire appel à des personnes très spécialisées, chacune dans leur domaine, complique beaucoup la conciliation de leurs propositions, souvent antagonistes.

Le recrutement de Dassault Systèmes pour programmer CATIA, majoritairement auprès des grandes écoles d’ingénieurs, y compris SupAéro, dès les années 1981, est également une application de ce principe, alors que relativement peu d’informaticiens étaient recrutés.]

Rapport Rand : Une fois qu’une décision est prise au sujet d’un projet d’avion, l’effectif préliminaire de conception est rapidement étendu à la taille maximale requise par l’étape de conception. Par exemple, pour le Mirage IV, l’effectif a cru de 20 à un maximum de 83 sur une période de 11 mois. Il resta à ce niveau pendant presque un an, puis passa à quasiment zéro pendant 4 mois. ….

L’approche incarne le souhait de minimiser l’investissement dans de nouveaux éléments, porteurs de ce fait d’incertitudes. La cellule et l’interface réacteur-cellule ont tendance à recevoir la plus grande part de l’effort de conception. Cependant, dans le cas du Mirage IV, un sous-système critique (le système d’armes) a absorbé environ autant d’heures de conception et de travail que les structures et l’aérodynamisme. Les problèmes d’intégration sont ‘résolus’ en exigeant que la performance du sous-système et que le fonctionnement de l’interface soient démontrés avant que les spécifications du sous-système soient approuvées.

[Ceci résulte d’une approche très pragmatique : cela permet de maîtriser la situation (le périmètre –les spécifications-, le coût et les délais) et de ne pas passer trop de temps (en limitant aussi le coût) sur un sous-système difficile à intégrer tel que cela avait été prévu. Nous comprenons que si le sous-système n’atteint pas vraiment les performances attendues, ou si l’interface avec ce sous-système ne fonctionne vraiment pas de la façon prévue, alors les spécifications du sous-système sont revues en conséquence, ce qui influe sur le système global, mais avec des conséquences (performances) et un coût acceptables. Rappelons ici que l'intégration (de sous-systèmes) représente habituellement dans les systèmes complexes les plus grandes difficultés, et ce n'est pas un hasard si le F-35 rencontre autant de problèmes : si ces questions ne sont pas traitées d'une façon spécifique, adaptée, cela devient vite totalement insurmontable !

Cela rejoint aussi (ce sont d'autres questions) ce que nous disons dans d’autres articles sur les « compromis sans compromis » recherchés (et atteints) par Dassault La faible disponibilité des hélicoptères NH 90 Caïman… l’aberration de 23 variantes et 60 standards ! (2/5) et Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (2/2)

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Les 3 versions du F-35. Qui ne pouvaient partager les mêmes pièces (objectif irréaliste)

Ceci résulte aussi en fait de la volonté d’avoir en permanence des objectifs réalistes, plutôt que de chercher désespérément à atteindre des objectifs irréalistes, donc inatteignables. Et cela contraste définitivement avec ce qui s’est produit avec le F-35 : Lockheed a par exemple cherché à obtenir 3 versions différentes (A, B décollage vertical, C navale), qui partageraient les mêmes pièces, à un très fort pourcentage, ce qui était irréaliste du fait de la version à décollage vertical. Et ce qui devait arriver arriva : non seulement cela a énormément compliqué la conception (avec d’énormes problèmes qui s’avèrent maintenant très difficiles à corriger, puisque l’avion F-35 est « mal-né »), mais cela s’est de toute façon révélé impossible, et Lockheed a eu tout faux : des versions très différentes, avec d’énormes problèmes qui semblent insolubles, sans avoir le bénéfice d’une conception différente. Voir par exemple L’un des pères du F-16 attaque en règle le chasseur F-35

De toute façon le programme F-35 illustre parfaitement tout ce qu’il ne faut pas faire, à l’opposé de ce que la Rand Corporation proposait en 1973, suggérant "aux décideurs américains en matière d'avions de combat de ne point répugner à s'inspirer de l'exemple Dassault", comme nous le disions en 2014 dans cet article : « Est-ce un hasard si le F-16 a été conçu au même moment en respectant l'essentiel des leçons tirées de ce rapport, et qu'il a au passage remporté le "contrat du siècle" face au Mirage F1 de Dassault vers 1975 ? En tout cas, force est de constater que près de 40 ans après, les concepteurs du programme F-35 ont tourné le dos à ces principes, et ce programme accumule comme par hasard : des problèmes de performance et de sécurité, des retards énormes [déjà 15 ans !] et des surcoûts impressionnants.  » Les concepteurs du F-16 sont tous à la retraite...

A contrario, les spécifications du Rafale étaient très ambitieuses, mais restaient réalistes (deux versions dont une navale mais pas de décollage vertical). Et les complexités du programme ont été gérées au mieux, par exemple comme : les paramètres généraux ont été vérifiés, validés avec le démonstrateur RafaleA réalisé en 1986 ; puis tout ce qui était spécifique à la version navale a fait l’objet de travaux approfondis, pour vérifier que cela ne remettait pas en cause la conception générale ; et les modifications pour rendre le Rafale le plus discret possible ont été effectuées ; et les dimensions ont été ajustées pour que les versions B, C et M aient 85% de pièces communes ; puis les sous-systèmes ont été spécifiés, puis ceux qui étaient porteurs de risques plus importants ont été développés, avec leur interface ; puis les spécifications ont été ajustées pour assurer l’intégration avec le reste ; s’il le fallait un ajustement complémentaire des dimensions était effectué ; etc. Ces étapes semblent plausibles, il n’est pas sûr que ce soient les vraies étapes successives, mais cela donne une idée de la progression des travaux.

Ces façons de faire seront extrêmement utiles pour le chasseur de nouvelle génération (NGF), inclus dans le SCAF, Système de Combat Aérien du Futur. Mais cela demande que DASSAULT soit effectivement maître d’œuvre pour les lots de travail critiques, contrairement à ce que demandent apparemment les industriels allemands et espagnols.

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Les « domaines de connaissances » du PMBOK (PMI)

Rappelons aussi que « l’intégration » est un aspect si important dans le management de projet ‘classique’ (non ‘agile’) que le PMI (Project Management Institute, organisme international créé en 1969) a classé le « management de l’intégration » comme le premier ‘domaine de connaissances’ sur les 10 identifiés dans le PMBOK, corpus de connaissances en management de projet. Et c’est le seul domaine de connaissance qui est présent dans tous les 5 groupes de processus (lancement, planification, exécution, suivi et maîtrise, clôture), c’est celui aussi qui contient le plus de processus, 7 sur 49. Voir par exemple ‘Project Management Body of Knowledge’ et le schéma ci-contre. Le management de l’intégration est aussi le domaine de connaissance le plus complexe, cela se constate aisément avec les processus de ‘suivi et maîtrise’, pour assurer l’intégration tout au long du projet, et bien sûr aussi en cas de modifications, ainsi que pour tenir les coûts et délais du projet.]

Rapport Rand : Les sous-systèmes électroniques et de propulsion ainsi que les interfaces avec les autres systèmes de l’avion complet sont habituellement testés en vol dans des véhicules spécialisés après les tests usuels sur des plateformes au sol. 

Bien qu’une telle technique a été appelée une approche à faible coût pour obtenir un avion, excluant des éléments de haute technologie, elle pourrait être décrite plus précisément comme un processus pour identifier aussi tôt que possible les domaines à haut risques technologiques et ainsi concentrer l’attention sur ceux-ci. Par exemple, la conception définitive des sous-systèmes hydraulique, électrique et relatif au carburant est repoussée jusqu’à ce que les caractéristiques principales de la conception de la cellule aient été définies. La probabilité d’avoir à refaire la conception de sous-systèmes majeurs de l’avion, du fait de changements tardifs de la cellule ou de la structure sont ainsi considérablement réduits.

[En fait, tout ceci est un ensemble cohérent : c’est parce que Dassault ne fait évoluer qu’une petite partie de l’avion à chaque nouveau modèle, qu’il est possible de se concentrer sur ce qui est nouveau, qui n’a pas encore été testé et validé. Et quand c’est le cas, cela permet de définir au plus juste les caractéristiques de la cellule, puis celles des sous-systèmes déjà éprouvés, à modifier de façon ajustée.]

Rapport Rand : Les contrats de développement entre Dassault et le gouvernement français sont habituellement du type prix fixe avec incitation. … Dassault utilise à la fois des techniques d’estimation de sommation et de coût paramétrique pour la planification préliminaire et la prévision, s’appuyant fortement sur des facteurs empiriques issus de 25 ans d’expérience durant laquelle l’entreprise a construit 24 prototypes d’avions militaires (sans compter les prototypes pré-production ou servant à des tests). Cela suffit à expliquer une grande part de l’apparente précision d’estimation des coûts de Dassault, l’erreur n’étant habituellement pas supérieure à 10%. L’erreur normale pour les programmes américains récents est de 40 à 80%. Les autres facteurs d’une telle justesse de prévision sont liés en résumé à l’évitement de Dassault des tâches qui représentent un risque technique substantiel. Les estimations couvrent généralement de petits incréments d’avance technique, et le fonds Dassault d'information [base de données] sur les coûts de conception, de construction et de test de matériel qui incarne de tels incréments est probablement meilleur que tout autre stock de données (base de données) similaire dans le monde occidental.

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Dassault réussit une performance bien peu habituelle. Ci-dessus les dépassements dans des projets moins technologiques !

Rapport Rand : Il est théoriquement possible que Dassault soit responsable d’une pénalité de non-performance allant jusqu’à 6% du montant total du contrat sur un programme donné.

L’entreprise maintient qu’elle n’a pas perdu d’argent sur aucun programme sur les 15 dernières années. Des critiques ont suggéré que le conservatisme de la conception de Dassault et des processus de développement exclut des pertes. Mais il y a alors un paradoxe apparent dans le fait qu’une telle aversion au risque ne se traduise pas à la fin en des avions inférieurs en performances, comme on pourrait s’y attendre.

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Mirage III V (décollage vertical), à haut risque technologique, en 1965

Pour les phases du processus de conception dans lesquelles ni le coût ni des facteurs de temps ne peuvent être définis avec précision, un prix maximum ou prix cible est stipulé sans clause d’incitation. De tels contrats couvrent des brèves périodes, éliminant la possibilité de larges dépassements. Les contrats couvrant des tests à la fois en vol et au sol, par exemple, sont souvent écrits par tranches successives d’un mois ; ce sont des contrats « pièces et main d’œuvre » [« time and material » en anglais ; la facture est comme celle d’un garagiste, décomposée en temps nécessaire multiplié par un coût horaire, et coût des pièces éventuelles nécessaires].

[L’astuce consiste donc à décomposer un programme en sous-programmes ou sous-projets, étant soit à prix fixes (au forfait) et avec incitation, quand on peut s’approcher de situations connues, soit en « pièces et main d’œuvre », mois par mois, avec un prix maximum, ce qui empêche un fort dépassement et permet de gérer au mieux la situation, dans le cas contraire.]

Rapport Rand : Les clauses de contrat relatives aux incitations mettent l’accent sur un ou deux objectifs principaux, plutôt qu’un ensemble de spécifications sur un large éventail d'excellence. Ainsi un paramètre de performance, ou un ensemble de dates clés de livraison peut être spécifié, et d’autres « jalons » ignorés. L’excellence globale est ainsi attendue, mais aussi les décisions rationnelles de compromis.

[On touche ici à d’autres aspects essentiels : on se focalise à tout instant, et sur toute partie du travail, sur ce qui est le plus important (l’excellence globale, mais aussi sur ce qui permettra d’arbitrer, pour obtenir les compromis les plus intéressants).

C’est une des 5 ‘valeurs’ (« Focus ») de Scrum, un cadre de méthodologie dite « agile » de gestion de projet, qui a été formalisé à la fin des années1990, soit beaucoup plus tard que 1973. Voir par exemple Scrum : 5 valeurs, 6 principes, 3 piliers et comment les appliquer au quotidien .

Et cette focalisation sur ce qui est le plus important concerne aussi un des 6 principes de Scrum : la priorisation basée sur la valeur (on priorise les tâches à réaliser en fonction de leur importance –en fonction du risque- et de la valeur apportée pour les objectifs du client-en décomposant en sous-systèmes hiérarchisés, à partir de la cellule et de l’interface réacteur-cellule -). Voir plus haut

D’ailleurs, 3 autres des 6 principes de Scrum sont également déjà très présents dans l’approche de Dassault :

  • processus empirique (on s’appuie le plus possible sur ce qui est connu, vérifié par l’expérience ; y compris sur les mesures empiriques, constituant une base de données servant à estimer la charge de travail, donc la durée et le coût), voir plus haut
  • délimité dans le temps (quand il y a du nouveau, les tâches sont réalisées avec un contrat « pièces et main d’œuvre », mois par mois, ce qui ressemble aux cycles courts des processus agiles), voir plus haut
  • développement itératif (on travaille sur un sous-système jusqu’à obtenir les spécifications attendues, ou si cela n’est pas atteignable, on ajuste ces spécifications et on cherche à les atteindre).Voir plus haut]

Rapport Rand : Des primes sont versées à certains personnels de haut niveau, pour atteinte d’objectifs liés à des buts spécifiés dans les contrats avec les clients. Un exemple de coûts est donné, relatif au prototype Mirage Balzac (décollage vertical).

Le but affiché de Dassault est d’obtenir le meilleur mix de capacités et de prix bas. Le mécanisme de base est la simplicité de la conception. Ce qui est le plus simple pour satisfaire les objectifs du contrat, en réutilisant le plus possible de sous-systèmes et composants existants.

Un ingénieur étant dans les 3% les mieux payés de Dassault a un salaire de base assez nettement inférieur à celui d’un américain à un poste équivalent. Mais s’il a eu une contribution substantielle aux profits de l’entreprise, son salaire de base peut être augmenté de 50 à 200%, ce qui est une incitation très forte envers un management compétent et efficient. Et ceci réduit considérablement la tendance vers une complexité technique inutile.

Les coûts totaux d’ingénierie chez Dassault pour un développement donné sont normalement de 35% à 45% ceux d’entreprises américaines travaillant sur un programme comparable. Et cela semble être plus lié à cette aversion au risque, à la présence de primes très efficaces et au peu d’attrait pour des modifications majeures du programme qu’à tout autre facteur relatif à la masse salariale.

Troisième chapitre : le contrôle du programme, la fonction du gouvernement. [Nous ne savons pas si nous aurons le temps de reprendre aussi ce chapitre. Les autres articles de la longue série « Pourquoi et comment Dassault est devenu le « meilleur athlète » (aéronautique militaire) en Europe (1) Le rattrapage français, après-guerre » vont nous occuper un certain temps]



7 réactions


  • Laurent Simon 27 octobre 2022 18:14

    Un excellent exemple : le SNCASO 4060 , ses péripéties et son destin illustrant à merveille à quel point les programmes d’avions militaires sont (aussi) très sensibles à des facteurs humains et/ou organisationnels (et politiques, budgétaires, etc). Voir Sud-Ouest SO.4060 

    ...l’Armée de l’Air abandonnait le concept du chasseur lourd, étant donné qu’un intercepteur léger comme le Mirage III pouvait remplir la même mission tout en étant plus polyvalent et moins cher. Ce fut le coup de grâce du SO.4060.


  • JPCiron JPCiron 27 octobre 2022 22:29

    Pourquoi l’Europe (dont l’Allemagne) s’offrent-ils comme cobaye pour ’tester’ les erreurs de conception et des défaillances critiques secrètes avec le F35 Américain, et ainsi nuire au futur de l’aviation européenne  ?


    Ces généraux qui proposent d’accroître ultérieurement la dépendance européenne aussi dans le domaine de la Défense, sont à mette d’office à la retraite ! Ou à enfermer comme Agent de l’étranger !!


    • Laurent Simon 27 octobre 2022 22:48

      @JPCiron La question semble simple, mais il y a plusieurs raisons probablement. J’essaierai de les traiter dans l’article à venir « L’Allemagne est-elle encore européenne ? » et d’un éventuel article « Pourquoi le parapluie américain peut être toxique pour les armées des pays européens »
      Un début de réponse à la question « pourquoi ne pas acheter français, et ne pas reconnaître la qualité des produits français ? » : les allemands ont pris l’habitude d’être protégés par Sammy, et semblent s’intéresser plus à la part de travail apportée par un programme d’armement qu’à l’efficacité opérationnelle des armements développés (contrairement aux britanniques par exemple) Voir http://www.air-defense.net/forum/topic/23594-scaf-politique-imbroglio-des-coop%C3%A9rations-des-participants/page/237/ce que dit cicsers : « ... Anglais et Américains, je parle des opérationnels, respectent le savoir-faire français en la matière, les Allemands non. »

      Mais les britanniques aussi ont acheté des F-35... (sauf que la décision était avant de constater ces centaines de défaillances !)


  • mac 28 octobre 2022 09:56

    Enfin une boîte dont nos merveilleux « amis » ne sont pas encore parvenu à prendre le contrôle où que leur armée de young leaders n’ont pas encore réussi à leur brader ?


  • mmbbb 28 octobre 2022 21:10

    Dassault a toujours « fait du social » avant les autres . C est un type qui avait compris que ce n est pas en méprisant ses ouvriers ses cadres que l on pouvait construire une boite pérenne .

    Il y a aussi cet esprit de « compagnonnage » au sein de ses équipes notamment ceux qui sont sur les chaines de production .


  • La bourde de Macron au Vatican…

    Le grand vide et l’immense moment de solitude d’Emmanuel Macron qui, à force de jouer sur le « en même temps »… se rend soudain compte qu’il vient d’affirmer dans son discours au Vatican son soutien inconditionnel au peuple russe !

    https://twitter.com/dragonduclos/status/1584685057964675072

    Le grand vide et l’immense moment de solitude d’Emmanuel Macron qui, à force de jouer sur le « en même temps »…
    Se rend soudain compte qu’il vient d’affirmer dans son discours au Vatican son soutien inconditionnel au peuple russe !…


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