jeudi 4 janvier 2007 - par Michel Monette

Yunus, les femmes et l’esprit d’entreprise

Muhammad Yunus était accompagné de neuf Bangladeshies lors de la cérémonie de remise du Nobel de la paix 2006, le 10 décembre dernier. Il a dédié le prix, remporté conjointement avec la Banque Grameen, aux centaines de millions de femmes qui luttent chaque jour pour que leurs enfants vivent mieux dans le futur.

Le comité Nobel norvégien dit avoir voulu récompenser le développement par le bas en décernant le prix cette année.

Il ne pouvait mieux choisir ; les sept millions d’emprunteurs de la Banque Grameen sont presque exclusivement des femmes. L’entrepreneuriat féminin que soutient la Banque nobélisée repose la plupart du temps sur la micro-entreprise du secteur informel.

Du haut vers le bas

Dans les années 1950, 1960 et 1970, développement économique signifiait « grands ensembles industriels dont l’essor s’inscrit dans le cadre de la stratégie industrielle de l’État » (Améziane Ferguène, 2003, p. 3). Ce sont les fameux « pôles de croissance » auxquels on prêtait des « effets d’entraînement et de diffusion ».

Cette « belle construction intellectuelle », nous dit Ferguène, a fait long feu. Pire,

« ...la promotion de pôles industriels semble avoir accru les déséquilibres économiques et sociaux dans l’espace environnant ; la non-articulation entre agriculture et industrie a nourri la désertification rurale, le déclin du tissu économique traditionnel local s’est accéléré, les migrations se sont généralisées » (Ferguène citant Cl.Courlet, Territoires et Régions  : les grands oubliés du développement économique, l’Harmattan, Paris, 2001, p.17).
La logique du « développement par le haut » a depuis lors cédé le pas devant de nouvelles logiques de « développement par le bas », tout au moins dans l’approche dominante du développement.

Cela ne veut pas dire pour autant que le développement reposerait essentiellement, précise Ferguène, sur ces acteurs isolés que sont les fameux entrepreneurs individuels de Joseph Schumpeter qui « révolutionnent sans cesse les processus de production ».

Les institutions locales et régionales, par leur rôle d’animation et de régulation, interviennent de façon tout aussi active que ces entrepreneurs innovateurs.

De fait, les dynamiques d’acteurs et de réseaux sont indissociables dans le mode de développement par le bas. La Banque Grameen est justement une de ces institutions qui entend jouer un rôle d’animation et de soutien à l’entrepreneuriat individuel des Bangladeshies mis en réseau.

D’ailleurs, celle qui emprunte ne le fait jamais de façon isolée. Elle doit faire partie d’un groupe de cinq femmes qui sont responsables chacune individuellement de la capacité de la suivante sur la liste à emprunter. Si une femme faillit à rembourser son prêt, la suivante ne peut pas emprunter.

Le micro-crédit, cheval de Troie du capitalisme ?

Certains reprochent à son fondateur de proposer des solutions occidentales aux problèmes des Bangladeshis.

Son instigateur Mohammed Yunus est Bengali (sic). Néanmoins, il n’a pas ciré les bancs des facultés du Bangladesh mais celles des États-Unis. Son projet est donc largement inspiré d’un mode de vie, d’un enseignement occidental qu’il veut instaurer au Bangladesh.

Face à la mondialisation : un autre développement ? No Pasaran n°88, Juin-juillet-août 2001.

Morgan Brigg (Empowering NGOs : The Microcredit Movement Through Foucault’s Notion of Dispositif) va plus loin. Il soutient que le microcrédit s’inscrit dans un ensemble d’initiatives et de discours « développementalistes », un dispositif qui accroît la pénétration du néolibéralisme dans le Tiers Monde.

Pourquoi la Banque Grameen s’adresse-t-elle essentiellement aux femmes ? « We focused on women because we found giving loans to women always brought more benefits to the family », répond Yunus. Les cyniques diront qu’elles sont plus malléables et adhèrent plus facilement au mode de vie occidental que les hommes.

Normal, répliqueront les autres, vu que les hommes y perdent le pouvoir dominateur qu’ils exercent sur leurs compagnes.

Qui dit vrai ? Une chose est certaine, les Bangladeshies ont tellement à coeur le bien-être de leur famille que celles qui travaillent ailleurs au Moyen-Orient ont envoyé chez elles en moyenne 72% de leur salaire, constate le dernier rapport annuel du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA).

ThePeopleSpeak-Muhammad Yunus, Nobel Peace Prize Winner (part 2)

Nobel Peace Concert 2006. Oslo, Norway.

Nobel lecture. Muhammad Yunus.



5 réactions


  • Démosthène (---.---.32.39) 4 janvier 2007 14:10

    Salut, Joli cadeau, que ce prix Nobel ......

    Pour un banquier qui s’enrichit sur la misère des petits à des taux USURIERS ( parfois plus de 20% !! )

    Ca en dit long sur nos sociétés, ou même ce genre d’acte est mis en exemple !! @+


    • eugène wermelinger eugène wermelinger 4 janvier 2007 16:56

      @ l’auteur et à Démosthène : Si l’affirmation de Démo.. est vraie, je suis outré, ayant jusqu’à présent eu une opinion positive sur ce sujet. Un type qui alors mériterait la corde. Merci de faire les recherches nécessaires pour confirmer ou infirmer les pratiques usurières de cet intouchable ?


    • Michel Monette 4 janvier 2007 19:03

      Voici ce que j’ai trouvé là-dessus :

      « La banque Grameen du Bangladesh est incontestablement pionnière. Il semble bien qu’elle constitue un modèle remarquable : elle-même reste, des années après la mise en place du système, une vraie banque coopérative, contrôlée par ses « clients ».

      Le niveau des taux est cependant très élevé, pour de bonnes raisons (couvrir les frais de gestion) et de moins bonnes (rémunération d’autres banques). Que ce modèle ne puisse être exporté partout tel quel est presque évident, mais ce n’est pas une raison pour justifier n’importe quelle variante locale. »

      Forum Arrêt sur images.

      En complément : Microcrédit, outil fragile, par Isabelle Guérin et Marc Roesch.

      Un peu de recul critique ne fait jamais de tort.


  • Stf (---.---.33.130) 5 janvier 2007 11:41

    Voici un lien vers un débat sur ce sujet entre Vandana Shiva et une personne de la Grameen Bank.

    (désolé c’est en anglais)

    http://www.democracynow.org/article.pl?sid=06/12/13/1451225&mode=thread&tid=25

    IMHO tout outil permettant de sortir des millions de gens de la pauvreté est bon à prendre, surtout quand il le fait de facon « coopérative » comme celui-ci.


  • Démosthène (---.---.32.39) 5 janvier 2007 12:58

    Salut,

    Le seul avantage qu’on doit leur attribuer, c’est leurs moyens financiers importants et le fait qu’ils sont pratiquement les seuls à accepter des micro crédits.

    Les ONG qui le font aussi à des taux plus raisonnables ( 4%) n’ont pas leurs niveaux de disponibilités financières. Bref, c’est l’appologie du « même à ce prix, c’est mieu que rien »

    @+


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