lundi 15 février 2016 - par Roland Gérard

ABC et la biodiversité devient un patrimoine appartenant à tous

En fait ça bourdonnait. En fait c’était vivant, riche, coloré et il y avait de l’enthousiasme à toutes les tables. Nous sommes dans une salle municipale à Saint-Clément de Rivière à quelques kilomètres de Montpellier le 13 février 2016 et l’expérience qui s’y déroule n’est pas banale, elle est même assez unique. Le public passe de la table « oiseaux » à la table « herpétologie », puis à la « botanique »… les échanges sont intenses. J’y suis allé en me disant qu’il n’y aurait sans doute pas grand monde, « ça intéresse qui la biodiversité ? » et voilà que ça déplace le monde le samedi. Je m’étais trompé.

L’Atlas de la Biodiversité Communal

Depuis le début de l’année universitaire les trente étudiants du master 1 Ingénierie en Ecologie et en Gestion de la Biodiversité de l’Université de Montpellier agissent dans le cadre de l’ABC. L’Atlas de la Biodiversité Communal est une excellente initiative soutenue par le ministère de l’écologie. Cette personne qui la première a dit « ABC » a été inspirée, je ne la connais pas et lui rend hommage. L’idée est simple : incitons les communes à faire un inventaire faune-flore de leur territoire. Il s’agit en fait de faire trois choses : sensibiliser et mobiliser la population en faveur de la biodiversité, mieux connaître la biodiversité sur le territoire d’une commune et identifier les enjeux spécifiques et enfin faciliter la mise en place de politiques communales ou intercommunales qui prennent en compte la biodiversité, que du positif.

Ils ont entraîné leurs parents

Ainsi à Saint-Clément après avoir entamé leurs inventaires selon six « taxons » : mammifères, oiseaux, insectes, chauves-souris, botanique, herpétologie, après avoir fait du terrain, posé des pièges photo, inspecté les mares, capturé des insectes, suivi les chauves-souris au radar… les étudiants forts de leurs connaissances sont allés à la rencontre des élèves de la maternelle et du primaire, et la rencontre a été très féconde. Non seulement les enfants ont montré qu’ils étaient très intéressés mais en plus ils ont fait des dessins reprenant ce qu’il avait compris, puis ils ont entraîné leurs parents à l’exposition-animation du samedi. Comme dit une étudiante du groupe chauve-souris : « Quand on a commencé à parler des chauves-souris aux enfants, certains ont exprimé leurs peurs : - ça mange du sang, ça s’accroche aux cheveux… - et à la fin de nos travaux avec eux l’image de la chauve-souris est ressortie un peu plus positive. ». Ils savent maintenant les enfants que les chauves-souris mangent des moustiques, ce qui est bon pour leur tranquillité, qu’il y en a plus de dix espèces et qu’elles sont menacées !

Un étudiant connaît bien l’animation nature

Les méthodes pédagogiques employées par les étudiants sont actives, les enfants participent. Un enfant doit dire un nom de mammifère quand il reçoit la balle, les enfants doivent classer des photos d’animaux : dans un premier tas on met les photos de mammifères, dans le deuxième les photos des autres animaux. « Comme ça les enfants finissent par découvrir les critères qui font qu’un animal est un mammifère ou pas » dit Maël étudiant qui, est-ce un hasard, a vécu beaucoup de colos au gite des Ecouges dans le Vercors : « paradis de l’animation nature, c’est ma deuxième maison » dit-il et est-ce un hasard, il a passé son BAFA au Merlet  : « c’était génial, excellent… ».

Le maire a envie de continuer

L’expo organisée et les animations qui vont avec ont duré deux journées. Le vendredi c’était réservé aux classes. Les enfants ont pu retrouver les connaissances acquises précédemment, voir leurs dessins exposés, retrouver les étudiants avec lesquels une complicité s’est établit autour de l’animal et encore poser des questions. Le samedi ouverture au grand public, une centaine d’adultes ont fait la visite et une cinquantaine d’enfants les accompagnaient. Lors de l’inauguration Olivier Thaler le responsable du master dit que : « … la pédagogie de projet exige des intervenants et des complices à la mairie, à l’école… », le maire de la petite ville de Saint-Clément Rodolphe Cayzac dit : « … on va essayer de continuer… », il a déjà envie de faire des bilans comparatifs. Il n’est pas interdit de penser qu’on est au début de quelque chose dans ce territoire appartenant à la communauté de commune du Grand Pic saint-Loup.

Quatre grandes leçons à retenir

La première c’est : ha ce que c’est bon quand la fac sort de ses murs et vient au contact des acteurs du territoire pour agir avec eux. La deuxième c’est que c’est facile de sensibiliser les élèves à la biodiversité, il suffit de s’appuyer sur les étudiants et de les laisser faire avec leur enthousiasme et leur créativité, ils ont des ressources insoupçonnées et un goût important de la transmission. La troisième c’est que la biodiversité est un sujet qui intéresse le public et en particulier les enfants, on le savait déjà, c’est confirmé une fois de plus. La quatrième c’est qu’avec cette action les habitants des communes vont prendre conscience qu’ils sont à la tête d’un patrimoine spécifique, unique, souvent bien plus riche qu’ils ne le pensaient auquel leurs enfants sont attachés et que par leur action ou leur négligence ils peuvent le perdre ou l’enrichir. L’ABC responsabilise.

La biodiversité au bilan du mandat de la municipalité

Les étudiants eux sont ravis de cette expérience, ils disent : « C’est chouette l’éducation des enfants et c’est épuisant ». Les enseignantes sont aussi très heureuses de l’expérience, du côté des parents, il suffisait de regarder les têtes des papas et des mamans pour voir comme ils appréciaient la situation. Deux grands bénéfices apparaissent évidents. Le premier c’est que ça ne fait aucun doute qu’avec cette expérience des étudiants ont découvert que transmettre son amour et sa connaissance de la nature c’était un métier passionnant et représente une ouverture pour eux. Le deuxième c’est qu’en investissant bien peu on déclenche un intérêt de la communauté villageoise pour sa biodiversité et ça, ça n’a pas de prix pour l’avenir. J’ignore à ce jour si des expériences de même nature se déroulent dans d’autres territoires avec d’autres universités ou autres structures. J’imagine que oui, j’imagine aussi que tout ça est tellement pertinent qu’immanquablement ça va se développer et qu’un jour c’est certain dans toutes les communes le maire en fin de mandat sortira son ABC et sera fier de montrer que la commune abrite plus d’espèces vivantes qu’au jour de son élection parce que la biodiversité c’est comme l’intelligence, c’est un patrimoine mais c’est aussi une conquête de tous les jours et que les résultats d’une politique sont visibles et quantifiables.

Roland Gérard

Co-directeur du Réseau Ecole et Nature



1 réactions


  • Francis, agnotologue JL 15 février 2016 10:25

    Merci pour ce reportage et cette réflexion : c’est là notre avenir, et pas dans la croissance des profits, c’est clair.

     
    Quel contraste entre ces deux mondes que sont celui qu’on peut espérer à travers cette expérience que vous relatez et celui que nous imposent ces démons déchaînés décrit par Vincent Verschoore dans son article de ce matin : Zika, syndrôme de corruption avancée

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