Changement climatique : l’UE mettra-t-elle les compagnies aériennes à l’amende ?
Environnement 1 - Compagnies aériennes 0 A une large majorité, les députés européens ont voté en faveur de l’inclusion du secteur aérien dans le système d’échange des quotas d’émission, et de la fin des exemptions de taxes sur le kérosène. En tant qu’arbitre du match entre intérêts environnementaux et intérêts économiques des compagnies aériennes, l’UE n’est plus très loin de trancher en faveur des premiers. Mais la fin de la première mi-temps n’a même pas encore sonné. Autant dire que la finale est encore loin d’être gagnée...
A voir également |
Sur Euros du Village |
> Zoom du 28 septembre 2005 : le marché des droits à polluer : où en est l’UE ? |
Sur internet, nous recommandons.... |
> Parlement européen : Le rapport Lucas > Commission européenne : Communication du 27 septembre 2005 sur la réduction de l’impact de l’aviation sur le changement climatique (PDF) > Commission européenne : révision à mi-parcours du livre blanc sur la politique européenne des transports de l’UE > Groupe des Verts au Parlement européen : changement climatique et aviation > International Air Carrier Association : « IACA décerne un carton rouge au Parlement européen » (en anglais) |
> La rubrique "Actu" < |
Les compagnies aériennes ne sont pas contentes. Jusqu’ici privilégiées par des régimes légaux et fiscaux plutôt cléments - exemptions de taxes sur le kérosène par exemple - elles voient désormais ces avantages clairement menacés. La législation européenne autorise bien depuis 2003 les Etats membres à taxer les carburants pour les vols intérieurs, mais pour l’instant, face à la pression des puissants lobbies de l’aérien, seuls les Pays-Bas avaient osé le faire, et encore, à petite dose. Or, au sein du secteur des transports, qui contribue abondamment aux émissions de CO2 (21% des émissions totales), l’aérien est de loin le plus polluant, avant la route : un voyage en avion, par kilomètre et par personne, émet en moyenne 70 fois plus de CO2 qu’un trajet en train ! La révision du Livre blanc sur la politique des transports de l’UE, rendue publique le 22 juin dernier, prévoit que l’activité du secteur des transports aérien devrait en outre croître de 108% d’ici à 2020, et émettre en volume de CO2 plus du double de ce qu’il émettait en 1990.
Avec la libéralisation du secteur et le développement des compagnies à bas coût (« low cost »), le transport aérien a connu une croissance considérable au cours des dernières années, avec certes des effets bénéfiques pour l’économie et les consommateurs, mais des conséquences écologiques néfastes à la hauteur : on prévoit une augmentation de 3,5% aujourd’hui à 5% en 2050 de la part totale des émissions de CO2 en Europe dues au secteur aérien.
... à « pollueur-payeur »
La Commission avait donc décidé d’agir, dès le 27 septembre 2005, en publiant une communication sur la « Réduction de l’impact de l’aviation sur le changement climatique », et ouvrait des consultations, comme nous vous en parlions déjà en septembre 2005 sur « Euros du Village ». Le Parlement européen, mardi 4 juillet 2006, a décidé d’enfoncer le clou, en votant à 439 voix pour (74 contre et 104 abstentions) un rapport d’initiative sur la question, porté par la députée britannique verte Caroline Lucas. S’il ne s’agit que d’un avis n’ayant pas de valeur obligatoire, il est probable que ce rapport ait un impact sur la proposition législative que la Commission compte publier fin 2006 et qui engagera, cette fois, un processus dans lequel le Parlement aura un pouvoir législatif prépondérant. D’ici là, il faudra s’attendre à une campagne de lobbying particulièrement intense de la part des compagnies aériennes, représentées à Bruxelles par l’International Air Carrier Association (IACA), à laquelle répondront notamment les ONG environnementalistes (Greenpeace en première place), les représentants des chemins de fer et le groupe des Verts au Parlement européen. La position du Parlement est en effet particulièrement volontariste...
Transports et environnement : les questions clefs |
Le secteur des transports et « l’internalisation des coûts externes »
Malgré
son intitulé un peu technique, la question de « l’internalisation des
coûts externes » est fondamentale dans le secteur des transports au
niveau européen, comme au niveau national voire mondial. Opposant
grosso modo les modes de transports les plus polluants aux moins
polluants, cette question constitue le cheval de bataille des
compagnies de chemin de fer face à l’aérien, mais surtout à la route
(représentée par les constructeurs automobiles, mais aussi les
gestionnaires d’autoroutes par exemple). Le cœur du problème est le
rééquilibrage de la concurrence entre les modes de transports,
inéquitable aux yeux des défenseurs du rail (et des pro-environnement)
: les modes les plus polluants ne contribueraient financièrement pas à
la hauteur des coûts collectifs - ou coûts externes - qu’ils induisent
(en termes de pollution, de congestion notamment), alors qu’on estime
que les effets nocifs des modes de transports coûtent chaque année 1,1%
de PIB à l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’aérien et la
route seraient avantagés, la collectivité prenant en charge la plus
grande part des investissements d’infrastructure (aéroports,
autoroutes, entretien des routes...), sans réelle contrepartie, ni de
mécanisme régulateur au niveau fiscal, notamment. De leur côté, le
secteur ferroviaire fait face à des charges considérablement élevées
(coût des investissements, péages d’infrastructure, taxes) en rapport à
son faible impact nocif pour la collectivité (pollution limitée, pas de
congestion, etc.) En gros, le rail, en perte de vitesse constante
(fret) ou en stagnation (voyageurs), car de moins en moins compétitif,
paye pour la route et l’aérien. |
Le système d’échange des quotas d’émission |
Mais ce n’est pas tout. Le Parlement européen s’est également prononcé pour une taxe sur le kérosène applicable aux vols effectués à l’intérieur du territoire de l’Union, et a officiellement reconnu que les exemptions de taxes dont bénéficie le secteur aérien conduit à une « concurrence très inéquitable entre l’aviation et les autres modes de transport ». En revanche, un appel à la suppression de l’exemption de la TVA sur le kérosène, émanant du groupe des Verts, a été rejeté.
Le rendez-vous est donc fixé à la fin de l’année 2006, avec la proposition législative de la Commission. Si celle-ci tiendra compte du point de vue des parlementaires, il est cependant peu probable que les députés soient suivis sur toute la ligne. Surtout, lors du processus législatif qui devrait débuter en 2007, il est fort probable que les Etats membres, via le Conseil des ministres qui partage le pouvoir législatif avec le Parlement, ne fasse pas preuve de clémence vis-à-vis des compagnies aériennes comme ils l’ont fait jusqu’ici. Ce serait, dans le cas contraire, une véritable petite révolution.