mardi 16 avril 2013 - par Théo Jacob

Communauté locale contre logique globale

Le permis d’exploitation accordé à la société minière Rexma sur la commune de Saül, en Guyane française, dont Arnaud Montebourg a récemment validé l’octroi, à contre-courant d’une opinion locale largement défavorable, met l’Etat face à des contradictions fortes, et pose la question du devenir de l’Amazonie française et européenne dans un contexte de crise économique qui n’épargne pas les DOM.

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Mairie de Saül
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Concernant Saül, minuscule commune de par le nombre de résidents, mais grande de par la superficie, située au centre de l’Amazonie guyanaise, peu se laisseront émouvoir par le sort incertain réservé aux habitants de ce village atypique. En effet, que pèsent 70 habitants face aux immenses enjeux du développement du département guyanais ?

Car le territoire de la commune, dont l’intérêt faunistique et floristique est reconnu au niveau mondial, est assis sur des plans qui dépassent largement le cadre de vie de ses habitants. Si aujourd’hui se rendre à Saül nécessite d’emprunter les vols, forcément limités par la taille de l’avion, de la compagnie Air Guyane, son avenir est perçu autrement sur le littoral où sont prises les décisions, dans une transparence qui colle mal avec l’Etat de droit dont on aime se revendiquer en métropole. Fort à parier que dans les prochaines années, l’aménagement du territoire guyanais, et l’implacable logique économique qui le sous-tend, passera par la réhabilitation de la piste Bellizon. Future « colonne vertébrale du département », cet axe devrait permettre de relier Saul à Cayenne et à termes le littoral et l’intérieur, partie du territoire qui demeure un véritable casse-tête pour les politiques publiques françaises et européennes.

Si la question du désenclavement doit se poser en premier lieu pour cette partie du département, habitée par une mosaïque de populations dites « autochtones et locales » (amérindiens, noirs-marrons, créoles, métropolitains, Hmongs, et Brésiliens) et dont les frontières peinent à transparaitre au cœur de la forêt tropicale amazonienne, c’est bien parce qu’il met l’Etat face au sacro-saint principe de la « continuité territoriale », censé garantir à tous citoyens français une égalité de traitement, et ce quelque soit leur positionnement sur le territoire hexagonal ou ultra-marin. Or ici, dans le sud de la Guyane, la fraternité républicaine peine à s’affirmer, voir à s’assumer. Quant sur le Maroni, fleuve démarquant la France du Surinam, on ne trouve qu’un lycée, à Saül, on s’affolera de la chèreté des denrées importées ; les sauliens doivent sûrement laisser échapper un sourire en entendant leurs confrères métropolitains s’alarmer devant le prix de l’essence, ici on est presque à 4 euros le litre depuis déjà plus d’un an. Les projets ne devraient pas manquer, par conséquent, pour améliorer le quotidien des habitants de Saül, mais ceux qui aujourd’hui s’imposent - crise économique oblige- agitent avec puissance le leitmotiv du profit.

Car la commune, qui se trouve au centre du département – ce qui en fait un point de passage obligé pour le développement du territoire- couve sous ses pieds parmi les plus importants gisements miniers à ce jour connus en Guyane. Difficile réalité dont il reste à démontrer la compatibilité avec la vocation d’éco-village qu’a progressivement esquissé la naissance du Parc amazonien de Guyane en 2007. Né dans les pas de la loi Giran, après une gestation de près de 15 ans, due tant à l’inadaptation du projet qu’à l’opposition des élus, ce parc de « nouvelle génération », qui entend concilier conservation de la nature et développement économique, n’interdit pas les activités minières légales dans sa zone d’adhésion et ce dans le strict respect du Schéma Départemental de d’Orientation Minière (SDOM), révisé en 2012, qui établie une cartographie des espaces voués à l’exploitation et de ceux voués à la protection. C’est là que l’affaire Rexma intervient. Le 26 octobre 2012, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, valide l’octroi d’un permis d’exploitation à la société Rexma sur la rivière dite Limonade, située non seulement à 3 km du village mais qui plus est dans un secteur interdit à toute activité minière. Cette autorisation, qui fait suite aux permis de prospection et d’exploitation délivrés à l’époque d’Eric Besson, sous couvert d’un « bon droit » de la société dont se lave les mains le ministère, résulte pourtant bien d’absurdités en cascade qui troubleraient rapidement n’importe quel lecteur du dossier. 

Dès le 18 janvier 2005, les délibérations en Conseil municipal actent « un périmètre de protection de 20 kms autour de SAÜL au sein duquel aucune exploitation minière ne puisse se faire ». Cette résolution ne fait que refléter la position de la grande majorité de la population, qui n’a eu de cesse, depuis, de marquer son opposition inconditionnelle au projet d’implantation.

Et pourtant, en 2006, cette société se voit attribuée par arrêté ministériel du 1er aout, un permis de recherche pour deux ans. En juillet 2008, cette dernière sollicite alors un permis d’exploitation. A cette époque où le SDOM et le Schéma d’Aménagement Régional sont en cours de révision, la commune se prononce à nouveau le 29 janvier 2008 en faveur d’une interdiction de toute exploitation, mais cette fois, dans un rayon de 10 km – la commune faisant 4 475 km2 pour un bourg concentrant ses activités actuelles, sa population, et ses perspectives futures de développement sur une surface de 314 km2. Qui plus est, la zone de cœur du parc national se trouve en aval de la rivière convoitée, ce qui met durablement en péril le devoir de solidarité écologique que consacre la nouvelle loi de 2006 sur les parcs nationaux. A l’époque de l’instruction de la demande, les consultations locales sur le sujet émettent de façon quasi- unanimes des avis défavorables, puis l’enquête publique, qui relève pourtant une majorité d’opposants, le valide. Au niveau national, on pointe le manque de capacités de l’entreprise à mener à bien un tel projet, le flou concernant la réhabilitation écologique proposée, le manque d’expérience de l’opérateur, et l’inadhésion locale. Toutes ces réserves et refus n’empêcheront pas à ce permis d’exploitation d’être délivré, et pendant ce temps, la pétition lancée par les habitants prospère - déjà plus de 60 000 signatures – dans l’espoir d’être entendue.

On aurait raison de penser qu’il ne s’agit là que d’un disfonctionnement, emblématique d’une action publique faisant peu de cas des considérations locales. Ce serait pourtant faire abstraction des projets tous jacobins se dessinant sur le littoral guyanais, lesquels n’ont rien à envier à ceux pourtant bien connus de la métropole.

Au moment même où le PAG, qui occupe le tiers sud du département, essaye tant bien que mal de faire adopter sa charte, projet de territoire définissant les orientations de développement pour les 10 ans à venir sur les communes concernées, la collectivité régionale, acquise dans sa grande majorité au développement de l’activité minière, laisse afficher une vision sensiblement différente du futur de la Guyane. Dans un contexte d’impuissance avérée de l’Etat face à la banalisation de l’orpaillage illégal sur le territoire du parc amazonien, la collectivité avance à loisir l’argument selon lequel le remplacement des sites illégaux par des opérateurs légaux serait non seulement un moyen de stopper le pillage du sous-sol guyanais et de réduire d’autant l’impact environnemental de ce dernier, mais aussi de mieux sécuriser le territoire tout en le développant durablement. Une solution miracle, en somme, qui résoudrait l’absence de projets. Alors même que les interactions, voir les connivences entre légal et illégal ne sont plus un secret, la Région, la Fédération des Opérateurs Miniers de Guyane (FEDOGM) et la Préfecture ont signé le 15 février dernier une déclaration vouée à simplifier et à accélérer ces réimplantations. Cette annonce a été suivie de la visite du ministre de l’Intérieur le 8 mars qui a confirmé l’envoi de renforts pour les Zones de Sécurités Prioritaires sur le littoral, lesquels ont été ponctionnés en partie sur les effectifs de gendarmes affectés à la lutte contre l’orpaillage illégal dans les communes de l’intérieur. On peut légitimement s’interroger sur le devenir du parc national, d’autant que sa charte aura trois ans pour se mettre en compatibilité avec le Schéma d’Aménagement Régional (SAR), en révision depuis 2011. L’actuelle collectivité reproche notamment à l’ancienne version de ce document cadre, disposant en vertu de la loi du 2 aout 1984 de compétences particulières en matière de planification et d’aménagement du territoire pour les DOM, de refléter la « frilosité et les mauvais choix de la classe politique de l’époque » concernant les zones autorisées à l’activité aurifère. Cette révision est accompagnée d’un recours mené par la Région à l’encontre du SDOM – lui-même revu en 2012- dont le niveau réglementaire se situe au-dessus du SAR. Le président de la Région, Rodolphe Alexandre, qui s’est prononcé en faveur de l’implantation de Rexma à Saül, a fait valoir la cartographie « extrêment réductrice » de ce document ainsi que la prééminence du SDOM sur le SAR, « alors même que l’aménagement du territoire est une compétence dévolue au seul conseil régional ». On serait presque tenté de voir dans cette affaire saülienne l’occasion d’affirmer la logique minière sur le sud du département, d’autant que les opérateurs qui lorgnent sur les environs sont nombreux.

Un parc national contraint de faire consensus et qui cherche sa place, pour peu qu’on la lui laisse, un Etat qui historiquement n’a jamais su quoi faire du département guyanais et des projets de développement court-termistes qui pèseront en premier lieu sur l’aménagement du territoire ; voila qui ouvre une grande place à l’expectative, théâtre dans lequel Saül se trouve empêtré. Torpeur, vague et atermoiements sont une étrange boisson pour une commune isolée où l’on aspire à la tranquillité. Dans la perspective d’une procédure qui durera encore des mois, accompagnée d’effets d’annonce de la société Rexma en vue de rallier une adhésion locale, comment ne pas voir s’aiguiser tensions et conflits ?

La relecture de Machiavel s’impose ici à Saül dans l’attente de réponses claires ou tout simplement d’une volonté politique.

 

 



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