Kokopelli : l’association poursuivie en justice pour concurrence déloyale
C’est le premier acte de la lutte entre la biodiversité et la standardisation des semences qui va se jouer devant le Tribunal de grande instance de Nancy consécutivement à l’action en justice menée par le grainetier Baumaux de Meurthe-et-Moselle pour « concurrence déloyale ». Un acte qui est l’aboutissement d’une situation devenue juridiquement intenable pour ceux qui, dans un cadre associatif, ont rassemblé une des plus extraordinaires collections de semences.
Quel est le cadre juridique en matière de semences ?
- Biodiversité.
- Graines de tomates anciennes. Crédit : Olivier FRIGOUT
Toute semence, pour être commercialisée ou même échangée, doit être inscrite au catalogue officiel. L’inscription au catalogue, qui a un coût allant de 250 à plusieurs milliers d’euros, est conditionnée par la stabilité morphologique dans l’espace et dans le temps de la variété.
En d’autres termes, elle doit garder les mêmes caractéristiques morphologiques quels que soient le terroir et les données météorologiques, année après année. Cette « qualité » n’étant reconnue qu’après de longs et coûteux tests, seuls les industriels ont les moyens financiers d’inscrire leurs variétés au catalogue. Une qualité que bon nombre de semences anciennes - celles justement que propose l’association Kokopelli - ne possèdent pas et pour cause, c’est justement leur variabilité qui en fait tout l’intérêt.
En effet, ces variétés paysannes offrent un phénotype (1) différent selon leur environnement. Elles n’ont donc pas leur place dans ce catalogue. Pourtant, cette caractéristique, propre à toute espèce, permet de diminuer les intrants (2) plutôt que d’augmenter à outrance les rendements, et leur offre une résistance globale aux maladies qu’elles tolèrent grâce à leur adaptation à leur terroir. Elles sont de ce fait idéales pour des transformations artisanales plutôt qu’industrielles, et développent des avantages qualitatifs plus que quantitatifs.
Face à cette impasse juridique, l’association incriminée a cherché dans son statut une solution alternative lui permettant de développer une banque de semences tout en échappant à une réglementation nettement favorable à l’industrie agroalimentaire. Forte de plus de 2000 semences disponibles, dont beaucoup sont anciennes et d’un réseau de producteurs français couplé à des réseaux internationaux, l’association Kokopelli est devenue la bête noire des semenciers et autres grainetiers.
S’appuyant sur les certificats d’obtention végétale (COV) qui assurent à l’obtenteur de la nouvelle variété un monopole de commercialisation pour une période donnée d’une part, et d’autre part sur le fait qu’ils ne fournissent que des hybrides F1 (3), les industriels ont cadenassé les paysans qui n’ont d’autre choix que d’acheter pour chaque saison leurs semences. Des semences qui nécessitent l’emploi de nombreux agents phytosanitaires, développés par des filiales des mêmes groupes.
Et malgré l’arsenal réglementaire mis en place, ils refusent une concurrence contre laquelle ils sont démunis. En effet, contraints par un système mis en place pour leur donner le monopole du marché, ils sont dans l’impossibilité de diversifier leur offre et de reconquérir le marché du jardinage amateur. Sans compter que certains paysans, las d’être sous le joug des industriels, sont entrés en résistance. Ils réclament le droit de ressemer leur récolte, le droit d’échanger des semences, l’accès aux ressources phytogénétiques et refusent l’appropriation du vivant par le biais des brevets. Et c’est probablement là que le grainetier Baumaux va tenter de mettre le doigt, puisque Kokopelli appelle désormais à la désobéissance civile.
L’association attend aujourd’hui le procès de pied ferme. Il est pour ses membres l’occasion de mettre sur la place publique le hold-up réussi par les industriels sur les semences. Mais les pouvoirs publics seront-ils sensibles à leur cause ? La question est là. L’enjeu est plus grand qu’il n’y paraît, car c’est toute une vision de l’agriculture qui est concernée. La biodiversité des variétés disponibles est le reflet de la diversité culinaire et nutritive, mais aussi et surtout le seul atout dont nous disposions pour éviter de perdre une espèce. Car, nous ne nous le rappellerons jamais assez, la pérennité passe par la diversité.
(1) phénotype : ensemble des caractères qui se manifestent visiblement chez un individu et qui expriment l’interaction de son génotype et de son milieu.
(2) intrants : éléments entrant dans la production d’un bien (en agriculture : engrais, pesticides, herbicides, fongicides, eau...)
Génotype : ensemble des facteurs héréditaires constitutionnels d’un individu ou d’une lignée.
(3) Les hybrides F1 sont le produit de la première génération d’un croisement entre deux variétés. Les générations suivantes (F2, F3...) perdent par dilution les gènes que la première génération exprime.
Sources : sciencesetnature.org - dossier : hold-up légal sur les semences.