vendredi 14 mai 2010 - par Didier Barthès

Marée noire

Les discours catastrophistes sur les marées noires sont-ils justifiés ?

La marée noire qui frappe les côtes américaines donne lieu à de nombreux commentaires qui révèlent toute l’ambiguïté de notre attitude face aux questions écologiques.

Tout d’abord, il y a cette étrange pratique qui consiste à évaluer en litres par jour le montant des fuites de pétrole. Cela rappelle cette habitude qu’avait un célèbre homme politique français des années 1970 qui aimait, pour impressionner son auditoire, exprimer les grandes fortunes en centimes de francs !

Alors oui, cela fait beaucoup de litres ! 160 000, 800 000 ? On ne sait plus et les chiffres évoluent sans cesse. Mais le litre est-il une unité bien adéquate pour évoquer des grandeurs océanes ? Que penserait-on d’un astronome qui évaluerait la distance des galaxies en millimètres ?

Ce n’est pas être anti-écologique, ni vouloir minimiser les choses que de le rappeler. Utilisons des unités significatives et non pas médiatiques : Pour des rejets dans l’océan, parlons en milliers de tonnes.

La question du bouc émissaire est également passionnante.

Que n’entend-on sur British Petroleum ? De véritables assassins de planète à en croire la majorité des commentaires. Certes, après un accident, on peut toujours montrer que si telle ou telle erreur n’avait pas été commise, la catastrophe eut été évitée et l’exploitant se trouve évidemment le plus souvent à l’origine du problème.

Toutefois, et là bien sûr, sous réserves de ce que montreront les enquêtes, on ne peut s’empêcher de soulever une contradiction.

La sécurité coûte cher et les gains marginaux sont parfois prohibitifs. Or, s’il y a une majorité de gens pour accuser BP on trouve une autre majorité (donc il y a forcément communauté, au moins partielle, de ces deux ensembles) pour hurler au moindre centime de hausse des carburants.

L’humanité ne peut vouloir massivement consommer du pétrole (surtout à moindre coût) et en cas de pollution, en rejeter presque exclusivement la faute sur les exploitants.

 Même si cette marée noire s’annonce comme l’une des plus importantes (c’est un réservoir géologique qui se vide et non un simple navire au contenu forcément plus limité), prenons du recul.

Si chaque catastrophe est individuellement évitable, il n’y a rien de surprenant à ce que, dans un monde qui consomme 85 millions de barils de pétrole par jour, soit près de cinq milliards de tonnes par an, il y ait quelques ratés et que plusieurs centaines de milliers ou même quelques millions de tonnes s’échappent du circuit. C’est statistiquement inévitable !

Rassurons-nous, dans quatre ou cinq décennies le problème des marées noires (importantes) sera définitivement réglé faute de combattant. Ce ne sont pas elles qui, à long terme, constituent la plus grave menace pour la biodiversité.

Le pétrole est un produit biodégradable. S’il est aujourd’hui problématique dans le golf du Mexique, dans quelques années tout aura été recyclé par la nature, et ceci d’autant plus rapidement que nous nous trouvons dans une mer chaude où les réactions chimiques sont exacerbées et la vie foisonnante.

Dans un siècle, la situation écologique de la planète ne sera absolument pas différente que nous ayons, d’ici là, connu vingt grandes marées noires ou zéro.

Rappelons aussi, sans malice aucune, que si ce pétrole n’était pas allé salir la mer nous l’aurions brûlé et envoyé polluer l’atmosphère en (presque) toute bonne conscience ! 

Enfin n’oublions pas que les rejets naturels de pétrole sont nombreux de par le monde et que s’ils sont généralement moins concentrés, ils représentent des quantités significatives, le plus souvent passées sous silence.

Ce n’est pas seulement un jeu intellectuel que de se moquer de ces contradictions. Il y a des conséquences graves à cet aveuglement.

Pendant longtemps on a tant voulu masquer les marées noires, qu’on utilisait des dispersants chimiques qui étaient eux-mêmes aussi polluants, sinon plus, que le pétrole qu’ils étaient censés combattre.

Aujourd’hui encore, on essaye souvent (avec de la craie notamment) de faire couler ce pétrole. Or le faire couler, c’est le précipiter dans des zones froides et sans lumière où le processus de biodégradation sera très fortement ralenti. Ce n’est probablement pas la meilleure solution.

Ces propos constituent une réflexion générale visant à prendre du recul, ils ne nient en aucun cas que localement et temporairement les conséquences soient impressionnantes et graves pour la faune et la flore. Ils n’ignorent pas non plus la peine de ceux qui voient souillé un littoral qu’ils aiment.

Il va de soi également, que la poursuite de forages et d’exploitations en eaux très profondes, sur lesquels il est extrêmement difficile d’intervenir en cas d’accident, n’est pas une pratique à encourager.

Encore une fois, la meilleure prévention ne réside pas dans une avalanche de mesures techniques, mais dans une attitude plus modeste et plus humble envers la planète : Ne consommons pas tout, partout, à toute force.



13 réactions


  • viva 14 mai 2010 11:08

    Il existe des solutions très simple qui n’ont pas été mises en œuvre.

    Il suffit de faire sauter le puis cela aurait pu être fait depuis longtemps


    • joelim joelim 24 juin 2010 19:49

      mais ils seraient obligés d’en creuser un autre pour pas perdre leur mise (tout ce bon pétrole là-dessous ils vont pas le lâcher quand même).

      Çà coûterait des sous et alors les actionnaires seraient ennuyés et tout, ils pourraient plus payer la frangipane sur le gateau de mariage de leurs enfants... snif.

  • mokhtar h 14 mai 2010 11:27

    A l’auteur
    C’est vrai qu’il nous faut réinterroger tous nos « discours » ambiants, nos modes de pensée et les moindres de nos gestes.
    Par comparaison, la mer méditerranée qui est une mer quasi fermée reçoiyent l’équivalent de 1,5 millions de tonnes de pétrole par année en déballastage et en dégazage des navires, au vu et au su de tout le monde.

    http://www.vedura.fr/environnement/pollution/degazage-deballastage


    • joelim joelim 24 juin 2010 19:55

      Pas vu pas pris !

      Surtout qu’on pourrait facilement les détecter au satellite,

      mais çà couterait trop cher de se bouger,

      y a déjà les caves à cigares pour les susdits du ministre à payer, et puis la réflexion de Mâame Boutin sur les problèmes mondiaux et tout le reste...

      On va pas non plus chambouler les priorités ?...

    • joelim joelim 24 juin 2010 19:55

      Zurt ! Je viens du futur...


  • ploutopia ploutopia 24 juin 2010 08:58

    D’après les fuites d’informations que BP veut bien nous laisser, voici quelques chiffres :

    A. Fin mai 2010, selon un panel d’expert mandaté par le gouvernement américain, il s’est écoulé 2 à 3 millions de litre par jour depuis le 21 avril.

    B. D’après les chiffres communiqués mardi 14 juin 2010 par une commission scientifique gouvernementale, la fuite atteint entre 5,56 et 9,54 millions de litres par jour. Info relayée par certains médias mais pas moyen de tomber sur la source initiale.

    C. 19 mai 2010, après visualisation d’une vidéo de la fuite finalement rendue publique par BP, un professeur en ingénierie à estimé la fuite à 15 millions de litres par jour.

    Entre 2 ; 7,5 et 15 millions, la fourchette est large.

    - Reportée aux nombres de jours depuis la catastrophe (60 jours), cela donne respectivement 120 ; 450 et 900 millions de litres dans l’océan depuis le 21 avril 2010.

    - Reportée en tonnes de brut (0,85 de masse volumique), cela donne respectivement 102.000 ; 383.000 et 765.000 tonnes de brut.

    - Reportée en nombre d’EXXON VALDEZ (40.000 tonnes de brut) cela donne respectivement 2,5 ; 9,6 et 19 EXXON VALDEZ (répertorié comme la plus importante marée noire de l’histoire).

    - Reportée aux nombre de jours de fuite jusqu’au colmatage annoncé de la brèche (disons le 21 août pour simplifier), il suffit de multiplier par 2 (60 jours => 120jours) les différents chiffres, soit 5  ; 19 et 38 équivalent EXXON VALDEZ dans le fond du golfe du mexique.

    Pour que les chiffres ne soient pas trop confus, on peut retenir que l’estimation haute correspond à l’équivalent d’un EXXON VALDEZ tous les 3 jours et l’estimation moyenne, un EXXON VALDEZ tous 6 jours ! Soit 250 camions semi-remorques (26 tonnes) par jour, 10 camions par heure, 1 toutes les 6 minutes, ou encore 73kg/seconde, le poid moyen d’un homme pétrole chaque seconde, un clone bitumeux toutes les secondes (voilà enfin révélé le vrai visage de la pression démographique). Ou encore, 1 mètre cube en 12 secondes, 1 tonne en 14 secondes, 4 tonnes par minute (de bonnes grosses minutes mégalo-pachydermiques). "Time is Money & Petrol"... Rappelons que l’équivalent EXXON VALDEZ s’échappe en continu à 1.500 mètres de profondeur, pas en surface d’un seul coup !

    Pour fixer un autre ordre de grandeur, il faut savoir par exemple que les dégazages et délestages sauvages (en toute impunité) dans la seule méditerranée ont été estimés à 1,5 millions de tonnes de brut en surface par an. Reporté aux 4 mois potentiel (du 21 avril au 21 août) de la fuite « Deep Water Horizon » cela donne 0,375 tonnes de brut. 0,375 tonnes à mettre en parallèle avec 204.000 tonnes, l’estimation la plus basse de DWH pour 4 mois. On peut donc considérer (et ce toujours selon l’estimation la plus basse !) que le pétrole déversé dans l’océan par DWH du 21 avril au 21 août correspondra à 544.000 fois ce qui se fait de manière illégale dans la mer méditerranée.

     

    http://ploutopia.over-blog.com/article-maree-noire-en-louisiane-deja-10-exxon-valdez-52677316.html

     


  • ploutopia ploutopia 24 juin 2010 16:20

    Autant pour moi, il y a erreur dans mon calcul. Je passe allègrement sous silence le fait qu’il s’agit de MILLIONS de tonnes !!!
    1,5 MILLIONS de tonnes reporté aux 4 mois potentiel (du 21 avril au 21 août) de la fuite « Deep Water Horizon » cela donne 375.000 tonnes de brut. Une valeur fort proche de l’estimation moyenne de DWH pour 60 jours.

    2 mois de fuite de DWH correspondent donc à 1 an de dégazage illégal en méditerranée !


    • Didier Barthès 24 juin 2010 19:38

      Merci pour toutes les précisions chiffrées que vous apportez. En ce qui concerne la dernière erreur, j’allais vous la signaler (car le résultat était surprenant et l’ordre de grandeur bien étrange), mais vous l’avez corrigée avant.
      Bien sincèrement.


  • Radis Call 24 juin 2010 20:03

    Comprends rien à l’article ni à vos calculs : déja hier Ploutopia s’est emmêlé les pinceaux...

    6 millions de litres, ça fait 600 000 m3 par jour...

    à environ 1 tonne le m3 , ça fait 500 000 tonnes par jour...

    Un gros tanker transporte 300 000 tonnes...

    Donc en étant très optimiste , ça fait un naufrage d’un gros tanker par jour...Rien à voir avec un dégazage !

    Et vous trouvez qu’on exagère ?


    • Didier Barthès 25 juin 2010 12:22

      Oui en effet 6 000 000 de litres ne font que 5 000 tonnes environ du coup il faut 60 jours de fuite pour atteindre la quantité relachée lors du naufrage d’un grand pétrolier.

      Je persiste et signe, les marées noires aussi impressionnantes soient-elles ne constituent pas une des principales menaces pour l’environnement. Je rappelle que dans quelques décennies, le problème aura disparu, ce n’est pas le cas de toutes les autres menaces que nous faisons peser sur notre belle mais bien maltraitée planète.



    • Radis Call 25 juin 2010 12:33

      C’est exact !

      Le souci , c’est que l’on n’a pas trouvé le moyen d’arrêter ça !

      Alors je persiste : je vous trouve bien léger...Et je pense que les habitants riverains du Golfe du Mexique doivent avoir un point de vue légèrement différent du votre ...

      Mais nul doute , les pétroliers, dont BP, sauront vous en tenir gré .


  • Didier Barthès 25 juin 2010 12:42

    Si vous lisez bien ce que j’écrivais dans l’article, vous trouverez ceci qui vous montrera que je comprends ce que peuvent ressentir les riverains.
     :
    « Ces propos constituent une réflexion générale visant à prendre du recul, ils ne nient en aucun cas que localement et temporairement les conséquences soient impressionnantes et graves pour la faune et la flore. Ils n’ignorent pas non plus la peine de ceux qui voient souillé un littoral qu’ils aiment »

    Mais sur le fond écologique, oui ce n’est pas très grave, Beaucoup moins que la surpopulation, que la disparition des espèces et de façon générale que tous les problèmes globaux. une marée noire reste locale et ses effets s’évanouissent en 5 à 15 ans.

    Quant à BP, je n’écris pas spécialement pour les défendre, là n’est pas mon propos, je veux juste parler d’écologie.


Réagir