Préambule exprimé sous
forme de questions
Environnement et développement économique font-ils bon
ménage ?
Est-ce que tout grand projet qui engage la gestion ou
l’exploitation des ressources naturelles à des fins économiques peut, ou non,
servir les générations futures dont se réclament les défenseurs et les
pourfendeurs ?
En général, les gouvernements gèrent-ils sagement les
ressources naturelles de leur pays en fonction des générations à venir, ou
les gèrent-ils à courte vue avec une seule obsession : la rentabilité économique ?
Le projet suivant fait l’objet d’âpres discussions au Québec
sur la protection de l’environnement en regard de grands projets de
développement économique.
La rivière Rupert, qu’est-ce ?
Située à environ 250 kilomètres au
nord de Chibougamau, la rivière Rupert prend sa source dans le plus grand lac
d’eau douce du Québec, le lac Mistassini, et se jette dans la baie de Rupert,
au Sud de la Baie James. Elle s’étend sur quelque 700 kilomètres.
C’est l’une des dernières grandes rivières vierges du Québec encore accessibles,
conservée dans un état sauvage : il n’y ni habitation, ni industrie, ni trace
d’homme. Son eau est si pure qu’elle est comestible sans devoir subir de
traitement préalable ! La Rupert
a environ 65 rapides spectaculaires et des chutes splendides, sans compter des
ruisseaux et de petites rivières qui s’y jettent, de même qu’un riche, mais
fragile, écosystème. Elle héberge des espèces uniques dont la géante Rupert, une truite mouchetée
dont la souche génétique sert de base à bien des piscicultures. Ses paysages et
ses ressources extraordinaires, cette rivière jouit d’ailleurs d’une solide
réputation continentale chez les amateurs de plein air, de pêche, de canot et
de kayak. Bref, la Rupert,
c’est un petit joyau du patrimoine écologique québécois.
Il y a plus de trois cents ans, c’était une voie de communication
pour la traite de la fourrure. Cette rivière historique fut longtemps le
garde-manger de neuf communautés cries de la Baie James pour qui
elle est, bien évidemment, une fierté.
Le projet de dérivation
de la rivière Rupert
Le projet Hydro-Québec consiste en la construction de la
centrale de l’Eastmain-1-A, d’une puissance de 768 MW, à proximité de la
centrale de l’Eastmain-1, en cours de réalisation, et en l’ajout de la centrale
de la Sarcelle,
d’une puissance de 120 MW, à la sortie du réservoir Opinaca. Le projet prévoit
également la dérivation d’une partie des eaux de la rivière Rupert vers ces
trois centrales ainsi que vers trois centrales du cours inférieur de la rivière
La Grande
(Robert-Bourassa, LG-2A et LG-1). La dérivation Rupert serait mise en service
vers la fin 2009 et les centrales seraient mises en service en 2010 et 2011. Au
total, le projet ajouterait 888 MW de puissance et une production énergétique annuelle
de l’ordre de 8,5 TWh au parc d’Hydro-Québec Production. Le coût unitaire de
production est estimé à 4,44 cents le kWh, en 2011.
Résumé :
deux centrales hydroélectriques
dérivation des deux tiers du débit de la rivière Rupert
dans le bassin versant de la rivière Eastmain
quatre barrages
75 digues
un tunnel de trois kilomètres
des canaux totalisant 12 km
inondation de 445 km2
coût : quatre (4) milliards de $ (évaluation de 2004)
Fait à noter : les coûts de l’aménagement sont maintenant
estimés à cinq milliards de dollars, soit un milliard de plus que prévu. Les
Cris se sont vu promettre des retombées économiques équivalant à 15 %
du coût du projet, soit 240 millions. Le Nord-du-Québec,
l’Abitibi-Témiscamingue et le Saguenay-Lac-Saint-Jean devraient se partager des
retombées estimées à 532 millions.
En raison des craintes d’impacts négatifs sur
l’environnement, le projet prévoit la mise en place d’un régime modulé de débit
réservé écologique sur la rivière Rupert qui vise à préserver les poissons et
les habitats qui s’y trouvent. Hydro-Québec a conçu huit ouvrages qui
préservent non seulement le caractère naturel de la rivière dans les tronçons
qu’ils influencent mais aussi la navigation, la pêche, des frayères ainsi que
des herbiers aquatiques. (http://www.hydroquebec.com/eastmain1a/fr/index.html)
À son embouchure, à 314 kilomètres du
plus éloigné des barrages qui en réduiront le débit, la rivière Rupert ne
conservera que 51 % de son volume habituel. À l’inverse, le réservoir créé dans
le bassin versant de la rivière Eastmain inondera 445 kilomètres
carrés supplémentaires. À titre de comparaison, l’île de Montréal a une
superficie de 500
kilomètres carrés. Le Comité provincial d’examen (Comex),
composé de trois membres du gouvernement québécois et de représentants nommés par l’Administration régionale crie, après vingt mois
d’études et d’audiences publiques, appuyait dans
son rapport de septembre 2006 la dérivation des deux tiers de la rivière Rupert
vers le bassin versant de la rivière Eastmain, ainsi que la construction des
deux centrales, quatre barrages, 75 digues, douze kilomètres de
canaux et le tunnel de trois kilomètres que prévoit le projet. Il reconnaissait
toutefois que le harnachement de la Rivière Rupert imposerait des restrictions de
consommation pour plusieurs espèces. Les niveaux de mercure seraient également
importants mais devraient, selon le Comex, revenir à la normale entre 2016 et
2028, selon l’espèce.
Notons enfin que ce projet emploiera jusqu’à 4000 personnes
et que les deux nouvelles centrales pourront produire assez d’électricité pour
alimenter 425 000 foyers.
Les avis favorables
Pour la
Conférence régionale des élus de l’Abitibi-Témiscamingue, la
croissance de la demande énergétique du Québec est évaluée à 1 % par année, et ceci
jusqu’en 2018. Le projet de construction de la centrale de l’Eastmain-1-A et
dérivation Rupert comblerait l’augmentation des besoins énergétiques du marché
québécois pour une période de cinq ans. L’aménagement de ces installations
aurait pour avantage d’accroître les exportations d’électricité, tout en
permettant d’avoir une marge de manœuvre suffisante pour participer aux appels
d’offres de long terme. De plus, cet ouvrage contribuerait à exporter davantage
d’énergie aux États-Unis et en Ontario, ce qui procurerait des bénéfices
indéniables sur les plans économique et environnemental.
(http://www.conferenceregionale.ca/documents%20publies/Memoires/m%C3%A9moireEastmain1A-Rupert113.pdf)
Une coalition d’organismes
Association canadienne de l’hydroélectricité
Association des constructeurs de routes et grands
travaux du Québec
Association de l’industrie électrique du Québec
Association des ingénieurs-conseils du Québec
Conférence régionale des élus de la Baie-James
Fédération des chambres de commerce du Québec
Manufacturiers et exportateurs du Québec
ont, en décembre dernier, demandé au gouvernement canadien
de donner les autorisations nécessaires pour la réalisation du projet
hydroélectrique Eastmain-1-A-Rupert, estimant qu’il s’agissait là du plus
important projet de production d’énergie propre et renouvelable au Canada.
La Commission fédérale d’examen du Canada a déjà formulé des
recommandations favorables à la réalisation du projet.
Les avis défavorables
Lors de consultations publiques, les Cris de la Baie James ont dit non
au détournement de la rivière Rupert pour la construction de la centrale
hydroélectrique Eastmain. Près de 75 % des trois mille Cris du Nord-du-Québec
se sont prononcés contre le projet après l’avoir inclus dans l’entente de la Paix des braves, signée en 2002 et approuvée également par référendum. Les
chefs de ces communautés ont pris la décision de tenir, après coup, des
référendums sur la question. Selon le chef de la communauté de Nemaska, Josie
Jimiken, la Paix des braves permettait l’étude du projet de dérivation, mais ne
donnait pas le feu vert à sa réalisation.
Pour leur part, les environnementalistes dénoncent ce projet
jugé plutôt inutile et nuisible. Environnementalistes et autochtones dénoncent
également la contamination au mercure de l’eau de la rivière et du réservoir qui sera
formé par sa dérivation. C’est sans compter les impacts de la dérivation de la
rivière sur la vie des autochtones du secteur de la Baie James. La Fondation Rivières,
qui a tenté sans succès de sauver la
Rupert du détournement, croit que ce projet ne s’explique que
par l’approche des élections.
Un citoyen exprimait, dans le quotidien Le Devoir de
Montréal, son exaspération : « Comme dans beaucoup
de projets d’exploitation des ressources naturelles, seuls les avantages
faciles et immédiats sont considérés, soit, ici, la création d’emplois et le
profit généré par l’exportation de l’électricité. Malheureusement, les
conséquences désastreuses, tant sur les populations cries et leurs vestiges que
sur l’impressionnante beauté de cette dernière rivière vierge du Québec et ses
écosystèmes, sont ignorées non seulement par notre gouvernement mais aussi par
la population, qui reste indifférente à une telle annonce. C’est inadmissible ! »
Que faut-il penser de tout cela ?