L’accord des 27 dirigeants est un mauvais coup contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

On assiste à la revanche des fédéralistes européens, qui n’acceptent le verdict du suffrage universel que lorsqu’il leur est favorable. Une revanche minutieusement préméditée, puisque cette fois-ci tout est fait pour éviter de consulter les peuples. La ficelle est un peu grosse mais la manœuvre est habile.

Tout d’abord les dirigeants européens ont joué la crise pour faire croire à l’opinion qu’il existait une panne de l’Europe, à la suite des « non » français et hollandais. Or, tous les spécialistes l’ont souligné à l’envi, malgré l’échec de la Constitution, jamais la mécanique institutionnelle communautaire n’a produit autant de décisions ces dernières années. (Le fait qu’on continue la bêtise des quotas pour le thon, en est un exemple).

La réalité qu’ils voulaient ainsi occulter est le déficit chronique de légitimité populaire d’une construction européenne à juste titre sanctionnée pour ses dérives et son manque de résultats.

Ensuite ils ont minoré l’impact du traité, le faisant passer pour un simple règlement de copropriété sur lesquels s’entendaient les pays qui ont voté la Constitution et ceux qui l’ont refusée. Enfin, ils en concluent que cela ne sert à rien de consulter les peuples et que les parlements feront bien l’affaire.(Ben oui, les Parlements sont tous remplis de godillots, donc...)

La réalité est bien évidemment tout autre. Le traité dit « simplifié » est une Constitution-bis. Il reprend le cœur institutionnel du texte de 2005, qui consacrait l’Europe supranationale.

  • l’extension du domaine du vote à la majorité qualifiée supprime le droit de veto dans des secteurs clés (immigration, négociations commerciales, sécurité intérieure, etc.). C’est pour la France une catastrophe puisqu’elle est minoritaire sur ces questions dans l’Europe à 27. La position de Nicolas Sarkozy est à cet égard incompréhensible. Comment peut-il la veille à Paris menacer les négociations commerciales à l’OMC d’un veto français, alors qu’il s’en prive pour toujours le lendemain à Bruxelles ? (Logique ? Cherchez la logique !) ; 
  • la personnalité juridique unique de l’Union et l’intégration de la Charte des droits fondamentaux par une référence au traité renforce l’affirmation du super Etat européen (la Grande-Bretagne a obtenu une exception) ;
  • la règle de la double majorité est acceptée (même si elle ne s’appliquera qu’en 2014 - 2017) et déséquilibre le couple franco-allemand, plaçant l’Allemagne en position de force au cœur de toutes les majorités.

Les différences entre le nouveau traité et l’ancienne Constitution sont soit superficielles, soit secondaires. La France (ou plutôt M. Sarkozy) se targue d’avoir obtenu des avancées. Ainsi a-t-elle obtenu la suppression de la référence à la concurrence « libre et non faussée » et l’inscription de la « protection des citoyens ». Mais les choses sont plus subtiles : d’un côté, la concurrence sans frein demeure l’alpha et l’oméga des politiques européennes telles que définies par les traités existants. De l’autre, c’est la Cour européenne de justice (qui n’est pas contrôlée par les députés européens), ouvertement acquise à la supranationalité et à l’ultralibéralisme, qui sera chargée d’interpréter le traité. Autant dire que la « protection des citoyens » passera à la trappe là où la « concurrence libre et non faussée », même gommée du traité « simplifié » (mais qui demeure dans les autres traités), continuera à régner sans partage. Un poids, deux mesures qui ne doit laisser aucune illusion !

Autre exemple, le ministre des Affaires étrangères perd son titre mais garde ses compétences. (C’est comme la Constitution : le terme disparaît, mais pour le reste !) Il y a certes un protocole sur les services publics mais quelle garantie sur son application, lorsqu’une décision à la majorité qualifiée décidera leur démantèlement ?

En vérité, la supercherie est bien là. Pour endormir les Français, on a supprimé le paquet cadeau et les rubans mais on a gardé le même contenu. L’adoption de ce traité représenterait un pas décisif vers la supranationalité. Cela conduirait un peu plus à la dépossession des peuples de leur souveraineté démocratique. (Je rappelle que le président de la République est censé être le garant de "l’indépendance" de la France !) Malgré leur refus, ils pourraient en effet se voir appliquer dans de multiples domaines des règles avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. (Et cela, tout en sachant qu’une décision référendaire est juridiquement plus forte qu’une décision parlementaire)

Pour la France, au modèle social et républicain minoritaire dans l’Europe à 27, cela signifierait la condamnation à mort de son exception et la fin de son indépendance. On ne peut pas, comme vient de le faire Nicolas Sarkozy, d’un côté se faire élire sur le refus de la pensée unique, la baisse de l’euro, une nouvelle protection aux frontières et, de l’autre, accepter à Bruxelles les mécanismes de décisions supranationaux qui, nous mettant en minorité, empêcheront la France de se redresser.

Enfin, on doit constater que le chef de l’Etat a tout lâché ou presque sur le plan institutionnel, sans obtenir la moindre contrepartie sur la Turquie (les négociations se poursuivent !)ou la gestion de l’euro (pas un mot au sommet européen !). Une fois de plus, nos dirigeants s’acharnent à nous démontrer que pour la France cette Europe n’est au mieux qu’un jeu de dupes, au pire un jeu de perdant-perdant !

Il reste cependant une chance à la France. L’UMP n’a pas au Parlement la majorité des 3/5e lui permettant de faire voter la révision constitutionnelle préalable à l’adoption du traité. Il faut donc faire pression sur chaque député, quel que soit son parti, pour lui demander de respecter le peuple en le consultant par un nouveau référendum. Sachant que notamment le PS et l’UDF devenue MODEM, mais aussi les membres du Nouveau centre, réclamaient, durant la campagne présidentielle, un référendum sur la question.

Comment en effet les dirigeants européens peuvent-ils croire sérieusement bâtir l’Europe en méprisant à ce point les peuples ? Ce coup de force ne doit pas passer, c’est aussi une question de morale politique. Il faut par ailleurs bien sûr préparer une autre Europe, celle des coopérations concrètes, projet par projet, celle qui respecte les nations tout en leur permettant de relever les défis de la mondialisation.

Voilà le bel enjeu des deux prochaines années ! Faire aimer l’Europe en délimitant les frontières, en réformant l’euro, en rédigeant un vrai traité pour une confédération d’Etats nations.