samedi 15 février 2020 - par Laurent Herblay

Coralie Delaume clarifie nos relations avec l’Allemagne (1/3) : une amitié devenue vassalisation

C’est un livre majeur que je recommande vivement pour sa capacité à étudier tous les aspects de la relation franco-allemande, improprement qualifiée de « couple ». Coralie Delaume réunit tous les points de vue, français, allemand, ou d’autres pays, économique, politique ou plus historique, dont je ne donnerai qu’un échantillon, pour dresser un portrait particulièrement nuancé, détaillé et passionant de notre relation avec notre voisin. Un livre de référence pour mieux comprendre ces trois dernières décennies.

Coralie Delaume clarifie nos relations avec l'Allemagne

 
Ascension involontaire et soumission fascinée
 
Il faut commencer par rappeler deux points importants. D’abord, les allemands n’ont jamais parlé que d’amitié pour qualifier la relation entre nos deux pays, seuls les français utilisant le terme « couple  » pour parler des rapports franco-allemandes, terme très mal choisi à plusieurs titres. D’abord, il est excessif pour qualifier nos relations, aussi bonnes soient-elles. Ensuite, son caractère trop exclusif sied mal à la réalité de la diplomatie, européenne comme mondiale, surtout pour un pays comme le nôtre, qui a un rayonnement planétaire. Malheureusement, une partie de nos élites a pris ce terme de manière bien trop littéral, en faisant le choix unilatéral de l’Allemagne pour notre politique européenne.
 
Pourtant, comme elle le souligne, nos intérêts sont parfois plus proches de ceux de nos voisins italien et espagnol. Mais en juin 2012, Hollande suit Merkel sur le TSCG et pour Macron, la France « doit faire des réformes pour restaurer la confiance de l’Allemagne », d’où l’ajout d’une réforme du Code du travail peu de temps après la loi El Khomri. En fait, « Paris n’a pas vu se produire la lente métamorphose de l’Allemagne et sa propre relégation périphérique. (…) et (n’a) pas vu advenir le passage d’une Europe principalement française à une Europe très ostensiblement allemande à la faveur, d’ailleurs, de choix politiques français (marché unique, euro), qu’ils aient été naïfs, imprudents ou cyniques  ».
 
Ironique, pour elle, l’Allemagne est « bien embarrassée, surtout, avec cette France enamourée qui ne souhaite – curieux phénomène – que s’accoupler avec elle et se dépouiller à son profit de sa propre souveraineté ». Pour elle, « nos chefs de l’Etat successifs font preuve, à l’égard du « modèle allemand », d’une belle constance dans la pâmoison, (…) l’invocation de notre voisin devenant une martingale  ». Elle rappelle que Sarkozy tenta de jouer sa réélection en faisant de notre voisin un modèle à suivre. Et Hollande lui embraya le pas, au point de recevoir Peter Hartz début 2014, dont il a suivi la feuille de route « tant le coût et le droit du travail ont fini par devenir les variables d’ajustement privilégiées dans une Union qui a privé ses membres de tous les autres leviers d’action économique  ».
 
Dans un développement historique passionnant, elle montre que « la tentation d’avoir recours à l’Allemagne comme pourvoyeur d’un certain ordre, de s’y référer, d’y chercher de l’aide ou de s’abandonner à elle est une vieille habitude dans certaines franges des « élites » françaises  », dressant un panorama qui remonte jusqu’à Louis XVI, passe par 1870, puis les années 1930 et 1942. Depuis la chute du mur de Berlin, l’UE est aussi devenue pour certains en France un instrument pour contenir l’Allemagne qui a fait l’exact inverse, notamment avec l’euro, voulu par la France, mais construit selon le cahier des charges de l’Allemagne, du fait de son histoire, jusqu’à placer le siège de la BCE à Francfort.
 
Elle dénonce la politique de franc cher, avec ce mot de John Kenneth Galbraith « le franc fort est intéressant pour ceux qui ont des francs  » en dénonçant « la manière dont les dirigeants français ont sacrifié la bonne santé de l’économie nationale et l’objectif de justice sociale à l’idée folle de faire entrer l’Allemagne dans un cadre monétaire dont elle ne voulais pas ». En effet, avec le choix de la parité entre les deux marks, l’inflation monte à 4,5% outre-Rhin, ce à quoi la Bundesbank répond par une hausse des taux, au-delà de 10%. Au même moment, les autres pays européens ont une inflation faible et une croissance qui ralentit, ce qui plaiderait pour une baisse des taux. Mais la défense des parités monétaires et le souci d’attirer des capitaux désormais libres de circuler imposent de suivre le mouvement, provoquant une récession, qui augmente le nombre de chômeurs de 50% en France en 3 ans, ce «  prix immédiat acquitté par les partenaires de l’Allemagne pour sa réunification dans le cadre du SME  »…
 
Dans une étude aussi intéressante qu’effarante, elle note que l’Allemagne ajoute « une domination presque sans partage des institutions communautaires  » pour les postes administratifs les plus importants, que ce soit au parlement ou à la commission. Mais le paradoxe de cette Europe allemande, c’est que « pour l’heure, Berlin tergiverse. Exercée sans talent, parce que mal assumée, sa domination est en réalité fragile. Lorsqu’on est le chef et qu’on souhaite le rester, on ne détruit ni ne pille le monde sur lequel on règne. On ne s’y soustrait pas non plus pour faire cavalier seul à la moindre occasion. L’Allemagne de 2018 fait tantôt l’un, tantôt l’autre (…) (et) révèle une tendance aux attitudes non coopératives  ». Elle cite Wolfgang Streeck, qui parle « d’hégémonie fortuite  » et William Paterson, « d’hégémonie réticente  ».
 
C’est ainsi que Berlin a pris l’initiative de menacer Athènes directement d’un Grexit au plus fort de la crise. Elle souligne la tonalité très agressive d’une partie de la presse allemande à l’encontre des pays latins, multipliant les exemples révélateurs qui en disent long sur l’état de l’opinion et du débat outre-Rhin. Elle note que Patrick Artus en a fait le « passager clandestin de la zone euro  », soulignant en 2011 que « si tous les pays de la zone euro avaient externalisé massivement des segments de leur production et fortement comprimé les salaires (comme l’Allemagne), aucun n’aurait conquis des parts de marché au détriment des autres dans la zone (…), il ne resterait qu’une énorme dépression de la demande intérieure (et) une dépendance accrue vis-à-vis des pays émergents ».
 
En somme, citant Pierre Manent, du Figaro, elle confirme qu’« il n’y a jamais eu de couple franco-allemand  ». D’ailleurs, l’Allemagne n’a jamais répondu aux avances répétées de rapprochement de la France. Et il est triste de voir notre pays, qui pourrait tant faire, s’enfermer dans cette soumission malsaine et totalement contre-productive, pour nous, pour les autres pays européens, et même l’Allemagne, ce sur quoi je reviendrai la semaine prochaine dans la suite de ma recension.
 
 
Source : Coralie Delaume, « Le couple franco-allemand n’existe pas  », Michalon
 


7 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 15 février 2020 17:33

    Certains couples sont BDSM, encore faut-il qu’il s’agisse d’adultes consentants et que chacun joue le rôle qui lui convient. Or pour ces jeux pervers fondés sur les notions de « dominé » et « soumis », il semblerait que, contrairement aux deux auteurs de littérature érotique fondatrice du genre devenus icônes, les rôles aient changé de camp : les émules de Sade sont outre-Rhin et les adeptes de Sacher Masoch entre les Vosges et l’Atlantique (les Alsaciens, on le sait, bénéficient d’un « droit local »).

    Peut-être suffit-il de jouer la montre pour vérifier les thèses Hégéliennes sur la dialectique du maître et de l’esclave ?

    Toujours est-il que les semences emblavées par la perfide Albion pour qu’aucun état du continent européen ne puisse rivaliser, en titillant les rivalités, en créant la Belgique, etc, toujours et-il, donc, que ces semences sont toujours fertiles et, ltelles des espèces invasives, n’ont de cesse de s’étendre.


  • François Vesin François Vesin 15 février 2020 18:15

    Il faut (re)lire « Minorités et régionalismes dans l’Europe

    Fédérale des Régions » sous titré « Enquête sur le plan

    allemand qui va bouleverser l’Europe » de Pierre Hillard.

    .

    Depuis 1848, sous tous les régimes des Reich successifs,

    l’Allemagne favorise et encourage la destruction des entités

    nationales souveraines au profit de Lander constitués de

    minorités ethniques, religieuses ou culturelles.


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 15 février 2020 19:00

      @François Vesin

      vache, depuis 1848, la perfidie suit son oeuvre, etc etc...

      Je pense que vous voulez parler de 1948, car Hillard ne remonte pas aussi loin, son analyse commence surtout dans l’après 1ere guerre mondiale ?


  • Olivier Perriet Olivier Perriet 15 février 2020 18:58

    Voir sur le même sujet le livre de Edouard Husson Paris-Berlin La survie de l’Europe.

    Sans doute un peu plus objectif, si on veut pinailler ;

    Le maintien de la Grèce dans la zone euro s’est fait contre la volonté d’une partie des élites allemandes. Une partie, car A Merkel n’a pas donné suite. Et le président de la BCE Mario Draghi n’a pour le moins pas géré l’euro « à l’allemande », et a fait tourner la planche à billets, pardon, a multiplié les emprunts, pour pallier les crises des dettes souveraines.

    D’ailleurs le duo grec Tsipras et Varouflakis ne voulaient pas non plus quitter l’euro

    Mais au fait... si on est souverainiste... le Grexit ne devrait pas être une abomination ? alors pourquoi cette réprobation ?

    Je chipote, je chipote smiley


  • titi titi 16 février 2020 09:29

    @L’auteur

    Le « couple franco allemand » est une invention de la presse de gauche.

    Le paroxysme étant trouvé au début des années 2000.

    A cette époque l’Allemagne était dans la même situation budgétaire que la France : elle devait tous les ans aller à Bruxelles implorer l’indulgence suite au non respect des objectifs européens.

    En plus est intervenu la guerre conte l’Irak. L’Allemagne a emboité le pas de la France dans sont refus d’y mettre les pieds.

    Emmerder Bruxelles, emmerder les USA, il n’en fallait pas plus pour que la presse de gauche parle de Francallemagne.

    Il était même question de « fusionner » les représentations consulaires de part le monde : détenir un passeport Français ou un passeport Allemand c’était kif kif.

    Chirac avait même prononcé un discours « au nom du peuple Allemand » à Bruxelles.

    Tout ça c’était il y a 15 ans.
    Depuis l’Allemagne remplis les critères européens : pas la France.

    On s’est aperçu que la France comme l’Allemagne avaient tout simplement mis en place des stratégies de contournement de l’embargo pétrolier contre l’Irak, et avaient tout simplement des intérêts dans le maintien du statu quoi irakien : pas vraiment du philanthropisme.

    Bref… faut bien bruler ses idoles.


  • Parrhesia Parrhesia 16 février 2020 10:53

    >>> Et il est triste de voir notre pays, qui pourrait tant faire, s’enfermer dans cette soumission malsaine…<<<

    Beaucoup de bon sens dans cet article !

    Néanmoins, pour ce qui me concerne, je souhaiterais nuancer la citation ci-dessus.

    A mon modeste avis, ce n’est pas tant « notre pays » qui s’enferme dans une soumission malsaine, que la fraction de politiciens et de journaleux carriéristes qui exercent le véritable pouvoir pour le compte du Nouvel Ordre Mondial !!!

    Il reste donc à ressusciter « Notre Pays » dans une opposition (d’autres commencent à dire résistance) sans concession à presque tout ce qui a pu représenter le N.O.M. en France face au général de Gaulle et ceci, depuis la fin de la seconde guerre mondiale !

    Lorsque je dis « N.O.M. », il convient de comprendre plus précisément l’ensemble du mondialisme communiste et stalinien d’une part, et du mondialisme capitaliste exclusivement financier d’autres part. Ils ont beaucoup d’hommes et de points communs dans leur approche géopolitique.

    De l’OAS aux communistes en passant par les socialistes de Mitterrand et de Macron et les inénarrables « centristes ultra mondialistes » de Bayrou et consorts, reconnaissons que cela fait du monde !!!

    Mais qui sait… Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas !


  • Dr Destouches Dr Destouches 17 février 2020 08:01

    Et l’Allemagne est le Vassal des USA et d’Israel,


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