jeudi 10 septembre 2015 - par Sylvain Rakotoarison

Discours sur l’état de l’Union : le premier de Jean-Claude Juncker

« C’est le moment de parler franchement des grands problèmes de l’Union Européenne. Parce que notre Union Européenne ne va pas bien. Il n’y a pas assez d’Europe dans cette Union. Et il n’y a pas assez d’Union dans cette Union. Nous devons changer cela, et c’est maintenant que nous devons le faire. » (Jean-Claude Juncker, 9 septembre 2015 à Strasbourg).



Le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker a prononcé à Strasbourg, devant les parlementaires européens, son premier discours sur l’état de l’Union Européenne (texte intégral ici). L’appellation de l’exercice fait évidemment référence au discours annuel que le Président américain prononce au Congrès chaque année. Dans le cadre d’un accord-cadre sur les relations entre Commission et Parlement, José Manuel Barroso avait initié cette formule en 2010 pour permettre au Parlement Européen d’avoir un compte-rendu annuel de l’action de la Commission Européenne et des perspectives sur l’année suivante.

C’est donc une procédure intéressante dans la progressive démocratisation des institutions européennes, même si certains députés européens ont regretté l’absence dans l’hémicycle du Président du Conseil Européen Donald Tusk. Les changements apportés depuis l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission Européenne sont perceptibles. L’idée est de renoncer, au titre de la subsidiarité, aux détails techniques qui aigrissent de plus en plus les peuples européens et de définir des grands enjeux politiques, pour axer son action sous l’égide de l’honnêteté, de l’unité et de la solidarité, les trois maîtres mots du discours.

Commission dont la nomination et l’élection ont découlé directement du résultat des élections au Parlement Européen, en mai 2014. Ayant fait campagne en tant que tête de liste pour ces élections, j’avais la possibilité d’être un Président plus politique. Ce rôle politique est prévu par les traités, en vertu desquels les États membres ont fait de la Commission le promoteur de l’intérêt général de l’Union. Mais les années de crise ont mis à mal cette compréhension du rôle de la Commission. C’est pourquoi j’avais déclaré devant cette assemblée, en septembre dernier, que je souhaitais présider une Commission politique. Une Commission très politique. (…) Les événements récents ont confirmé l’urgente nécessité d’une telle approche politique dans l’Union Européenne. ».

L’actualité brûlante a contribué effectivement à la définition de ces grands axes même s’ils étaient dès le départ dans le programme de la Commission. Six grands points ont été rappelés.


1. L’accueil des réfugiés syriens et irakiens

Jean-Claude Juncker voudrait que les Ministres de l’Intérieur des Vingt-huit se mettent d’accord le 14 septembre 2015 sur la relocalisation d’urgence de 160 000 réfugiés actuellement présents en Grèce, en Italie et en Hongrie, et sur une clef de répartition permanente et obligatoire, dépendant de l’importance économique du pays (PIB, population, taux de chômage, etc.) et de sa politique migratoire : « C’est l’Europe qui, aujourd’hui, aux yeux des femmes et des hommes du Moyen-Orient et d’Afrique, représente l’espoir, un havre de stabilité. Nous devrions en être fiers et non pas en avoir peur ! ». Il a également insisté à ne pas faire de ségrégation entre réfugiés, notamment sur le plan religieux (comme certains maires français avaient suggéré).

Les nombres des personnes qui ont gagné l’Europe depuis le début de l’année sont « impressionnants » : « Pour certains, ils sont effrayants. Mais ce n’est pas le moment de laisser la peur s’exprimer. L’heure est à une action audacieuse, déterminée et concertée de l’Union Européenne, de ses institutions et de tous ses États membres. ».


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Et de rappeler l’histoire européenne : « C’est (…) une question d’humanité et de dignité humaine. Pour l’Europe, c’est aussi une question de justice au regard de l’Histoire. Nous, Européens, devons nous souvenir que l’Europe est un continent où presque chacun a un jour été un réfugié. Notre histoire commune est marquée par ces millions d’Européens qui ont fui les persécutions religieuses ou politiques, la guerre, la dictature ou l’oppression. (…) Nous, Européens, devrions savoir, et ne jamais oublier, la raison pour laquelle il est si important d’accueillir les réfugiés et de respecter ce droit fondamental qu’est le droit d’asile. ».

Pour accélérer l’instruction des dossiers des demandeurs d’asile, la Commission Européenne a proposé une liste commune de l’Union Européenne des "pays d’origine sûrs", à savoir qui répondent aux critères de Copenhague quant à la démocratie, l’État de droit et le respect des droits fondamentaux : « Bien évidemment, je n’ignore pas que la liste des pays sûrs n’est qu’une simplification de procédure. Elle ne saurait porter atteinte au droit fondamental à l’asile des demandeurs d’asile venant d’Albanie, de Bosnie-Herzégovine, de l’ancienne République yougoslave de Macédoine, du Kosovo, du Monténégro, de Serbie et de Turquie. Mais elle permet aux autorités nationales de se concentrer sur les réfugiés qui ont le plus de chance de se voir accorder l’asile, notamment ceux qui viennent de Syrie. Ceci est particulièrement nécessaire dans la situation actuelle. ».

Jean-Claude Juncker a ainsi donné sa définition de l’Europe : « Refouler les bateaux qui arrivent dans nos ports, mettre le feu aux camps de réfugiés ou ignorer des gens qui sont dans la misère et livrés à eux-mêmes : ce n’est pas cela, l’Europe. L’Europe, c’est ce boulanger de Kos qui fait cadeau de son pain à ces hommes et femmes affamés et épuisés. L’Europe, ce sont ces étudiants à Munich et à Passau qui apportent des vêtements aux nouveaux arrivants, à la gare. L’Europe, c’est ce policier, en Autriche, qui souhaite la bienvenue aux réfugiés exténués lorsqu’ils franchissent la frontière. C’est dans cette Europe que je veux vivre ! ».


2. La crise grecque

Autre sujet qui a occupé tout l’été, la Grèce et la nécessité, selon Jean-Claude Juncker, que les pays européens aident la Grèce pour éviter tout Grexit : le Grexit n’est pas une option. Ce sujet, qui semble avoir trouvé une voie de résolution avec l’accord du 19 août 2015 entre la Commission et la Grèce, pourrait revenir rapidement sur le devant de la scène à l’issue des élections législatives anticipées du 20 septembre 2015 : « Nous avons pour la première fois réalisé une étude d’impact social [de ce troisième] programme [de soutien à la stabilité en faveur de la Grèce]. ».

Le Premier Ministre grec Alexis Tsipras, qui a démissionné le 20 août 2015, va avoir du mal à convaincre à la fois sur sa gauche (l’aile gauche de Syriza semble l’avoir définitivement quitté) et sur sa droite. Son retournement politique est l’illustration éclatante que le principe de réalité et le sens des responsabilités doivent prendre le dessus sur toutes envolées démagogiques. Un enseignement qui serait valable également en Espagne, en Italie et en France.


3. Le plan d’investissement

La Commission Européenne a lancé un plan d’investissement pour l’Europe de 315 milliards d’euros avec un nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Jean-Claude Juncker a énuméré les premières réalisations de ce plan.


4. Le Royaume-Uni

Jean-Claude Juncker a aussi évoqué les négociations avec le Royaume-Uni sur le réaménagement de ses relations avec l’Union Européenne en espérant qu’elles débouchent sur un accord juste qui respecte les principales libertés garanties par l’Union.




5. La crise ukrainienne

Jean-Claude Juncker a rappelé également le soutien de l’Union Européenne à l’Ukraine, notamment dans la mise en œuvre du cessez-le-feu respecté, l’adoption d’une réforme de large autonomie territoriale et l’organisation d’élections avant la fin de l’année 2015.


6. La conférence mondiale sur l’environnement

L’Union Européenne entend aussi prendre une part active à la réussite de la COP21 en décembre. Là encore, les engagements de Jean-Claude Juncker sur ce sujet ne sont pas nouveaux. En mars 2015, l’Union Européenne a fait la contribution la plus ambitieuse présentée à ce jour, à savoir l’engagement de réduire d’au moins 40% les émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 : « Ma priorité, la priorité de l’Europe, est d’adopter un accord mondial sur le climat qui soit ambitieux, solide et contraignant. ».


Épilogue

C’est donc en Président très politique d’une Europe en grand manque de confiance en elle que Jean-Claude Juncker a terminé son premier discours annuel, comme une profession de foi : « Toute ma vie, j’ai cru en l’Europe. J’ai pour cela des raisons dont certaines, je le sais bien, j’en suis soulagé, n’évoquent rien aux générations d’aujourd’hui. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai dit que je voulais reconstruire des ponts qui commençaient à s’effondrer. Là où les joints de la solidarité avaient commencé à s’effriter. Là où les vieux démons cherchaient à refaire surface. (…) Lorsque, dans quelques générations, les gens liront dans les manuels d’histoire européenne les passages concernant la période que nous traversons, puissent-ils lire (…) que nous avons joint nos forces pour relever les défis mondiaux, protéger nos valeurs et résoudre les conflits. » (9 septembre 2015).

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En ce sens, ce discours était historique car c’était une véritable prise de pouvoir politique de l’Europe. Pour cette raison, le prochain sera sans doute beaucoup plus attendu et médiatisé.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 septembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Texte intégral du discours de Jean-Claude Juncker le 9 septembre 2015 à Strasbourg.
Discours sur l'état de l'Union de Juncker (9 septembre 2015).
Le défi des réfugiés.
Les Français sont-ils vraiment eurosceptiques ?
Le Traité constitutionnel européen.
Victor Hugo l’Européen.
Jacques Delors.
La crise grecque.
Monde multipolaire.
Élisabeth II.
David Cameron.
Tournant historique pour l’euro.
La transition polonaise.
Le Traité de Maastricht.
La débarrosoïsation de l’Europe.

Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l'Europe.
Conseil Européen du 30 août 2014.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Déni de démocratie pour le Traité de Lisbonne ?
Guy Verhofstadt
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Martin Schulz.
Jean-Luc Dehaene.
Débat européen entre les (vrais) candidats.
Les centristes en liste.
Innovation européenne.
L’Alternative.
La famille centriste.
Michel Barnier.
Enrico Letta.
Matteo Renzi.
Herman Van Rompuy.
Gaston Thorn.
Borislaw Geremek.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario Draghi.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections européennes, dommage.
Risque de shutdown européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union Européenne, c’est la paix.
L'écotaxe et l'Europe.

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13 réactions


  • César Castique César Castique 10 septembre 2015 13:01

    « ,...pour axer son action sous l’égide de l’honnêteté, de l’unité et de la solidarité, les trois maîtres mots du discours. »



    Ce type a été premier ministre d’un micro-pays qui s’était fait une spécialité de l’accueil des multinationales soucieuses d’échapper au fisc de leurs pays d’origine, membre de l’U.E. ou non.C’est donc une procédure intéressante dans la progessive démocratisation des institutions européennes...


    « Pour ce qui est de la démocratisation, on peut compter sur ce type qui déclarait à un journaliste du »Spiegel" (N° 52/1999, p. 136) :


    « D’abord, nous décidons quelque chose, puis on le lance publiquement. Ensuite, nous attendons un peu et nous regardons comment ça réagit. Si cela ne fait pas scandale et ne provoque pas d’émeutes, parce que la plupart des gens  ne se sont même pas rendu compte de ce qui a été décidé, nous continuons pas à pas, jusqu’à ce qu’aucun retour ne soit possible… »


     ... et à un autre journaliste du « Spiegel », ou au même (N° du 11 mars 2013) : 

    « Je vais faire une déclaration audacieuse : Il ne faut pas poursuivre de mauvaises politiques uniquement parce qu’on redoute de n’être pas réélu. Ceux qui entendent gouverner doivent assumer leurs responsabilités, à la fois, envers leur pays et envers l’Europe dans son ensemble. Cela signifie qu’ils doivent, le cas échéant, poursuivre les politiques appropriées, même si de nombreux électeurs pensent qu’elles ne le sont pas… »


    Je vous laisse à vos admirations, Rakotoarison. Il en est digne, comme il est digne de la fonction qu’il occupe à la tête de l’UERSS.


    • César Castique César Castique 10 septembre 2015 15:25

      @César Castique



      RECTIFICATION :

      Ce type (Juncker) a été premier ministre d’un micro-pays qui s’était fait une spécialité de l’accueil des multinationales soucieuses d’échapper au fisc de leurs pays d’origine, membre de l’U.E. ou non.


      « C’est donc une procédure intéressante dans la progressive démocratisation des institutions européennes... »


      Pour ce qui est de la démocratisation, on peut compter sur ce type qui déclarait à un journaliste du »Spiegel" (N° 52/1999, p. 136) :


      « D’abord, nous décidons quelque chose, puis on le lance publiquement. Ensuite, nous attendons un peu… »


  • zygzornifle zygzornifle 10 septembre 2015 13:52

    Junker et toutes les sales affaires qu’il a eut sur le dos......en Amérique il ne pourrait même pas s’occuper de la barrière d’un parking désaffecté, par contre en France il pourrait être 1er secrétaire du PS ou a coté du délinquant Juppé.....


  • zygzornifle zygzornifle 10 septembre 2015 13:54

    Il n’y a pas assez d’Europe dans cette Union..... encore un qui se shoote a la vapeur de cacahouètes ou qui fume des pneus de mobylette....


  • Zolko Zolko 10 septembre 2015 15:42

    « grands enjeux politiques, pour axer son action sous l’égide de l’honnêteté, de l’unité et de la solidarité »
     
    rassurez-moi, c’est du sarcasme ?
     
    Ce type a détourné des centaines de milliards d’€uros de rentrées fiscales des autres pays par des accords secrets, il est responsable de trucs et bidules européens depuis 20 ans donc directement co-responsable de ce qui va mal .... et la réponse aux problèmes serait de lui donner encore plus de pouvoir ?


  • escoe 10 septembre 2015 16:54

    Junker : le néolibéralisme nous a mis dans la merde, faisons encore plus de néolibéralisme.


  • COVADONGA722 COVADONGA722 10 septembre 2015 19:28

    U E : delanda est !


  • kalachnikov lermontov 10 septembre 2015 22:14

    "Jean-Claude Juncker voudrait que les Ministres de l’Intérieur des Vingt-huit se mettent d’accord le 14 septembre 2015 sur la relocalisation d’urgence de 160 000 réfugiés actuellement présents en Grèce, en Italie et en Hongrie, et sur une clef de répartition permanente et obligatoire, dépendant de l’importance économique du pays (PIB, population, taux de chômage, etc.) et de sa politique migratoire."


  • jakem jakem 11 septembre 2015 08:48

    Toujours aussi taré du Ceaucescu von Lux, le Rakotoarison !

    Une consultation prolongée auprès de toute une équipe de psys serait peut-être nécessaire...juste pour parler ! parce que la guérison est inenvisageable compte tenu du stade très avancé de l’infection neurologique.

    Il affiche même en gros plan la sale gueule du fraudeur en chef. Je suppose qu’un article de la Pravda ressemblait à ce genre de lèche-culerie.


  • izarn izarn 11 septembre 2015 11:15

    Le fond, ne se trouve pas dans le discours ridicule de Junker.

    Non, la politique internationale ne fait pas partie des traités. Non, la Commission n’a pas le pouvoir d’imposer cette politique.
    Non, les armées de chaque pays n’obeissent pas à la Commission (Malheureusement à l’OTAN souvent, organe implicite de domination américaine) Armée : L’autre moyen de la diplomatie selon Clausewitz.
    En clair du blabla, archi faux sur la Grèce, l’Ukraine, un snif sur les « migrants réfugiés »...
    Chaque pays a parfaitement le droit de faire ce qu’il veut avec les « migrants », et aucune résolution « européenne » ne peut leur etre dictée. Sauf si les 28 sont tous d’accord : Hahahahahahha ! Monsieur de Lapalice !
    Tous d’accord ? Sauf Orban en Hongrie.
    Donc Junker ferme sa grande gueule. Mais ce monsieur croit à son pouvoir depuis que 28 pays devenus totalement crétins ont voté les sanctions à la Russie...Pourquoi ces imbéciles votent à l’unanimité leur propre soumission au crétinisme européen sur la preuve de mensonges ?
    L’UE nous a démontré ses qualités démocratiques face à la Grece, nous t’avons compris, Junker !
    Tu te fous ouvertement de notre tronche !
    Et ne confondons pas Europe et UE. L’UE N’EST PAS L’EUROPE.

    La France possède, pour son propre compte, et uniquement sous son controle souverain l’arme atomique. De fait la France peut tout refuser de l’UE. Peut faire comme la Russie, la Chine, tenir tete aux USA. De meme, la France est au conseil de sécurité de l’ONU.
    Depuis Sarkhollande, la France est une sous nation de dominés.
    Nous sommes trahis par nos élites, comme en 1940.






  • sylvie 14 septembre 2015 19:39

    Vu la photo, cela ne va pas durer, cholesterol y veille.....


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