vendredi 19 novembre 2010 - par Mark Hitti

Guerre économique contre l’Union Européenne

La crise économique internationale ne semble toujours pas derrière nous. En effet, chaque jour apporte son lot d’informations qui nourrissent les incertitudes quant à l’état des finances publiques de certains pays (Grèce) et des bilans de certaines banques (irlandaises, espagnoles). Néanmoins, on constate que dans un marché financier censé fonctionner en état de concurrence pure et parfaite, les agents économiques entreprennent des comportements souvent éloignés de ceux de l’homo oeconomicus, c’est-à-dire de recherche immédiate du profit et de limitation des risques. 

La période actuelle est caractérisée par l’annonce du président de la Federal Reserve, Ben C. Bernanke, d’injecter 600 milliars de dollars dans les bilans des banques américaines en échange d’actifs jusqu’à l’été 2011 (75 milliards de dollars US par mois). Cette action en temps normal correspondrait à une dévaluation de la devise américaine puisque le nombre plus élevé de dollars en circulation dans le monde devrait en diminuer sa valeur.
 
Mais il n’en est rien et au contraire !
 
On constate que depuis l’officialisation de cette annonce, l’euro a baissé de 1,40 dollars à 1,34 dollars aujourd’hui. De même, l’once d’or qui devrait prendre de la valeur lorsque la masse monétaire de la devise américaine augmente a vu sa valeur diminuer de 1420 dollars US à 1330 dollars US aujourd’hui sur le marché américain. 
 
Il s’avère donc difficile de comprendre qu’alors que l’économie américaine souffre encore des contre-coups de la crise (taux de chômage record à 10%, déficits commerciaux et budgétaires gigantesques), sa monnaie continue de se situer à des niveaux aussi élevés. Le résultat de cette situation tient à la combinaison de plusieurs facteurs géostratégiques qu’économiques.
 
L’influence du dollar depuis la seconde guerre mondiale
 
Tout d’abord, les Etats-Unis capitalisent sur une puissance financière encore mondiale malgré la crise économique et industrielle qu’ils subissent. Les économies du monde sont tellement "dollarisées" que toute variation de valeur de la devise américaine influerait énormément sur la valeur des réserves détenues par les différents agents économiques (Banques Centrales, Fonds d’investissement, Banques d’investissement, etc.). 
 
La Chine, ainsi que tous les pays d’Asie du Sud est et le Japon, ont longtemps été les premiers acheteurs des bons du trésors américains depuis plusieurs décennies. En échange, les Etats-Unis avaient accepté d’ouvrir leur marché pour les produits en provenance du Japon, de Chine et des dragons. Ce mécanisme s’est caractérisé par une dégradation des termes de l’échange américains (augmentation des importations et délocalisation des entreprises en Asie pour devenir plus compétitives). 
 
A la fin de cette période (qui se définit par la crise depuis 2007), la Chine est devenue largement excédentaire en terme commercial et s’est constituée des réserves de changes en dollar US d’environ 2500 milliards de dollars. Il devient évident que la Chine verrait d’un mauvais oeil une dépréciation de la valeur du dollar. Voudrait-elle se débarrasser de ses stocks de dollars au risque de plonger l’économie américaine et la valeur du dollar ?
 
La puissance des médias économiques Anglo-saxons
 
Alors que les Etats-Unis et le Royaume-Uni se débattent dans une crise historique pour les secteurs privés et publics, tous les regards sont rivés vers...les PIIGS. Ce gentil diminutif a été donné au Portugal, à l’Italie, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne comme étant des économies à risques et qui ne gèrent pas convenablement leurs dépenses publiques. Le monde financier fut en émoi en octobre 2009 lorsque la Grèce a déclaré avoir caché le véritable montant de son déficit qui avoisinait les 15% alors qu’il était officiellement à 4%. 
 
La presse spécialisée anglo-saxonne s’est embrasée contre la Grèce (3% du PIB européen) et on a commencé à entendre par la bouche de spécialistes, naturellement désintéressés, que l’euro ne pourrait tenir à moins d’une gouvernance économique renforcée. Ce qui fut fait en mai 2010 par la mise en place d’un mécanisme européen permettant de lever 750 milliards de dollars US pour venir en aide aux Etats qui ne pourraient pas honorer leurs échéances. 
 
L’Union européenne, par le visage du Conseil européen et de l’Eurogroupe, avait montré une réactivité qu’on ne lui connaissait pas et cela malgré les critiques fortes de l’Allemagne envers la Grèce, accusée de corruption et de laisser aller. 
 
Le jeu des acteurs financiers américains
 
Cette première alerte pour l’Union européenne fut sans frais alors que fondamentalement la situation de la Grèce était mauvaise. Néanmoins l’intervention des spéculateurs avaient amplifié le phénomène puisque ces opérateurs ne proposaient plus des crédits à un taux de 5% à la Grèce sur 10 ans mais de plus de 10% !!! La prime de risque atteignait des niveaux jamais vus au sein de l’Union Européenne. Mais la mise en place du mécanisme de soutien mis un terme à ce mouvement spéculatif. 
 
Ce mouvement spéculatif est initié par les fonds américains d’investissement qui de manière coordonnées (et planifiées ?) ont attaqué l’euro en vendant leurs positions sur différents titres et en proposant des taux d’intérêts élevés pour la Grèce. On peut se demander si la réaction des agents financiers n’étaient pas exagérées par rapport au poids de l’économie grecque. 
 
Volatilité des marchés et environnement propice aux attaques
 
L’incertitude entretenue par de nombreux médias et personnalités (Newsweek, Bloomberg, Nouriel Roubhini, Paul Krugman) sur l’état des économies européennes plongent les opérateurs dans un état de stress propice à des comportements irrationnels à la moindre nouvelle. 
 
Ce tapage médiatique pousse les agents économiques à se concentrer sur des pays européens dont les problèmes structurels sont indéniables (Pays baltes, Hongrie, Roumanie, etc.) mais qui peuvent encore se financer sur les marchés internationaux et qui ont encore un système fiscal capable de lever des recettes pour combler les dettes. Ce n’est pas vraiment le cas des Etats-Unis et du Royaume-Uni. 
 
Il est fort à parier que les attaques se poursuivront sur les pays de la zone Euro pendant les prochaines années et cela même si des mécanismes financiers, budgétaires et fiscaux sont mis en place. Car le but de ces attaques économiques se place au niveau de l’hégémonie économique. C’est exactement le même schéma qui se produit actuellement sur le marché des matières premières. 


7 réactions


  • kemilein 19 novembre 2010 22:22

    Ces banques ne s’attaqueront pas aux USA, pour la bonne raison que majoritairement leur fonds sont en dollar...
    Couler les USA c’est couler sa monnaie (dollar) donc se couler soit même.

    Ces banques n’en au rien à foutre de la solvabilité des états, elles veulent juste s’en mettre plein les fouilles, sur les marchés qui font du yoyo et ainsi présuriser un peu plus les Etats en augmentant leur taux d’intérêt des prêts.

    Ces mêmes pays faux-cul au possible avec leur propre peuple, au lieu de coller des grandes beignes dans la gueule de ces banques scélérates, sont enfin heureux de pouvoir accomplir, les coudées franches, leur oeuvre cynique d’esclavagisme moderne. Aliéné leur peuple aux dettes, au travail, à la précarité, pour établir enfin leur odre supérieur hégémonique totalitaire.


    • Mark Hitti 20 novembre 2010 15:48

      Vous avez raison, la majorité des réserves des particuliers, des entreprises et des Etats est encore détenue en dollars (55% environ ?). Voilà pourquoi actuellement il y a un manque d’envie de voir le dollar perdre sa valeur trop fortement. 


      Il y a en même temps plusieurs contradictoires processus dans le monde : 
      - la « dollarisation » encore et toujours plus rapide des économies du monde parce que Federal Reserve imprime des dollars en quantité. Donc ses partenaires les achètent pour éviter une dépréciation trop forte de la devise et donc de leurs avoirs. 
      - Un mouvement de certains pays qui se débarrassent de leur dollar : Tous les prêts que la Chine accorde à la Grèce par exemple, les pays africains et certains pays d’Europe centrale et orientale sont en dollars, alors que les pays remboursent dans d’autres devises. 
      - il y a des accords, encore bilatéraux pour le moment, de payer certaines matières premières en devises autre que le dollar. Ce qui est une révolution car la diplomatie américaine n’arrive pas à contrecarrer ce mouvement (Russie, Iran, Venezuela, Chine). 

      Mais à un moment donné, les fondamentaux économiques vont rattraper la réalité virtuelle. Les détenteurs de dollars vont demander aux USA autres choses que des dollars (Bons du Trésor) alors que l’industrie américaine est complètement sinistrée. 

      NB J’acquiesce aussi avec votre dernier paragraphe ! 

  • Daniel Roux Daniel Roux 20 novembre 2010 11:07

    @ L’auteur

    Vous posez la bonne question mais vous n’y répondez pas. Pourquoi la valeur du dollar progresse par rapport à l’Euro alors que les USA sont en quasi faillite, que la planche à billets chauffe, que la contrepartie du dollar sont des actifs pourris.

    On peut comprendre que le dollar reste une monnaie refuge pour les fortunes des pays pauvres, mais qu’en est-il des pays émergents, où les investissements sont devenus plus rentables que les bons du trésor US ?

    Et qu’en est-il de la Livre Sterling, alors que la banque d’Angleterre mène la même politique de monnaie de singe que la banque centrale US ? Comment expliquer la hausse de la livre sterling dans le sillage du dollar ?

    La réponse est dans les manipulations des cours par les grandes banques US au moyen de logiciels sophistiqués. Tout repose sur un grand bluff, sur l’atonie des marchés hors interventions concertés sur quelques valeurs et matières premières. Le premier qui retire sa mise a gagné, tous les autres perdent et le système s’écroule. Un peu fragile comme édifice, non ?


    • Mark Hitti 20 novembre 2010 16:02

      Complètement d’accord avec vous !
      Il y a des mouvements contradictoires en ce moment sur les marchés financiers et monétaires alors que si on tablait notre analyse sur les fondamentaux économiques, les tendances devraient être plus prononcées. 

      Ces manipulations à divers degrés des grandes banques américaines ainsi que de la FED sont possibles parce que le dollar reste une monnaie de réserve dans les avoirs des particuliers et des institutions publiques et privées. Même les « adversaires » des USA, Chine en tête, ne souhaitent pas une forte baisse du dollar puisque les américains restent leur principal débouché. 


      En plus, les médias anglo-saxons économiques et financiers « régulent » le comportement des actionnaires, traders, spéculateurs...en soufflant le chaud et le froid (toujours visant les pays du continent européen). Du coup, les cours boursiers sont impactés et des traders avisés en tirent bénéfice (grâce notamment au trading logarithmique). 

  • sdzdz 21 novembre 2010 12:06

    J’ai le souvenir d’un économiste qui situait la véritable parité dollar US-Euro à 66% sous celle d’aujourd’hui pour que les etats-Unis aient un semblant d’équilibre commercial... Imaginez en plus si l’on crève les bulles spéculatives... Le virtuel n’est pas à part du monde réel.
    Une simulation de guerre économique aux etats-Unis avait vu la victoire de la Chine dans le scénario où celle-ci rompait le statu-quo et bazardait ses réserves de change en dollars... en quelque sorte une « perte acquise » !

    Pour ce qui nous concerne, je défend un retour au Franc via un double système (de sas)pour nous prémunir justement des attaques spéculatives dont vous faites mention :
    -un Franc-Or pour l’Etat central sur ses missions régaliennes !
    -un Franc courant (classique)

    Site de l’IRC sur ce blog
    http://www.la-france-contre-la-crise.over-blog.com/


    • Mark Hitti 21 novembre 2010 15:03

      Le modèle que vous défendez permet un meilleur contrôle de la politique monétaire nationale. 

      Aussi on parle de plus en plus des monnaies locales (Documentation française, Problèmes Economiques) pour que les « infra-économies » évitent les chocs systémiques internationaux.
      Cela suppose donc un changement de modèle du développement économique international vers un modèle un peu plus auto-centré. 
      Sans doute qu’avec les années difficiles, d’autres modèles vont émerger et certains s’inspirant de votre système. 

  • fifilafiloche fifilafiloche 21 novembre 2010 15:42

    Certes, le dollar pourrait retrouver ses niveaux des années 70 à 4 francs francais, soit 1.64 Euros pour un dollar, niveau que l’on a approché en 2008 à 1.61. Mais si l’on regarde les niveaux historiques du dollar, il faut bien avouer qu’on a du mal à valider votre hypothèse de départ d’un dollar surévalué. Et si vous allez voyager aux Etats Unis, vous pourrez constater que la parité de pouvoir d’achat est en faveur de l’Euro. L’Euro à 1,37 dollars valorise le dollar sous les 5 francs ! Vous souvenez vous de l’Euro sous la parité avec le dollar au début des années 2000, après son lancement ?


    Pourquoi le dollar devrait il de toute façon se dévaluer face à l’Euro ? En quoi les niveaux de déficit et de chômage des pays méditerranéens diffèrent ils fondamentalement de ceux de l’autre côté de l’ Atlantique ? En quoi les rachats de créances grecques aux banques Européennes par la BCE de Trichet, tout aussi keynesien que Bernanke, diffèrent ils fondamentalement aussi des rachats de bons du trésor par la Fed ?

     Il s’agit de la part des économies occidentales de compenser leur desindustrialisation par des bulles financières. Certes, les pays méditerranéens ont réussi à maintenir leur bulle immobilière en apesanteur. Elles ont ainsi évité ainsi de rajouter aux créances insolvables immobilières américaines qu’elles ont eu la naiveté d’acheter et celles des Etats Européens qu’elles ont eu la gourmandise d’acheter, celle des ménages grecs, italiens, espagnols, portugais, français endettés sur une génération pour se procurer un toit. Mais combien de temps cela peut il durer ? Combien de temps peut on priver des générations entières de l’accès au logement, les obligeant à cohabiter avec leurs ainés ?

    Quant à l’asertion que les monnaies occidentales ne se seraient pas dévaluées face à l’Or, là encore en regardant les graphiques je ne comprends pas...De 200 dollars l’once en 1990, nous sommes aujourd’hui à 1400 dollars, une bulle supérieure à celle de l’immobilier méditerranéen. Et là encore, il s’agit bien d’une bulle financière, puisque le papier 0r excède largement les réserves physiques.

    Vous tirez des conclusions fondamentales sur des variations de très court terme (une semaine). Il me semble que pour aller au fond des choses, il vous faudrait élargir votre échelle de temps.

Réagir