mardi 5 juin 2018 - par
Italie : ces marchés, mauvais juges et parties
La semaine dernière, les évènements en Italie nous ont fait renouer avec l’état de nervosité des marchés pendant les pics de cette crise de la zone euro qui ne finit jamais : une hausse de 1,5 point de l’emprunt d’Etat Italien à 10 ans et une baisse des bourses. Mais plus insidieux, le discours selon lequel celui qui provoquerait cela serait un « charlatan » dans un effarant jugement de valeur.
Les marchés peuvent-ils être une boussole pour l’humanité ?
C’est un discours que l’on entend de plus en plus, au fur et à mesure que des choix démocratiques qui sortent de l’orthodoxie idéologique provoquent la nervosité des marchés. Nous atteignons aujourd’hui le point où un commissaire européen allemand en vient à évoquer sans honte que « les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter », imposant à la commission de le dédire et de s’excuser. Et encore, on peut fortement soupçonner que ce qui lui est reproché, c’est plutôt d’avoir dit tout haut ce que les eurocrates pensent tout bas, mais qui n’est pas acceptable de dire publiquement… Plus globalement, ce qui nuit à la stabilité des marchés se le voit souvent rapidement reprocher.
Mais par quelle monstruosité de tels raisonnements peuvent-ils s’imposer ? Théoriquement, tout ce qui s’est passé depuis plus de trente ans devrait nous prémunir d’une telle idée. Comment ces marchés, qui vont de bulle spéculative à bulle spéculative, avec 3 krachs retentissants (1987, 2001 et 2008) peuvent-ils être considérés comme des juges de quoi que ce soit, ces marchés « à l’exubérance irrationnelle » pour reprendre les mots de Greenspan… Qui plus est, difficile de ne pas comprendre que les intérêts des marchés ne sont pas l’intérêt général de l’humanité. Tous les travaux sur les inégalités démontrent une profonde déconnexion entre les deux : les marchés ne servent que les 1%.
Les marchés ne représentent que l’intérêt d’une petite minorité, dont les intérêts sont souvent contradictoires avec l’intérêt général, comme le montre la baisse des bourses quand les salaires augmentent trop. Non seulement les marchés ne sont en aucun cas le thermomètre de l’intérêt général, mais seulement de celui des riches actionnaires, mais en plus, leur jugement ne peut même pas être considéré comme très fiable, comme le démontrent les bulles du passé ou l’extravagante valorisation de certaines licornes, au premier rang desquelles Tesla aujourd’hui. Bref, se fier au jugement des marchés est une absolue monstruosité intellectuelle d’autant plus effarante vu notre passé récent.
En revanche, la myopie de ceux qui se fient à un tel jugement en dit long sur eux. Non seulement un tel jugement est profondément superficiel et contredit par les dernières décennies : les marchés ne font que suivre les intérêts de l’oligarchie financière. Au final, souvent (mais pas toujours), leur nervosité peut au contraire exprimer une bonne direction pour l’intérêt général…