jeudi 8 décembre 2005 - par Daniel RIOT

L’Europe en panne de locomotive et de chef de gare

Oui à l’Europe du rail. Elle vient de progresser... mais le fond de l’affaire est politique..
Pourquoi, diable, avons-nous rompu, au nom de la modernité, avec les belles entreprises qui avaient pour nom : Trans-Europe-Express (Londres-Istanbul : quel voyage !), avec les Transibériens, avec les TEE (Milan-Londres, ou Amsterdam via Genève, Bâle, Strasbourg, Luxembourg, Bruxelles) ?

Pourquoi a-t-on perdu autant de temps, d’énergie et d’argent en renonçant à des grands projets complémentaires (« l’aérotrain Bertin » Genève-Bruxelles via Strasbourg, les grandes liaisons ferroviaires à grande vitesse NORD-SUD, de Stockholm à Valence via le Massif central, ou Est -Ouest de Paris à la Mer noire via Strasbourg et le Danube) ?

Dans les années 1970, à une époque où le Conseil de l’Europe avait encore des compétences en matière d’aménagement du territoire (sacrifiées sur l’autel des restrictions budgétaires et du règne des politiques à court terme), nombre de projets ont été fusillés bêtement...

Dans les « années Delors », toutes les propositions (réalistes) de « grands travaux » ont été, dans l’Union européenne, rangées au fond des caves des espérances déçues, ces « oubliettes » d’un futur pensé, construit, maîtrisé...

Ce que l’on appelle depuis 1974 « la crise » vient de là aussi. Des politiques qui ont trop « le nez dans le guidon ». Des lobbies (pétrolier, aériens et ...écologistes) trop puissants et trop mal contre-balancés. Du renoncement à cette politique prévisionniste du « plan », dans le sens que Jean Monnet et Charles de Gaulle donnaient à ce mot. De l’imbécillité crasse, qui fait sacrifier l’avenir au présent.

L’Europe unie a été construite à partir du charbon et de l’acier, denrées stratégiques bien choisies par Monnet, Schuman, Adenauer, de Gaspéri, Spaak et d’autres. Elle impliquait aussi l’énergie et les transport, ces autres armes de guerre (et d’une paix réussie). L’EURATOM a été cassé, par de Gaulle, au nom de l’arme nucléaire , et par l’Italie, au nom de cette loi du juste retour qui nous fait encore si mal. Et les transports ont été ignorés par bêtise collective. Avec deux victimes : le rail et les canaux.

Curieuse alliance objective de deux bourreaux : les lobbies (de l’air et du pétrole, du ciel et de la route) et des écologistes... Ceux-ci dénoncent la pollution, les camions, le bruit, les nuisances en tous genres, mais s’opposent aussi aux TGV, aux liaisons fluviales à grand gabarit (comme le Rhin-Rhône), à tout ce qui peut contribuer à réduire les productions de CO2 et l’inconfort général...

Incohérence ? Évidemment. Mais il faut se replonger dans les textes publiés par les écolos à l’époque des débuts du rail. Les trains ? Ils allaient faire tourner le lait des vaches dans les champs... Les tunnels ? Ils allaient provoquer des maladies mentales chez les passagers... La fumée des locos ? Elle allait asphyxier le monde... Le bruit des trains ? Il allait rendre sourdes les populations.... Cassandre de tous les pays, unissez-vous... Le rail, c’était le paysage génétiquement modifié, en quelque sorte. Les pétroliers, les industriels de la route et du ciel, bref, les vrais pollueurs en ont tiré parti : il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions pour faire le bien. Retour à Faust.

Aujourd’hui, l’Union européenne tente de relancer une Europe du rail. Modestement. Avec un mot d’ordre chargé d’ambiguïtés : libéralisation. Les ministres européens des transports ont trouvé lundi, à Bruxelles, un accord pour libéraliser dès 2010 le trafic ferroviaire international de passagers en Europe. Outre la libéralisation, l’accord dégagé prévoit également des remboursements partiels pour les passagers en cas de retards importants sur les lignes internationales : au-delà d’une heure de retard, l’indemnité sera de 25 pc ; au-delà de deux heures, de 50 pc. Conformément à la procédure législative européenne, le texte va à présent retourner auprès du Parlement européen pour une seconde lecture.

Le Parlement, lui, veut une « libéralisation » plus proche (2008). Il souhaite surtout une organisation des grands réseaux plus intégrée, dans une politique d’aménagement du territoire avec une harmonisation technique (largeur des rails et compatibilité des matériels, notamment). Les frontières sont supprimées, mais les obstacles à une libre-circulation restent techniques...

Dans ce contexte, pourquoi ne pas suggérer la création d’une SECF, d’une Société européenne des chemins de fer ? Peu importe son statut, public, privé ou mixte : cela fera débat. C’est la mission de service public qui importe, donc les services rendus au public. À la Commission, qui a pouvoir d’initiative, aux gouvernements qui restent les vrais acteurs et les vrais non-acteurs de l’Europe, à l‘opinion , aux différentes sociétés ferroviaires de se faire entendre...

Une SECF replacerait aussi les débats sur les « services publics » en Europe dans une optique moins dogmatique et plus réaliste. Mais qui va mettre le train sur les rails ? C’est d’une vraie locomotive que manque l’Europe... Allô Junker ? Ce n’est plus le mot de Kissinger : "L’Europe, quel numéro ? ". C’est : « L’Europe ? Je fais le bon numéro, mais qui décroche ? ». Qui peut remettre l’Europe sur ses rails ? Là est le vrai défi... L’Union est en panne de locomotive. Et de chef de gare.



2 réactions


  • (---.---.162.15) 8 décembre 2005 20:41

    Face aux dégats écologiques des poids lourds routiers, le chemin de fer devrait être une forte priorité européenne, bien sûr, on le sait depuis longtemps et le temps passe et rien ne s’arrange. Il est vrai que pour y arriver (par exemple avec votre SECF), il faut fausser la concurrence, donc changer d’Europe. Autant dire que dans le contexte actuel on ne peut rien faire...

    C’était d’ailleurs un argument utilisé dans le camp du Non à la Constitution. Le Non l’a emporté, mais « la concurrence libre et non faussée » reste encore la sacro-sainte règle et ce n’est pas compatible avec une politique volontariste pour préserver l’environnement.

    Il y a de nombreuses partisans du Oui qui n’en sont pas conscients, il y aurait pourtant de quoi se rendre compte avec cet exemple de l’importance du débat qui a divisé la France et qui garde toute son actualité, n’en déplaise à ceux qui voudraient tourner la page. Dans l’Europe d’aujourd’hui (et pire encore dans celle de la Constitution), vous rendez-vous de « l’énormité » que constitue un appel à créer une SECF ? Pourtant, pourtant, pourtant...

    Am.


  • ulice (---.---.174.63) 14 décembre 2005 18:34

    Oui au rail Trop de camions sur les routes

    Ulice


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