jeudi 30 janvier - par Sylvain Rakotoarison

Le Brexit, 5 ans plus tard

« [L'Angleterre] n’entrera dans la Communauté Européenne, que lorsqu’elle aura répudié à la fois son rêve impérial et sa symbiose avec les Américains. Autrement dit, quand elle se sera convertie à l’Europe. » (De Gaulle, le 16 janvier 1963).

Cela fait maintenant cinq ans que le Brexit est effectif. En effet, le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union Européenne le 31 janvier 2020. Revenons sur la chronologie et sur les conséquences.

Le Royaume-Uni a intégré la CEE le 1er janvier 1973, après la levée du veto français à l'époque de De Gaulle. Cette adhésion était politiquement et historiquement cruciale pour le continent européen. L'histoire a cependant démontré que cette adhésion a été un échec, puisqu'il y a eu séparation moins de cinquante années plus tard (la seule séparation pour le moment).

Pour des raisons électoralistes, le Premier Ministre britannique David Cameron s'est fait réélire sur la promesse d'organiser un référendum sur le Brexit, en pensant que le maintien du pays aurait été approuvé par le peuple britannique. Sauf que la démagogie des populistes a réussi à convaincre une majorité d'électeurs (51,9%) de voter en faveur du Brexit lors du référendum du 23 juin 2016, si bien que cela a ouvert une période d'incertitude économique tant au Royaume-Uni qu'en Union Européenne. Et aussi d'instabilité politique au Royaume-Uni.

La chronologie est la suivante : le 13 juillet 2016, Theresa May a succédé à David Cameron après l'échec de ce dernier. La nouvelle Première Ministre a souhaité aller jusqu'au bout du Brexit malgré certaines opinions proposant d'interrompre le processus. Le 1er octobre 2016, l'ancien ministre et commissaire européen Michel Barnier a été nommé négociateur en chef pour le compte de l'Union Européenne (jusqu'au 31 mars 2021). En face de lui, pour le compte du Royaume-Uni, David Davis. Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a officiellement activé l'article 50 du Traité de Lisbonne, amorçant le processus de séparation.

Les profondes divisions au sein de majorité conservatrice (notamment sur le statut de l'Irlande du Nord) ont provoqué l'arrivée de Boris Johnson le 24 juillet 2019 au 10 Downing Street. Après bien des difficultés provenant encore des divisions des conservateurs, un projet d'accord a été conclu contre le Royaume-Uni et l'Union Européenne le 17 octobre 2019 (des députés européens britanniques ont donc été élus en mai 2019 et ont siégé pour une courte période au Parlement de Strasbourg).

La sortie officielle du Royaume-Uni de l'Union Européenne a eu lieu le 31 janvier 2020. Une période transitoire s'est alors déroulée pendant onze mois, le temps de négocier un nouvel accord commercial (qui a été finalement conclu le 24 décembre 2020). Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni a quitté définitivement le marché unique avec le retour des contrôles douaniers et (à partir du 1er octobre 2021), la nécessité d'un passeport pour franchir la Manche. Aux élections de 2024, les conservateurs ont perdu le pouvoir après une instabilité de leurs gouvernements (deux autres Premiers Ministres se sont succédé après Boris Johnson).

Dès l'annonce des résultats du référendum en 2016, une majorité de sondés regrettait déjà le Brexit. Sur le plan économique, il est difficile d'évaluer exactement les conséquences économiques dues au Brexit car la période coïncide avec la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine, deux gros facteurs de troubles économiques.

 

Dans une étude réalisée par Louis Adjiman et Benjamin Cabot pour la Direction générale du Trésor, publié le 30 avril 2024, il est précisé les conséquences économiques du Brexit pour le Royaume-Uni. Ainsi, les échanges commerciaux de biens entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne n'ont été que temporairement affectés à partir de 2021, tandis que les échanges commerciaux de services ont été durablement affectés. En outre, les investissements des entreprises au Royaume-Uni ont stagné à partir de 2016, et n'ont repris qu'à partir de 2023.

Plus généralement, le Royaume-Uni a mieux encaissé le choc économique de la pandémie en 2020-2021 que l'Union Européenne, mais a été à très faible croissance en 2023, plus faible que l'Union Européenne. En 2024, sa croissance est revenue au niveau de l'Union Européenne après un rebond remarquable du PIB. Bref, le Brexit n'a pas donné un avantage économique apparent aux Britanniques... mais ce n'a pas été non plus un désastre économique comme certaines Cassandre le craignaient.

Sur le plan migratoire, le Brexit n'a pas non plus changé fondamentalement le problème, ce qui était prévisible puisque le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l'Espace de Schengen et les problèmes de Calais montraient que de nombreux candidats à l'immigration en France voudraient traverser la Manche pour atteindre le Royaume-Uni. Depuis la fin de la libre circulation, il y a eu plus de 3,6 millions de migrants au Royaume-Uni alors que les populistes pro-Brexit prétendaient que le Brexit arrêterait ces arrivées (solde migratoire de plus 2,3 millions). L'un des pourfendeurs de l'Union Européenne, Nigel Farage a même confié sur BBC le 15 mai 2023 : « Le Brexit a échoué ! ».

De même, ceux qui pensaient que le départ du Royaume-Uni permettrait à l'Union Européenne de renaître sans les freins britanniques ont eu tort. Une explication à cela : la forte division des pays européens, en particulier avec des dirigeants qui remettent en cause certaines valeurs démocratiques, comme en Pologne, en Tchéquie, en Slovaquie et bien sûr en Hongrie. Cette division a empêché de définir clairement des politiques étrangères communes.

 

Selon le Trésor britannique, le coût de la séparation a été de 30,2 milliards de livres (36,1 milliards d'euros). La baisse des exportations de biens du Royaume-Uni vers l'Union Européenne depuis le Brexit a été de 27 milliards de livres. Pour l'instant, il est difficile aussi d'avoir des données économiques neutres en raison de la profonde opposition entre pro-Brexit et anti-Brexit. Elles permettraient d'avoir une analyse objective de la situation avec sans doute, c'est une intuition, l'idée que le Brexit n'aura pas influé de manière déterminante sur le cours des événements, dans un sens ou dans un autre.

Ce qui est sûr, c'est que le Royaume-Uni ne redemandera pas à court terme sa réintégration dans l'Union Européenne qui lui ferait cher payer, même si une majorité de Britanniques y serait favorable. Le Premier Ministre travailliste Keir Starmer a en effet exclu toute initiative dans ce sens, pas de réintégration dans le marché unique ou l'union douanière, pas de retour à la libre circulation des personnes. En revanche, il souhaite renforcer la coopération militaire et diplomatique avec l'Union Européenne et renégocier l'accord commercial de 2020. Bref, après un divorce, il faut réapprendre à se parler pour les enfants...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Brexit, 5 ans plus tard.
Brexit Day : J – 3 …et De Gaulle dans tout ça ?
Keir Starmer.
L'échec de la CED il y a 70 ans.
Élections européennes 2024 (7) : Ursula von der Leyen et ses trois priorités, la défense, le logement et la compétitivité.
Élections européennes 2024 (6) : le casting pour la dixième législature du Parlement Européen.
Élections européennes 2024 (5) : la victoire de... Ursula von der Leyen !
Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
Élections européennes 2024 (3) : y aura-t-il une surprise dimanche soir ?
Quel est le programme européen de la liste Renaissance ?
Programme de la liste Hayer à télécharger (6 mai 2024).
L'hommage de l'Europe à Jacques Delors.
Le débat Gabriel Attal vs Jordan Bardella du 23 mai 2024.
Élections européennes (2) : 37 listes et un bulletin de vote !
Le souverainisme européen selon Emmanuel Macron : puissance, prospérité et humanisme.


L'hymne à l'Europe.
Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
Le Tunnel sous la Manche.
Les 120 ans de l'Entente cordiale.
Eurovision 2024.
La vision européenne d'Édouard Balladur.
Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
La convergence des centres ?
Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
Enfin, une vision européenne !
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !

 

 



17 réactions


  • amiaplacidus amiaplacidus 30 janvier 17:23

    Deux articles de Rakoto le même jour, on atteint l’overdose.


  • ETTORE ETTORE 30 janvier 19:34

    Quand est ce que vous allez vous faire sortir, vous, RakotoXit ?


  • titi titi 30 janvier 19:37

    @L’auteur

    Le Brexit était une siouxerie de Bojo, qui espérait sortir de l’EU, tout en y restant : sortir la Grande Bretagne, mais y conserver l’Irlande du Nord.

    Il aurait alors pu faire passer les importations du monde entier vers l’EU en contournant les normes, en se posant comme intermédiaire incournable.

    Mais paradoxalement, l’Europe qui d’habitude est d’une naiveté sans nom, a vu le coup venir.


    • Fergus Fergus 31 janvier 09:32

      Bonjour, titi

      « une siouxerie de Bojo », basée sur des bobards de Farage, ce qu’il a reconnu après coup, effaré de voir que son discours manipulateur et mensonger avait fonctionné.


    • titi titi 31 janvier 14:50

      @Fergus

      C’est la menace de la caducité de l’accord du Vendredi Saint, qui a fait capoter son plan.
      Et il faut reconnaitre que c’est Barnier qui a bien manoeuvré.


  • Eric F Eric F 30 janvier 19:41

    En 1973 lors de l’entrée dans a CEE, le premier ministre britannique Edouard Heath était réellement pro-européen (le seul PM qui l’ait été, avec Tony Blair).

    Cameron a voulu faire un chantage à l’UE pour obtenir des concessions, considérant qu’en mettant en avant ces avantages le referendum serait favorable au maintien dans l’UE. Il a obtenu les concessions, mais a perdu le referendum. Les britanniques s’emmèlent parfois les pieds dans leurs propres intrigues.


    • Durand Durand 31 janvier 09:09

      @Eric F

      « En 1973 lors de l’entrée dans a CEE, le premier ministre britannique Edouard Heath était réellement pro-européen (le seul PM qui l’ait été, avec Tony Blair). »

      Oui, sans doute mais Pompidou, forcé d’attendre que le cadavre du Général refroidisse pour accepter l’entrée de la GB, l’était bien plus encore !… Un rare alignement des étoiles dont Pompidou a bien su profiter et qui a permis, très vite, l’adoption de l’article 42 du TUE, qui enterre notre souveraineté diplomatique, notre non-alignement et notre capacité à défendre nos propres intérêts dans le Monde :

      – dans le texte : « La politique de sécurité et de défense des états membres est compatible [sic] avec le cadre du Traité de l’Atlantique Nord ».

      ..


    • Eric F Eric F 31 janvier 09:47

      @Durand
      L’ article que vous citez existait-il à l’époque de la CEE des années 70 ?
      Pompidou, en tout cas, n’était pas pour le fédéralisme européen, et avait justement été élu contre Poher qui voulait mettre la force de dissuasion au service de l’Europe Unie.
      C’est sous Giscard que l’européisation s’est accentuée (PE au suffrage universel...), puis Mitterrand (Schentgen, Maastricht...).


    • Durand Durand 31 janvier 13:21

      @Eric F

      En 1957, les Six, dont deux pays des forces le l’Axe totalement phagocytés par Washington, l’Allemagne et l’Italie, étaient déjà tous membres de l’OTAN. Le problème ne se posait pas…

      Ce n’est qu’avec l’élargissement qu’est née la nécessité de formaliser une politique étrangère commune. L’article 42 du TUE (Lisbonne) pré-existait dans le traité de Maastricht. Mais comme entre le traité de Rome et celui de Maastricht, de Gaulle nous avait fait sortir du Commandement Intégré, Sarko nous l’a fait réintégrer car ça faisait “désordre“ !

      Concernant le rothschildien Pompidou et ses déclarations à un instant T, par principe et vu l’impact de sa loi scélérate de 73, j’ai tendance à douter systématiquement de lui et de ses déclarations. Et s’il est vrai qu’il avait une toute autre épaisseur politique que Poher, je pense qu’il avait également un tout autre agenda…

      ..


    • Durand Durand 31 janvier 14:08

      @Eric F

      Georges Pompidou présente le référendum sur l’élargissement de l’Europe…

      En resumé, il dit qu’on ne sait pas où l’on va mais qu’il faut y aller quand-même ! Il dit en outre que la France est trop petite pour s’en sortir toute seule, reprenant en substance le discours de Pétain sur Das Neu Europa, l’Europe hitlerienne…

      https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001399/georges-pompidou-presente-le-referendum-sur-l-elargissement-de-l-europe.html

      ..


    • Eric F Eric F 31 janvier 14:22

      @Durand
      La CEE cherchait à ’’peser’’ face aux USA économiquement face aux USA en terme de marché intérieur et de production, et de fait, l’Europe a remonté une partie de son retard.
      C’est après de la crise des années 2008/2009 qu’on a plongé par rapport aux USA, et effectivement ce n’était plus la même conception d’Union Européenne qui était alors en oeuvre, le cout de subvention aux élargissements et le règlementarisme tâtillon nous ont plombé.

      Concernant la loi de 73, il y a une curieuse fixette sur ce thème, or elle n’interdisait pas les ’’avances de la BdF’’, elle les encadrait, et ces avances avaient été utilisées dans les plans de relance, mais la planche à billet avait conduit à de multiples dévaluations, d’où l’abandon sous Mitterrand de ce recours. (référence)


    • Durand Durand 1er février 08:50

      @Eric F

      D’accord pour la loi de 73…

      Sous l’article du Monde que je mets en lien et dans lequel Cheminade est lui aussi accusé de critiquer injustement cette loi, il y a son courrier, bien argumenté, dans lequel il s’en défend.

      Correspondance :

      Nous avons reçu de Jacques Cheminade, le courrier suivant :

      « Mon nom a été mentionné, parmi d’autres, dans un article du 13 décembre 2018, signé Anne-Aël Durand, sur la loi du 3 janvier 1973.

      D’une part, je n’ai jamais appelé cette loi « Pompidou-Giscard-Rothschild », une appellation que je juge impropre. D’autre part, si j’ai bien mentionné cette loi dès 1997 dans une étude intitulée « Un plan de relance par le Crédit public productif », je n’y voyais qu’une étape vers l’interdiction future des avances de la Banque de France au Trésor, qui a découlé du Traité de Maastricht de 1992. J’écrivais : « Les concours de la Banque de France au Trésor ont donc disparu à partir du 1er janvier 1994, deuxième phase de l’Union économique et monétaire européenne. »

      Dans mon projet présidentiel de 2017, j’ai souligné que c’est la loi du 4 août 1993 qui a mis officiellement fin aux avances de la Banque de France au Trésor. En outre, comme l’indique un schéma du rapport de la Commission des finances du Sénat du 31 mai 2017, les concours de la Banque de France sont passés de 15 % de la dette française en 1978 à 0 % en 1983. Il apparaît donc que le démantèlement des avances de la Banque de France n’a pas été la conséquence de la loi de 1973, mais d’une décision politique, à partir de 1983, entérinée par la loi du 4 août 1993. »

      https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/13/non-la-loi-pompidou-giscard-rothschild-de-1973-n-a-pas-cree-la-dette-francaise_5397066_4355770.html

      Il est quand-même révélateur qu’avant le traité de Maastricht, on ait éprouvé la nécessité de supprimer l’art 25 de cette loi de 73 dont l’usage immodéré provoquait, certes, une dévaluation du Franc mais egalement, une meilleure compétitivité à l’export…

      Peu après, l’Euro, trop cher pour la France, fera exactement le contraire et participera largement à précipiter notre économie vers les bas-fonds dans lesquelles elle toujours est engluée… Plus tard, la Grèce en a également fait les frais…

      La convergence monétaire qui a précédé la mise en place de l’Euro était la pire chose que l’on pouvait infliger à la zone économique non homogène que constituait la CEE…

      ..


    • Durand Durand 1er février 09:50

      @Eric F

      Pompidou et Bilderberg :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Bilderberg

      ..


  • Parrhesia Parrhesia 31 janvier 12:31

    >>> Ce qui est sûr, c’est que le Royaume-Uni ne redemandera pas à court terme sa réintégration dans l’Union Européenne qui lui ferait cher payer <<<

    D’abord la Grande Bretagne a toujours la capacité de produire des personnalités assez solide pour affirmer : « I want my money back » ... et pour l’obtenir !

    Ensuite, nous ne voyons pas pourquoi le réalisme Britannique souhaiterait un retour au sein d’une contre-europe en voie de désagrégation et qui ne peut plus dissimuler ses buts inavouables !

    Néanmoins, reconnaissons que cet article est plutôt objectif quant aux conséquences du Brexit.


  • mursili mursili 31 janvier 20:58

    Sérieux, il reste encore des places à bord du Titanic ?

    C’est le moment d’en profiter, non ?


Réagir