vendredi 28 novembre 2008 - par ARMINIUS

Petite Histoire de l’Europe pour les plus ou moins nuls (3)

Après le massacre ou comment Arminius devint le mythe national allemand.

Imaginez un mix de « la chanson de Roland » de l’Histoire de Vercingétorix et de celle de Jeanne d’Arc, vous aurez une idée de l’importance que prit au cours des siècles le mythe d’Arminius pour nos voisins allemands .

 Dès les premières années après sa mort, l’épopée d’Arminius se transmit par la tradition orale dans toutes les contrées germanique et même au delà, au fur et à mesure le héros gagna en importance et devint plus qu’une légende, à tel point qu’il donna probablement naissance à un autre héros mythique : SIEGFRIED. C’est le résultat d’études sérieuses menées conjointement à la fin du siècle dernier par des chercheurs des universités de Bonn et de Vienne. Pour l’étymologie, ils se référent au nom du père Ségimerus qui devient Sigmund , on garde la première radicale Sig et par une petite gymnastique -en tenant compte de la filiation on arrive à Siegfried- c’est un peu tiré par les cheveux mais ça tient d’autant que ça peut passer allemand contemporain (Sieg= vainqueur, Fried= paix) . D’autre part Siegfried et Arminius se confondent dans la légende : le Dragon est figuré par la colonne des légionnaires romains avec leurs boucliers rutilants comme autant d’écailles et sa gueule terrifiante crachant des flammes par le vacarme des cors et buccins ajouté à la puissance de feu des balistes, scorpions et autres catapultes .. . Autres points communs des deux héros : ils ont tous deux des démêlés familiaux, sont tous deux assassinés par un proche, de plus l’un se baigne dans le sang du dragon pour se rendre invincible, l’autre se barbouille de sang d‘animaux pour se rendre, l’obscurité aidant, invisible et échapper ainsi à ses ennemis. Autres similitudes à lire (en anglais) sur : www.harbonet.com/folks/theedrich/hive/Medieval/Siegfried.htm

Puis par mutations successives le nom d’Arminius se germanisa en Hermann Certains se sont aussi interrogés sur une autre étymologie d’Hermann : fils de Mann, l’ancêtre géniteur des germains ?ou chef d’Armée ? (Heer= armée- Mann = le premier homme, le chef)

Après la chanson de geste et aidé par l’invention de l’imprimerie : le mythe d’ Hermann donna naissance à quantité d’œuvres littéraires :

 Au XVIème siècle, les Humanistes et Martin Luther, le récupèrent pour louer les « qualités morales » germaines face aux mœurs dissolues de Rome( fastes coûteux, vente d’indulgences etc.) et promouvoir ainsi la Réforme.

Au XVIIème, entre autres, un roman fleuve de plus de 3000 pages signé Von Lohenstein mit en avant les intrigues amoureuses entre Arminius et Thusnelda , et fut surtout une critique plus ou moins cachée de l’actualité de l’époque , incluant une charge contre les massacres engendrés par les troupes de Louis XIV en terre allemande. Pour les siècles à venir, l’ennemi héréditaire sera la France.

Au XIXème, plus de soixante drames, opéras et opérettes furent composés sur le même thème , suite à l’humiliation de Wagram, et avec la montée du nationalisme von Kleist  puis Grabbe écrivirent chacun leur version du « Massacre d’Hermann » en usant librement d’anachronismes .

 Dans la deuxième moitié de ce même siècle  la Monarchie d’Autriche, Le Royaume de Prusse , le Royaume de Bavière eurent besoin d’un héros mythique unificateur . Ce héros devait se dresser face à la menace française. On récupéra encore le mythique Hermann pour lui ériger une statue monumentale, l’épée menaçante brandie en direction de la France ( et non vers Rome ! comme il eut été historiquement correct !).

Napoléon III en réaction ressortit le mythe de Jeanne d’Arc et celui de Vercingétorix (une statue beaucoup moins monumentale et, présage de défaite, épée pointée vers le sol et tête courbée : contrairement à Arminius, il avait fini par être vaincu…)

Avec la montée du nazisme, on ressortit une dernière fois le mythe : Le Drame de Von Kleist tint le haut de l’affiche du Berlin des années trente alors que l’anneau des Nibelungen enthousiasmait les foules à Bayreuth. Mais l’ordre nazi s’accommodait plus de l’apparat des légions romaines que de la pagaille barbare et , de plus, il ne fallait pas froisser le nouvel allié italien, qui de son coté tourna malgré tout une version du massacre d’Hermann, un péplum douteux où les opposants se félicitaient mutuellement de leurs vertus guerrières …

En guise d’épilogue : l’histoire du Massacre de Teutoburger Wald n’est pas terminée, la version que j’en ai tirée, synthèse de sources multiples, tant latines qu’allemandes et anglaises, est probablement proche de la réalité, mais elle a aussi ses détracteurs, surtout quant aux lieux exacts du massacre, la bataille des « Ponte Longi », six ans après où, Caecina( et non Germanicus) affronta Arminius pourrait aussi avoir eu lieu au même endroit, théorie séduisante mais les preuves manquent et une autre énigme apparaîtrait : on n’aurait alors plus aucune trace des légions perdues …



8 réactions


  • alberto alberto 28 novembre 2008 10:47

    Voilà un article qui donne matière à exégèse ce qui n’est pas pour déplaire aux amateurs !
    Mais ces trois épisodes nous ont régalés.
    Bien à toi, Arminius.


  • ASINUS 28 novembre 2008 11:33

    je me joins bien volontier au cortege de louanges a l auteur
    Arminius"Respice post te ! Hominem te esse memento !" smiley


    a vous lire de nouveau


  • LE CHAT LE CHAT 28 novembre 2008 12:04

    un peu de culture dans ce monde de brutes ! smiley
    merci pour cette 3eme partie


  • dom y loulou dom 28 novembre 2008 13:14

    passionant, merci.


  • finael finael 28 novembre 2008 18:46

    Quelle belle épopée, après celle de l’histoire, celle de la légende !

    Que j’aimerais lire plus souvent des articles de cette qualité.

    Bravo ... et merci !


  • armand armand 28 novembre 2008 20:32

    Passionnant !

    Mais il faudrait prolonger, car les Niebelungen figurent très vraisemblablement les Burgondes, massacrés par Etzel (Attila le Hun) avec l’intervention de "Dietrich von Berne" - autrement dit, Théodéric de Vérone, roi ostrogothique d’Italie à la fin du Ve siècle...


  • ARMINIUS ARMINIUS 28 novembre 2008 22:53

    Merci à tous pour ces compliments qui me vont droit au coeur, ça me donne envie de continuer, donc à une prochaine fois sur AV j’espère. Ah ! une petite dernière pour le W-E, le tableau qui illustre cet article est de Caspar David Friedrich et s’intitule : "Le Tombeau d’Arminius"ce peintre romantique allemand du XIXéme est l’auteur de véritables chefs-d’oeuvre. David d’Angers disait de lui : "il a su faire une tragédie de chacun de ses paysages"...


  • vasionensis 30 novembre 2008 16:29

     "Segimerus" et "Arminius "sont des termes latins, comme leur terminaison l’indique. Si cette ’terminaison’ était en fait constitutive du radical, elle n’aurait probablement pas disparu lors des évolutions postérieures.

     Faire dériver "Siegfried" et "Hermann" de "Segimerus" et "Arminius" semble donc moins légitime que l’inverse, qu’éclaire du reste l’étymologie germanique. Encore Segimerus/Siegfried est-il un peu tiré par les cheveux, dans un sens comme dans l’autre, ce qui n’empêche pas par ailleurs l’assimilation des personnages littéraires ou mythiques.

     L’article n’en est pas moins intéressant.


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