Petite Histoire de l’Europe pour les plus ou moins nuls (3)
Après le massacre ou comment Arminius devint le mythe national allemand.

Imaginez un mix de « la chanson de Roland » de l’Histoire de Vercingétorix et de celle de Jeanne d’Arc, vous aurez une idée de l’importance que prit au cours des siècles le mythe d’Arminius pour nos voisins allemands .
Dès les premières années après sa mort, l’épopée d’Arminius se transmit par la tradition orale dans toutes les contrées germanique et même au delà, au fur et à mesure le héros gagna en importance et devint plus qu’une légende, à tel point qu’il donna probablement naissance à un autre héros mythique : SIEGFRIED. C’est le résultat d’études sérieuses menées conjointement à la fin du siècle dernier par des chercheurs des universités de Bonn et de Vienne. Pour l’étymologie, ils se référent au nom du père Ségimerus qui devient Sigmund , on garde la première radicale Sig et par une petite gymnastique -en tenant compte de la filiation on arrive à Siegfried- c’est un peu tiré par les cheveux mais ça tient d’autant que ça peut passer allemand contemporain (Sieg= vainqueur, Fried= paix) . D’autre part Siegfried et Arminius se confondent dans la légende : le Dragon est figuré par la colonne des légionnaires romains avec leurs boucliers rutilants comme autant d’écailles et sa gueule terrifiante crachant des flammes par le vacarme des cors et buccins ajouté à la puissance de feu des balistes, scorpions et autres catapultes .. .
Puis par mutations successives le nom d’Arminius se germanisa en Hermann Certains se sont aussi interrogés sur une autre étymologie d’Hermann : fils de Mann, l’ancêtre géniteur des germains ?ou chef d’Armée ? (Heer= armée- Mann = le premier homme, le chef)
Après la chanson de geste et aidé par l’invention de l’imprimerie : le mythe d’ Hermann donna naissance à quantité d’œuvres littéraires :
Au XVIème siècle, les Humanistes et Martin Luther, le récupèrent pour louer les « qualités morales » germaines face aux mœurs dissolues de Rome( fastes coûteux, vente d’indulgences etc.) et promouvoir ainsi la Réforme.
Au XVIIème, entre autres, un roman fleuve de plus de 3000 pages signé Von Lohenstein mit en avant les intrigues amoureuses entre Arminius et Thusnelda , et fut surtout une critique plus ou moins cachée de l’actualité de l’époque , incluant une charge contre les massacres engendrés par les troupes de Louis XIV en terre allemande. Pour les siècles à venir, l’ennemi héréditaire sera la France.
Au XIXème, plus de soixante drames, opéras et opérettes furent composés sur le même thème , suite à l’humiliation de Wagram, et avec la montée du nationalisme von Kleist puis Grabbe écrivirent chacun leur version du « Massacre d’Hermann » en usant librement d’anachronismes .
Dans la deuxième moitié de ce même siècle la Monarchie d’Autriche, Le Royaume de Prusse , le Royaume de Bavière eurent besoin d’un héros mythique unificateur . Ce héros devait se dresser face à la menace française. On récupéra encore le mythique Hermann pour lui ériger une statue monumentale, l’épée menaçante brandie en direction de la France ( et non vers Rome ! comme il eut été historiquement correct !).
Napoléon III en réaction ressortit le mythe de Jeanne d’Arc et celui de Vercingétorix (une statue beaucoup moins monumentale et, présage de défaite, épée pointée vers le sol et tête courbée : contrairement à Arminius, il avait fini par être vaincu…)
Avec la montée du nazisme, on ressortit une dernière fois le mythe : Le Drame de Von Kleist tint le haut de l’affiche du Berlin des années trente alors que l’anneau des Nibelungen enthousiasmait les foules à Bayreuth. Mais l’ordre nazi s’accommodait plus de l’apparat des légions romaines que de la pagaille barbare et , de plus, il ne fallait pas froisser le nouvel allié italien, qui de son coté tourna malgré tout une version du massacre d’Hermann, un péplum douteux où les opposants se félicitaient mutuellement de leurs vertus guerrières …
En guise d’épilogue : l’histoire du Massacre de Teutoburger Wald n’est pas terminée, la version que j’en ai tirée, synthèse de sources multiples, tant latines qu’allemandes et anglaises, est probablement proche de la réalité, mais elle a aussi ses détracteurs, surtout quant aux lieux exacts du massacre, la bataille des « Ponte Longi », six ans après où, Caecina( et non Germanicus) affronta Arminius pourrait aussi avoir eu lieu au même endroit, théorie séduisante mais les preuves manquent et une autre énigme apparaîtrait : on n’aurait alors plus aucune trace des légions perdues …