samedi 24 septembre 2022 - par Robin Guilloux

Prière pour l’Europe

A ceux qui pleurent...

Bouche au ciel, les chevaux forcenés des fontaines pleurent dans leurs prisons de pierre... Une couronne rayonne en entrelacs compliqués... Les parcs exhalent la vaste fraîcheur des valses... Des fantômes tristes et anciens hantent la gloire abolie des palais déserts...
 

Comme un triste bruissement de fontaine, comme la joie inaccessible d'une claire matinée de neige, comme une barcarolle désaccordée, comme une jubilation secrète, prisonnière du gel et du temps...

Vieille Europe, je te porte en moi...

"Oui, je suis vieille, j'ai trop porté le poids de la douleur, mais je suis belle encore...

Priez pour que le printemps revienne !"

Prague, la couronne, le fleuve, la ruelle des alchimistes, la boutique des orfèvres, la nuée des anges extasiés...

Le lierre obscur du cimetière juif et le regard hanté de Kafka... Il erre dans les ruelles de Mala Strana... Sur le cœur de la nuit privée d'étoiles, au-dessus du chemin qui mène au camp de Theresin, les bourreaux ont cousu des étoiles de David. Le golem du rabbin Löw ne protège plus le ghetto de Josephov. Ils ont brisé les vitres de la synagogue, ils ont ouvert les portes de l'enfer.

Une famille juive célèbre la Pâque dans une pauvre maison, quelque part en Biélorussie... Le grand-père porte encore le caftan traditionnel. La joie brille dans les yeux, la joie brille dans les cœurs, le vin brille dans la coupe... "L'année prochaine à Jérusalem !"

Que deviendront-ils ?

Un train à vapeur chemine interminablement dans l'océan de la plaine. Le Palais d'Hiver est tombé, mais ce n'est pas le printemps. Les nouvelles vont plus vite que le bonheur. Mais pour les cœurs que réjouissent la pie perchée sur la barrière, non, ce n'est pas le même hiver.

"Demain, la Russie sera belle !"

... Demain !

Un vieil homme lit Finigan's Wake dans une bibliothèque dévastée à Londres, à la lumière des projecteurs de la DCA, dans le fracas de bombes et le sifflement doucereux des V2...

Un vieil homme lit Le général de l'armée morte à Sarajevo, dans la bibliothèque dévastée.

Priez pour que le printemps revienne !



"Heureux les pauvres, heureux les doux, heureux ceux qui pleurent, heureux les affamés et assoiffés de justice, heureux les miséricordieux, heureux les cœurs purs, heureux les persécutés pour la justice... "

Là-bas, en Russie, à la lisière d'un village près de Kostroma, dans l'Anneau d'or, une jeune fille porte les espoirs et les tourments de tous... Son cœur est le monastère intérieur, la poustinia... Bientôt, il n'y aura plus d'églises, plus de monastères, plus de prêtres, plus de moines, plus d'ermites... Tout disparaîtra dans la nuit de la dictature. Mais la poustinia, le monastère intérieur de ceux qui portent le monde entier dans leur cœur, quelle nuit pourra l'engloutir ?

Dans les sous-bois embaumés des fées du Limousin, parmi les fraîches jaseries des geais aux couleurs éclatantes, un enfant ramasse des champignons.

Quand la nuit tombe pour la première fois sur la vieille Europe, il part à son tour, à 17 ans, vers le grand casino de la mort. De la Galicie, du Chemin des Dames, des Dardanelles, il ne dit rien. Il n'est pas de ces anciens combattants qui ressassent "leur" guerre. Il porte au cou la cicatrice d'un coup de baïonnette. Ses poumons lui font mal... Le gaz moutarde.

Pendant les grandes grèves ouvrières de 1936, sa femme, la souris de Cendrillon, lui passe son casse-croûte à travers les grilles de l'usine. Il est mal vu quai de Javelle. Il fait partie des "meneurs". Il sera bientôt licencié.

Bouche au ciel, le cheval fou de Guernica agonise avec la République espagnole.

Quand une nuit plus noire encore engloutit, pour la deuxième fois, la vieille Europe, l'ange de la dignité le tient toujours par la main.

Il arpente Les falaises de marbre, il cherche dans le grand livre de Dieu le sens de tant de malheurs. Il prie pour que le printemps revienne.

"Heureux les pauvres, heureux les doux, heureux ceux qui pleurent, heureux les affamés et assoiffés de justice, heureux les miséricordieux, heureux les cœurs purs, heureux les persécutés pour la justice..."

Les déportés, les internés, les fusillés, les martyrs de la Résistance...

Geneviève Anthonioz de Gaulle, qui grignotait à Ravensbrück le pain des anciens poèmes...

Celui qui souriait à la mort...

Alberto, l'ami de Primo Levi, "l'homme fort et doux contre qui venaient s'émousser les portes de la nuit"...

Les fusillés de Châteaubriant, les maquisards du Vercors, les enfants d'Izieu, les martyrs d'Oradour-sur-Glane...

"Le pays qu'on enchaîne"...

"Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! ..."

Les résistants allemands, les enfants de la rose blanche... Alfred Stancke, le franciscain de Bourges, le sourire dans la prison, la bonté qui allège...

" - Mais qui es-tu, frère franciscain, et pourquoi risques-tu ta vie pour des inconnus et même pour des ennemis de ton pays ?

- Tout homme qui souffre est l'ami d'Alfred, quelle qu'il soit, quelle que soit la couleur de sa peau, quelles que soient sa religion, son origine, sa nationalité, quoi qu'il ait fait pour mériter la prison... "

Ceux qui ont grandi dans la guerre et que la guerre n'a pas grandis car ils n'étaient pas faits pour le malheur...

Celui qui demanda pardon...

Celle qui pardonna...

Joseph Roth : "J'écris pour que le printemps revienne."

Paul Celan, écrivant, après la Shoa, Les pavots de la mémoire, dans l'ombre de sa mère assassinée : "Le lait noir de l'aube, nous te buvons la nuit nous te buvons midi la mort est un maître venu d'Allemagne son œil est bleu elle te frappe d'une balle précise elle te frappe... Tes cheveux d'or Margarete, tes cheveux de cendre Sulamith..."Paul Celan, tombé du Pont Mirabeau...

"Comme la vie est lente

Et comme l'Espérance est violente."

Michael Boulgakov : "camarade Staline, laissez-moi écrire ou faites-moi fusiller !"

Alexandre Soljenitsyne, le cri du goulag, la mémoire espérante...

Jan Palach, qui devança le jour...

Jerzy Popieluszko, qui donna sa vie pour ses amis.

Primo Levi, le dernier homme...

Le poète roumain Radu Marès, qui un jour ne m'a plus jamais écrit et que je n'ai pas su aider.

Celui qui servit de modèle au staretz Zossim des Frères Karamazov : " Chaque homme est coupable devant tous et pour tous, seulement les hommes l'ignorent, s'ils l'apprenaient, ce serait aussitôt le paradis."

Lanza del Vasto, l'ami de Gandhi, le serviteur de la Paix, le pèlerin prophétique qui repose, en vêtements de noces, à la Borie Noble, près de Lodève, veillé par les flammes des grands pins.

Janusz Korczak, le raccommodeur d'enfants, qui partit pour Treblinka avec les orphelins du ghetto de Varsovie...

Serge de Beaurecueil, l'ami des enfants d'Afghanistan et de partout, le partageur de pain et de sel, le merveilleux témoin du Christ des cœurs purs...

Les victimes de la folie humaine, ceux de la guerre, qui est la pire de toutes les folies...

Celui qui s'inclina devant l'infortune d'Oscar Wilde en le saluant respectueusement de son chapeau soulevé au milieu de la foule hurlante...

Ceux qui n'insultent pas le malheur...

Ceux qui l'allègent...

Ceux qui préservent en eux le précieux capital de la sympathie humaine...

Ceux qui ne tuent pas ceux qu'ils aiment...

"Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme ! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement..."

Manhattan, Grosny, Bagdad, Kaboul, Londres, Madrid, Paris, Nice, Stokholm...

Le monde a changé de millénaire, mais dans le monde, rien n'a changé...

Le monde a faim, le monde a soif, le monde a peur... Le monde gémit sur la croix.

Vieille Europe, je crois en toi... Retourne aux eaux de ton baptême, réconcilie, soulage, guéris, instruis et aide avec respect ; sois la lumière et la tendresse !

Bernard, osseux amoureux courroucé qui bâtit la maison de l'Ange, François, troubadour de la Haute Joie et benoît, clairière du silence, saint patron de la vieille Europe... Thomas, le bœuf de la crèche et l'intelligence de l'Ange, traçant son sillon dans le champ du Très-Haut... Dominique, assis, doucement pensif, une main appuyée à la joue, une étoile au front, l'intelligence du cœur... saint Paulin de Nole, dont la porte n'était jamais fermée et le malicieux, tendre, cocasse clown de Dieu, Philippe de Néry, avec son chat sur l'épaule... Thérèse d'Avila, l'amour infatigable et Thérèse de Lisieux, l'aube au sourire de myosotis...

Priez pour que le printemps revienne...

Ô Marie, couronnée d'étoiles

Protectrice de la vieille Europe,

Faites que le printemps revienne !

 



11 réactions


  • Samy Levrai samy Levrai 24 septembre 2022 09:35

    Winter is coming.


    • xana 25 septembre 2022 18:36

      @l’auteur
      Article joliment creux.
      Ou joli, mais creux.

      C’est juste pour te faire mousser ?


  • Gégène Gégène 24 septembre 2022 09:43

    Un beau texte, mais la fin, comment dire ? smiley

    https://www.leparisien.fr/resizer/n35OfqdhKjeGtmcHYT0PfEfy6pI=/932x582/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/leparisien/X277XBCWANCBJMY5XYUJEAGRWY.jpg


  • Clocel Clocel 24 septembre 2022 10:09

    De profundis...


  • Octave Lebel Octave Lebel 24 septembre 2022 10:44

    Une belle envolée qui se veut œcuménique à sa façon. C’est utile et respectable comme les bons sentiments.

    Par ailleurs, on ne se prépare pas un avenir avec l’aide seule des bons sentiments. La connaissance âpre des réalités et des responsabilités qu’engagent les choix que nous faisons ou laissons faire est déterminante.

     

    Je propose donc cette réflexion pour justement nourrir la nôtre et aussi nous apporter des repères auxquels, si on se contente de suivre le travail du service public de l’information et des médias privés engagés unilatéralement (que l’argent public finance), certains ont décidé au nom de leur conception de la démocratie que nous n’y aurions pas droit.

    Je ne suis pas d’accord avec toutes les explications et réponses du général qui use à la fois visiblement de courage et de prudence et qui aussi reflètent sa propre analyse de nos sociétés. N’empêche qu’il dit des choses essentielles à savoir et comprendre qui devraient faire partie du débat démocratique dont nous sommes sortis depuis un moment déjà et duquel maintenant, au gré des événements, nous nous éloignons pas à pas.

    Video 17.septembre.2022 par Olivier Berruyer 1h28mn.

    "Ukraine, Russie, OTAN : le général Vincent Desportes dénonce notre stratégie de guerre"

    https://www.les-crises.fr/ukraine-russie-otan-le-general-vincent-desportes-denonce-notre-strategie-de-guerre

     


    • mmbbb 26 septembre 2022 10:19

      @Octave Lebel Je l ai écouté , il parle sans ambages et il sait remettre les choses en perspectives 
      Il est un des rares à dire que l Europe a failli que l Europe est inféodé aux USA que cette Europe n a aucune vision .

      Cet auteur est prof , il est comme Rosemar ; il enseigne la philosophie mais il n a guère d analyse personnelle 

      Vedrine, lors de la disparition de Gorbatchev un article dans le FIGAROX VOX 

      « de Gorbatchev à Poutine : des occasions manquées » 

      Cet auteur devrait méditer .
       


  • zygzornifle zygzornifle 26 septembre 2022 08:43

    En bref il faut attendre que tout s’arrange de lui même, snif et re-snif .....


  • xana 26 septembre 2022 14:30

    Je ne prie pas pour l’Europe

    Elle a choisi son camp, celui des oppresseurs : Elle a aussi choisi le déshonneur. Tant pis pour elle et pour ses populations incapables de se faire entendre.

    Si je devais prier, je ne prierais certainement pas pour le camp atlantiste, qui a apporté au monde entier des siècles de désolations.

    Non, je prierais plutôt pour la Russie et pour tout ce qu’elle représente.


  • yakafokon 4 janvier 2023 09:55

    Et les stratèges de salon de BFM-TV nous en remettent une couche, avec « les massacres de Boutcha par les méchants russes » ! ( ces cons n’ont même pas pris la peine de se renseigner avant de parler ).

    Alors, je vais le faire à leur place !

    Le 31 Mars 2022, on voit Anatoli Fedorouk, maire de Boutcha, le visage épanoui, qui se félicite du départ des derniers soldats russes de sa ville. A aucun moment il ne parle de cadavres éparpillés dans les rues de Boutcha, pas plus d’ailleurs que la chaine télé locale Boutcha Live !

    C’est très étonnant, pour un maire et une chaine télé qui sont à l’affût du moindre problème dans la ville, vous ne trouvez pas ?

    Ce n’est que le 3 Avril 2022, que les cadavres commencent à apparaitre dans les rues de Boutcha, date qui correspond comme par hasard à l’arrivée des nazis du bataillon Azov le 2 Avril 2022 !

    Et ces cadavres, comme le murmure à regret Anatoli Fedorouk, ont les mains liées dans le dos avec un tissu blanc, et une balle dans la tête !

    Un lien blanc, cela veut dire que c’était un ukrainien russophone ! ( sinon, il serait bleu ).

    Bien-entendu, j’ai conservé précieusement la fameuse vidéo et le déroulé des opérations, au cas où...

    J’adresse mes pires vœux de mauvaise année aux traitres de BFM-TV, qui ne sont que de vulgaires larbins de l’Oncle Sam, et qui n’ont toujours pas compris qu’ils contribuaient à détruire économiquement notre pays, par leur fanatisme aveugle !

    Une guerre a toujours une raison économique ! On peut comprendre que les Etats-Unis veuillent s’emparer des richesses de la Russie, comme Napoléon ou Hitler !

    Mais s’imaginer que la Russie veuille nous faire la guerre pour s’agrandir ou pour nous voler le peu qui nous reste, relève de la pure imbécilité !

    La Russie est le plus grand pays au monde, elle dispose de toutes les ressources naturelles et énergétiques nécessaires au point d’en exporter, et elle voudrait nous envahir pour nous voler...nos bérets basques et nos baguettes de pain ?

    La connerie poussée à un tel niveau, ça mériterait une médaille d’or !

    Henry Kissinger disait : « s’opposer aux Etats-Unis peut être dangereux, mais s’en faire des amis est mortel ! ».


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