Quand les chasseurs étaient chassés


Jeudi dernier, la petite ville de Rosarno, en Calabre, a été le théâtre de violentes manifestations d’immigrés (en majorité des travailleurs saisonniers souvent en situation irrégulière) qui protestaient contre des agressions dont certains d’entre eux avaient été la cible.
Ces manifestations ont été marquées par des heurts avec la police, et suivies, le lendemain, d’une véritable « chasse aux immigrés ». Soixante-sept personnes ont été blessées dans les affrontements.
Le calme semble aujourd’hui revenu dans la petite ville de 15.000 habitants sur laquelle plane l’ombre de la Ndrangheta, la mafia calabraise, laquelle est soupçonnée d’avoir attisé les tensions entre les immigrés et la population locale.
Près d’un millier de ces travailleurs saisonniers auraient quitté la région de Rosarno dans le courant du weekend.
Ce triste épisode rappelle à quel point les immigrés, notamment les immigrés clandestins, sont des proies faciles pour des exploiteurs sans vergogne qui, ainsi, peuvent les faire travailler pour des salaires de misère non déclarés et dans des conditions d’extrême précarité.
Stigmatisés dans les discours politiques, présentés comme des gens indéfendables et dont on ne veut rien savoir, les immigrés clandestins deviennent alors des exutoires à l’intolérance, la haine et la bêtise.
Or, l’histoire est ironique. Et les chasseurs oublient souvent qu’ils ont été un jour les chassés.
Le 17 août 1893, dans les salins d’Aigues-Mortes (Gard), une rixe avait opposé des ouvriers français à des ouvriers immigrés italiens et s’était terminée dans un bain de sang.
A la base de cet affrontement meurtrier, on trouvait déjà les problèmes de la « protection du travail » et du « dumping social ».
Ces problèmes ont été ensuite politiquement exploités par l’extrême droite au travers de l’exacerbation du racisme, de la xénophobie et de la « préférence nationale ».
A la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, on rappellera également que les tensions furent nombreuses au nord de la France et que d’autres rixes sanglantes eurent lieu, en 1901, à Liévin et à Lens (Pas-de-Calais) cette fois-ci contre des travailleurs belges.
A l’époque, la France n’expulsait pas encore des Afghans, des Marocains, des Algériens, des Albanais, des Turcs, des Chinois, etc. Mais des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des Polonais, des Luxembourgeois, des Belges, etc., à propos desquels il ne viendrait à l’idée de personne de les accuser d’être responsables de la montée du chômage et de la délinquance.
Voici par exemple ce qu’écrivait Jean-Baptiste Clément, l’auteur de la célèbre chanson Le Temps des Cerises, dans le numéro 108 du journal L’Emancipation (25 janvier – 1er février 1891) :
Comme pour les ouvriers étrangers des salins, des forges et des hauts fourneaux du temps jadis, la patrie des travailleurs africains de Calabre ou d’ailleurs, aujourd’hui, est d’abord celle où leurs ventres se remplissent, où leurs enfants – quand ils peuvent les avoir avec eux – ne souffrent pas la faim.
C’est celle où ils peuvent envisager de trouver un peu plus de bien-être et de bonheur.
Du moins, quand on ne leur tire pas dessus.