vendredi 11 avril 2008 - par Philippe Aigrain

Un petit tournant historique

Les tournants historiques sont souvent relativement discrets. Il vient de s’en produire un aujourd’hui (jeudi 10 avril) au Parlement européen. Pour la première fois, le Parlement vient de prendre position sur le rôle d’internet dans la société et la culture d’une façon qui ne se prête plus aux manipulations des grands groupes éditoriaux et de distribution de biens culturels. Le Parlement a déjà par le passé arbitré avec courage entre la définition ou la mise en œuvre des droits de propriété dans la sphère de l’information et les droits fondamentaux ou l’innovation. Il a ainsi refusé des extensions de la brevetabilité aux séquences génétiques en 1995 (avant qu’un lobbying effréné ne parvienne à le faire changer d’avis en 1998) et aux logiciels et méthodes logicielles de traitement de l’information en 2003 et 2005. Mais, dès qu’il s’agissait de sujets où l’on pouvait invoquer les droits des créateurs (même au mépris des faits), il se trouvait une majorité pour voter des textes insuffisamment respectueux des droits, de la légalité des lois ou des droits des usagers. Il en fut ainsi par exemple en 2004 avec l’adoption de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle qui sous cette appellation crée une présomption de culpabilité et des mesures préventives extrêmes contre les échanges non commerciaux d’information et d’œuvres.

Aujourd’hui, le Parlement européen vient de manifester qu’il y a des limites à la plongée dans l’absurdité. Il l’a fait à l’occasion du vote d’un rapport du député Guy Bono sur les industries culturelles. Il a adopté l’amendement suivant :

22 bis. engage la Commission et les États membres à reconnaître qu’internet est une vaste plate-forme pour l’expression culturelle, l’accès à la connaissance et la participation démocratique à la créativité européenne, créant des ponts entre générations dans la société de l’information, et, par conséquent, à éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif, telles que l’interruption de l’accès à internet.

Comme dans les votes réellement importants au Parlement européen, presque tous les partis se sont divisés. Deux versions identiques de l’amendement avaient été déposées par des députés de gauche et de droite, et les votes pour l’amendement se sont exprimés sur tout l’échiquier politique. Le vote est d’autant plus remarquable qu’un groupe politique avait demandé un vote séparé sur la partie déclaration de principes de l’amendement et le dernier corps de phrase “telles que l’interruption de l’accès à internet”. Or, le Parlement a adopté les deux parties (scrutin très serré pour la deuxième), manifestant ainsi qu’il savait ce qu’il faisait en rejetant le principe même de la riposte graduée et de son point culminant.

Il reste maintenant au gouvernement français qui avait écrit à tous les députés français pour les inviter à rejeter l’amendement à décider s’il souhaite s’obstiner à pousser en France et au niveau européen à l’adoption de la proposition de loi Olivennes (et d’un équivalent européen) alors qu’une majorité de la représentation démocratique européenne vient de la déclarer contraire aux droits fondamentaux.



4 réactions


  • nostromo 11 avril 2008 21:32

    Attention cependant, il faut rester vigilant ! 

    (source l’Express) Le projet de loi "devrait être présenté en conseil des ministres fin mai, et pourrait donc être examiné par le Parlement pendant une session extraordinaire cet été, en juin ou juillet", indique Olivier Henrard, conseiller de cette chere Christine Albanel....

    Et il vont refaire le coup de la DADVSI en essayant de faire passer en force une loi pendat que tout le monde fait bronzette...

    Ca n’a pas de rapport,( si ce n’est le monde informatique) et j’aurai aimé voir un article la dessus sur Avox : (sources linuxfr.org) Luc Chatel, secretaire d’etat a la consommation et donc ministre de tutelle de la DGCCRF prefere attendre l’evolution du marché et une eventuelle decision de justice , plutot que de faire appliquer la loi et faire respecter les droits des consommateurs... de quoi s’agit’il me dirait vous , de la vente liée (forcée et masquée) des ordinateurs PC ou portable avec windows. En effet, il est tres difficile pour un client lambda d’acheter un ordinateur vierge de tout logiciels et systeme d’exploitation, et il est en tout cas impossible de connaitre le prix des dits logiciels et windows qu’on vous impose...


    • Philippe Aigrain Philippe Aigrain 11 avril 2008 22:01

      Merci de cet avertissement et de l’information sur l’état des actions sur la vente liée (d’ordinateurs et de systèmes d’exploitation). Voici un lien sur l’article de l’Express.

      Loin de moi l’idée de supposer que le gouvernement adoptera forcément un comportement rationnel et s’abstiendra de déposer le projet de loi Olivennes.


    • Forest Ent Forest Ent 11 avril 2008 22:52

      Si l’UMP avait un comportement "rationnel", ça se serait constaté depuis 2002.

      Je suis curieux de savoir comment le Nouvel Obs traitera la "DADVSI-Olivennes". smiley

      Ce petit contretemps ne prouve pas que Mme Fourtou ait perdu la main. Ce sera comme pour la "brevetabilité des logiciels" : le Conseil reviendra à la charge contre le Parlement autant de fois que nécessaire. Je me demande s’il restera des majors quand ce texte éventuel deviendra applicable.

      On constate en tout cas que les majors récoltent ce qu’elles ont semé avec le DMCA : la sympathie des consommateurs. Que la peste emporte la RIAA et la MPAA !


    • nostromo 11 avril 2008 23:22

      @ l’auteur : Loin de moi l’idée de supposer que le gouvernement adoptera forcément un comportement rationnel et s’abstiendra de déposer le projet de loi Olivennes.

      , je n’en doute pas un seul instant, seulement le titre peut preter a confusion . En tout cas merci de faire ce genre de papier sur Avox, surtout en ces temps ou le "français" semble tellement plus preoccupé de la liberté d’internet en Chine, qu’il en oublie ce qui lui pend au nez... ne dit on pas "charité bien ordonnée commence par soi même" ?


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