mardi 14 octobre 2008 - par hans lefebvre

Une bien pauvre justice française

Alors que madame Rachida Dati, Ministre de la Justice et garde des Sceaux se dérobait subtilement à l’invitation du congrès annuel de l’Union Syndicale de la Magistrature [1], fait sans précédent dans l’histoire de la cinquième République, la commission européenne pour l’efficacité de la justice rendait public son deuxième rapport d’évaluation des systèmes judiciaires européens (CEPEJ) [2]. Ce document recueille des données concernant 47 systèmes judiciaires, soit un panoramique très large qui permet d’établir un état des lieux comparatif mettant en relief tant les écarts quantitatifs que qualitatifs qui persistent entre les systèmes judiciaires européens. La France, pays des droits de l’homme, des grands principes fondamentaux, des codes napoléoniens souffre souvent la comparaison tant les moyens qui lui sont alloués apparaissent faibles.

La Commission européenne pour l’efficacité de la justice est une émanation du Conseil de l’Europe, elle a été créée le 18 septembre 2002 par la résolution Res(2002) 12 adoptée par le comité des ministres. Elle définit ainsi son objet : La CEPEJ a pour objet l’amélioration de l’efficacité et du fonctionnement de la justice dans les Etats membres, et le développement de la mise en œuvre des instruments élaborés par le Conseil de l’Europe dans ce but. Cela étant, l’existence de cette instance démontre parfaitement la nécessité absolue de s’attacher à nos systèmes judiciaires, véritables piliers de nos démocraties dont ils sont le reflet.

Dés lors, le deuxième rapport de la CEPEJ est dense (346 pages) [3], l’intégrer et le digérer demande la plus grande attention, et nécessite un travail conséquent. Après avoir précisé la méthodologie employée, ainsi que les biais interprétatifs possibles (notamment comparer ce qui est comparable), le rapport se déploie selon un plan bien défini, rigoureux, qui permet à sa lecture d’avoir une vue d’ensemble des thèmes abordés. En outre, au plan méthodologique, les experts de la CEPEJ ont attaché une importance particulière aux situations socio-économiques forts disparates qui composent l’ensemble des pays étudiés et qui représentent un total de 796 millions d’habitants. De la principauté de Monaco à la fédération de Russie la distance est conséquente, aussi l’unité choisie est ramenée à un taux pour 100 000 habitants afin de rendre comparable des situations extrêmes.

Ces quelques éléments de précision posés, venons-en aux données chiffrées et objectivées en commençant par le nerf de la guerre, les budgets alloués au fonctionnement des différents systèmes judiciaires européens.

Ainsi, en terme de budget public annuel total alloué à l’ensemble du système judiciaire, la France, avec 53 euros/habitant se situe au 20 ème rang alors que c’est la principauté de Monaco qui attribue la somme la plus importante avec 168 euros, juste devant l’Irlande du nord qui consacre 130 euros/habitant. Mais, si on ramène cette somme au pourcentage du PIB/habitant, alors, la France pointe au 35 ème rang, celle-ci n’y consacrant que 0,19%. Rappelons en outre que la part de la mission justice dans le budget de la nation représente environ 2% du total.

En matière d’accès à la justice, notamment par le biais de l’aide judiciaire, là encore la France fait pâle figure avec seulement 143 affaires pour 10 000 habitants bénéficiant de l’aide judiciaire, pour un montant moyen de 335 euros. Notre pays ayant opté pour l’élargissement du nombre de bénéficiaires, mais avec une faible aide, alors que des pays comme l’Irlande du nord, l’Angleterre ou le Pays de Galles ont choisi d’être généreux tant sur les montants alloués que sur le nombre de bénéficiaires. Pourtant on peut aisément mesurer combien l’aide judiciaire permet une plus grande équité quant à l’accès à la justice, et c’est un point fondamental sur lequel la CEPEJ a décidé d’oeuvrer afin de garantir aux citoyens européens les plus démunis un accès facilité au système judiciaire.

Sur le nombre de tribunaux accessibles aux citoyens, rappelons que la France s’est lancée dans une réforme de la carte judiciaire sous couvert de rationalisation, mais il est peu probable que cela fasse les affaires du justiciable qui verra la distance physique s’accroître entre lui et les lieux où justice est rendue. Avec 1,2 tribunal pour 100 000 habitants avant la réforme décidée, on est en droit de se demander quel sera le nouveau ratio, et dans quelle mesure la situation pourrait s’améliorer pour le quidam. Toutefois, rassurons-nous car en matière d’équipement informatique, la France se situe dans la moyenne supérieure, sans pour autant figurer en haut du tableau.

Avec 11,9 juges professionnels pour 100 000 habitants, là encore la France fait figure de parent pauvre parmi les 47 pays européens concernés par l’étude puisqu’elle se situe au 35 ème rang. En outre, avec 2 personnels par juge professionnel, la France se positionne dans les toutes dernières places du classement, bien loin des juges maltais ou espagnols qui se voient secondés dans leur tâches par une dizaine de personnels. Chacun comprendra ici l’origine de la lenteur de notre justice (477 jours pour un divorce contentieux en première instance !)

Enfin, avec 76 avocats pour 100 000 habitants, la France se situe au 26 ème rang, ce qui est très loin des 342 avocats pour 100 000 habitants en Grèce.

Ce sont donc ici quelques indicateurs livrés par cette deuxième évaluation produite par la CEPEJ qui conclut son travail par quelques recommandations afin d’améliorer les systèmes judiciaires européens. Après avoir constaté et acté de nombreux progrès dans les différents systèmes, les experts de la CEPEJ insistent toutefois sur le point essentiel de l’accès équitable à l’institution justice, et c’est en cela que des progrès importants sont souhaitables, tant financièrement que géographiquement. Il en va de même en ce qui concerne l’accès au droit des citoyens, même si des progrès significatifs ont été réalisés, la marge d’amélioration reste importante.

Concernant l’efficacité des systèmes judiciaires, la CEPEJ insiste sur les chantiers à mettre en oeuvre dans nombre de nations afin que les rouages de leur institution soient plus performants, notamment en réduisant l’écart entre les pays les plus dotés en personnels (magistrats et autres), et les pays les moins dotés dont la France. En cela, la commission propose que des procédures d’évaluation du taux de satisfaction des usagers soient régulièrement réalisées afin de quantifier et d’évaluer le rapport du justiciable à son appareil judiciaire.

D’évidence, la lecture de ce travail ne fait que corroborer le mécontentement des citoyens français quant à l’appréciation du fonctionnement de leur système judiciaire, et ce n’est pas le séisme généré par l’affaire d’Outreau, ayant abouti à une non réforme, qui aura pu redresser l’image déplorable de notre institution. Aussi, le chantier demeure immense afin que notre système judiciaire soit à la hauteur de ce qu’exige toute démocratie en la matière.

[1] Union syndicale de la magistrature
[2] Commission européenne pour l’efficacité de la justice

[3] Le deuxième rapport de la CEPEJ



19 réactions


  • L.S.B 14 octobre 2008 16:19

    Ne m’appelez plus « France, pays des droits de l’homme » ! Le rapport ne parle pas, semble-t-il, de l’état des prisons. C’est dommage car la France détient une bonne place si on se situe sur l’état de délabrement des locaux (la deuxième place après la Moldavie, paraît-il !). On a les records qu’on peut !


  • Walter SALENS Walter SALENS 14 octobre 2008 18:19

    Entièrement d’accord avec l’auteur et L.i.b. HONTE notre justice.
    J’ai assisté une fois aux assises, proces sous huis clos, j’avais pitié de l’inculpé de par la pauvreté de sa défense par un très jeune avocat (bénévole ou pratiquement) J’avais honte.

    J’ai eu dans ma petite entreprise et en stage, un ancien détenu, handicapé physiquement. Il m’en a parlé ; conclusion : sa peine ne pouvait pas contribuer à sa réinsertion. HONTE encore

    Merci pour cet article.
    Bonne soirée
    Walter


    • hans lefebvre hans lefebvre 14 octobre 2008 19:12

      Merci pour vos encouragements Walter, c’est un sujet que je connais particulièrement bien puisque c’est une administration pour laquelle j’œuvre au quotidien, et je mesure combien celle-ci est sous dotée, notamment en matière de personnels. Manque cruel de magistrats, de greffiers, de personnels administratifs etc...De fait, il est même étonnant que cela ne dysfonctionne pas plus ! Nombre de ses fonctionnaires sont sous pression et travaillent du mieux qu’ils peuvent. Tout cela n’est pas digne de notre DEMOCRATIE, que pourtant nos politiciens aiment à porter au pinacle !
      Bien à vous


    • appoline appoline 15 octobre 2008 19:12

      Moi aussi, j’ai assisté à un procès d’assise mais quand un de vos proches est martyrisé dans sa chair et dans son âme, je peux vous assurer qu’on voit les choses sous un autre angle.


  • finael finael 14 octobre 2008 19:11

    Encore faudrait-il que les "robes noires" puissent être à l’image de ce que l’on en attend !

    Il faut donner plus de moyens à la "justice" ... soit !

    Mais dire que la justice est "le pilier de la démocratie" c’est plaider pour une "république des juges", dont les décisions - souvent arbitraires et contraires à ce que tout citoyen est en droit d’attendre - ne peuvent être considérés que justes ce qui sous entend que les magistrats sont "au dessus de tout soupçon" et ce n’est pas le cas  !

    Tout pouvoir doit être contrebalancé par un contre-pouvoir, sinon les dérives vers l’arbitraire sont inévitables.

    Là se situe la voie vers une vraie réforme de la justice !


    • hans lefebvre hans lefebvre 14 octobre 2008 19:23

      Non pas le pilier, mais un des piliers, ce qui fait toute la différence. De plus, et heureusement, nombre de juges exercent leur mission avec le plus grand souci du citoyen, par contre, en la matière, on ne dénonce que ce qui dysfonctionne. Ne point avoir une image par trop caricaturale, le "tous pourris" ne correspond pas à la réalité. Notre justice n’est pas celle de l’ancien régime, même si, parfois, elle peut y ressembler.
      En outre, je vous conseille le dernier ouvrage de Serge Portelli (magistrat), Récidivistes, vous y trouverez un juge humain, réfléchi, mesuré et non aveuglé par le pouvoir qu’il détient. Enfin, je vous renvoie aussi vers le syndicat de la magistrature et vous recommande la lecture de ses écrits :
      http://www.syndicat-magistrature.org/
      Vous serez étonné des propos particulièrement iconoclastes qui y figurent !
      Bien à vous



    • finael finael 14 octobre 2008 22:32

      J’ai été plaignant dans deux affaires et poursuivi dans deux autres.

      J’ai assisté à toutes les audiences.

      Quand un juge se permet de vous ordonner de vous taire quand vous présentez des preuves matérielles, Quand une société peut se permettre de présenter 5 comptabilités, toutes différentes et toutes fausses sans que celà fasse ciller un magistrat. Quand on vous menace d’avoir "provoqué le délit" parce votre patron s’est servi de votre carte bleue pendant que vous étiez aux toilettes ... on peut avoir plus que des doutes sur les robes noires !

      Quand les jugements sont des copies des arguments de la partie adverse et que les vôtres ne sont même pas cités non plus que les preuves matérielles apportées ... que doit-on penser de cette mafia qui ose se faire appeler "justice" ?

      Il y a bien un code de procédure civile, un code pénal ... mais au tribunal, si le juge, à midi, décide qu’il fait nuit, il ne vous reste plus qu’à contempler les étoiles !

      Lire la suite ▼

    • hans lefebvre hans lefebvre 14 octobre 2008 22:46

      Votre témoignage est loin d’être le seul exemple de telles dérives, nul doute que cela existe, mais cela ne doit pas pour autant faire généralité. Il est des cas ou justice est rendue, mais l’art reste difficile et peut faire l’objet de biais, je vous le concède.
      Cordialement


    • sevand 15 octobre 2008 13:31

      @ Finael,Il est difficile de porter une appréciation sur votre récit( representant une seule partie).... on peut évoquer plusieurs pb : l’irrespect du principe du contradictoire a pu conduire le juge (civil) à écarter les preuve rapportée par celui qui écrit, ces preuves n’étaient peut être pas "tangibles", s’agissant de l’usage de la CB, comment le "patron" a-t-il eu le code.... Bref, à part faire des hypothèses...


    • sevand 15 octobre 2008 13:32

      @ Finael,Il est difficile de porter une appréciation sur votre récit( representant q’une seule partie).... on peut évoquer plusieurs pb : l’irrespect du principe du contradictoire a pu conduire le juge (civil) à écarter les preuve rapportée par celui qui écrit, ces preuves n’étaient peut être pas "tangibles", s’agissant de l’usage de la CB, comment le "patron" a-t-il eu le code.... Bref, à part faire des hypothèses...


    • finael finael 16 octobre 2008 16:34

      1) Le patron n’a pas eu besoin du code : il a fait un achat sur internet ... avec son nom et son adresse, d’ailleurs la banque m’a remboursé immédiatement

      2) Si le fait de présenter les photocopies bancaires (recto - verso) de chèques de loyers soi-disant impayés alors que sur ces photocopies (payantes) il y a la date d’encaissement et le compte crédité n’est pas une preuve alors que vous faut-il ?

      http://www.finael.fr/finaelc/


  • furio furio 14 octobre 2008 19:21

    J’ai été juré ! C’est pas triste ! Une superbe expérience. J’ai participé à une "affaire" et assisté à une de A àZ sauf aux délibérés. J’ai vu à cette occasion, un pauvre type, qui ne maîtrisait pas bien le français, avec un avocat commis d’office, prendre 10 ans de prison pour avoir "violé" une femme "fragile" (entendez ex-prostituée, alcoolique et beaucoup plus âgée que le "violeur" !). Invraisemblable, irréel ! Cosmique ! Selon que vous serez, riche, blanc, ....Voilà la justice française à la sauce dati.


  • décurion 15 octobre 2008 07:50

    Histoire courte mais réelle.

    Le lendemain d’un cambriolage, un témoin signale avoir repéré, un fourgon tolé, avec à son bord des individus de type nord africain.
    Quelques mois plus tard, dans le bureau du juge, il reconnait , globalement les 5 prévenus, présentés comme cambrioleurs.
    L’un des prévenus interpelle le témoin :
    Trouvez vous que j’ai le type nord africain ?
    réponse : non.
    Le juge :
    De toute façon il y a des arabes blonds aux yeux bleus !



  • mandrier 15 octobre 2008 09:44

    1.- Le pouvoir politique doit controler les juges
    2.- les juges doivent pouvoir être sanctionnés, ou révoqués si besoin est.
    3.- la haute cour de justice doit etre composée de citoyens tirés au sort. Les juges en relèveraient en tant que justiciables tout comme les "politiques"


  • ZEN ZEN 15 octobre 2008 11:57

    Nous sommes au 20° rang...
    Mais R.Dati est au premier rang pour les dépenses chez nos grands couturiers...


  • sevand 15 octobre 2008 12:07

    Rien de vraiment nouveau dans cet article, si ce n’est que les choses ne vont pas en s’améliorant (cf les projets du gouvernement : réforme de la carte judiciaire, non remplacement des fonctionnaires et magistrats partant à la retraite.....)


  • Bof 15 octobre 2008 14:20

    Et toujours ces égoïsmes...." et pendant ce temps le monde se meurt. " ... !.....


  • 9thermidor 16 octobre 2008 13:12

    le problème de la Justice française ( maçonnique) :

    des BURGAUD irresponsables à tous les niveaux

    un vestige du sens sacré païen accordé irrationnellement à des petits fonctionnaires médiocres et intouchables
    on n’ a le droit de leur envoyer que de l’ encens


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