C’est vitre conception de la démocratie. Ce n’est pas la seule.
Merckel a consulté son Parlement. Papandréou fait de même. Sarkozy ne l’a pas fait. Qui est démocrate ?
À un référendum organisé par le gouvernement, le peuple dit non, on reprend le texte et on consulte le Parlement. Qui est démocratique ? Ils pouvaient ne as organiser le référendum. Mais pour le gouvernement le peuple devait être consulté et dire oui. Il a dit non. Qui est démocrate.
Aujourd’hui, qui souhaite consulter son
peuple est considéré comme une menace pour toute l’Europe.
Tel est le message des marchés, et des politiques aussi
depuis le 31 octobre, dénonce le rédacteur en chef de la
Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Deux jours, c’est le temps qu’aura tenu le sentiment
apparent de stabilité retrouvée des élites européennes. Deux
jours entre l’image de la matriarche Merkel, vers laquelle
le monde entier était tourné, et celle de la dépression. Un
clinicien pourrait nous dire de quoi il retourne : c’est une
pathologie. Il pourrait nous décrire à quel point la psyché
collective est malade, à quel point les fantasmes de
grandeur et de confiance en soi qu’elle engendre sont faux
et trompeurs.
Consternation en Allemagne, en Finlande, en France,
même en Angleterre. Consternation sur les marchés financiers
et dans les banques, consternation parce que le Premier
ministre grec Georges Papandréou envisage un
référendum pour répondre à une question décisive sur
le sort de son pays.
Minute après minute, on a pu voir, ce mardi [1er
novembre], les banquiers et les politiques brandir la menace
d’un effondrement boursier. Le message était clair : si les
Grecs disent oui, c’est qu’ils sont idiots. Quant à
Papandréou, c’est une tête brûlée, puisqu’il leur a posé la
question. Pourtant, avant que ne s’accélère la spirale de la
panique, il serait judicieux de prendre un peu de recul pour
mieux comprendre ce qui est en train de se dérouler sous nos
yeux. C’est le spectacle de la dégénérescence des valeurs
mêmes que l’Europe était autrefois censée incarner.
Les principes moraux détruits au profit de la
finance
Sur les marchés financiers, certains protagonistes
analysent sans sourciller l’histoire de cette déchéance
annoncée. Le Daily Telegraph britannique évoque
une plaisanterie qui aurait cours dans les cercles
financiers, et manifestement aussi au sein du gouvernement
britannique : ce serait bien si une junte militaire prenait
le pouvoir en Grèce, car aucune junte militaire ne saurait
être membre de l’UE. Et Forbes, qui n’est tout de
même pas n’importe qui dans le monde de la finance, va
un peu plus loin : "Cette plaisanterie est
d’autant plus triste et amère qu’elle serait, pour tout
dire, si l’on fait abstraction du léger problème de la
transformation de la Grèce en dictature militaire, une
bonne solution pour le pays."
Il n’est pas nécessaire de connaître tous les liens
de cette plaisanterie avec le subconscient pour comprendre
que l’on est en train d’assister à la destruction massive
des principes moraux nés de l’après-guerre, au nom d’une
raison économique et financière supérieure. De tels
processus se développent en sous-main, ils œuvrent à la
lisière de la conscience, parfois pendant des décennies,
jusqu’à accoucher d’une nouvelle idéologie. Il en toujours
été ainsi lors des phases d’incubation des grandes crises
autoritaristes du XXe siècle.
Il nous faut alors noter ce qu’a dit Papandréou, ce
qui a résonné aux oreilles de l’Europe comme les divagations
d’un aliéné imprévisible : "La volonté du peuple
s’imposera à nous." Si le peuple rejette le nouvel
accord avec l’UE, « il ne sera pas adopté ». En
Allemagne, souvenons-nous, il y a encore quelques jours, on
entendait par démocratie la sanction du législatif. Imposée
par la Cour constitutionnelle, et acclamée par tous les
partis. Pour cette raison, il avait même fallu ajourner un
sommet de l’UE. Aujourd’hui, rien de tout cela ne vaut plus
pour la Grèce.
Les politiques paniquent, parce que les marchés
paniquent
Qu’y a-t-il d’insupportable dans l’initiative grecque
? Réponse : que le Premier ministre soumette le sort de son
pays au jugement de son propre peuple. Devant une telle
décision, les soi-disant citoyens économes modèles que sont
les Allemands et leurs dirigeants politiques paniquent, mais
uniquement parce que les marchés financiers paniquent. Car
tous sont désormais prisonniers des prophéties des marchés
avant même qu’elles ne soient exprimées.
Il est de plus en plus évident que la crise que
traverse l’Europe n’est pas un trouble passager mais
l’expression d’une lutte pour la suprématie entre pouvoir
économique et pouvoir politique. Ce dernier a déjà perdu
énormément de terrain mais les choses s’accélèrent
aujourd’hui. L’incompréhension totale que suscite le geste
de Papandréou est également une incompréhension de l’espace
public démocratique lui-même, et du fait que la démocratie a
un prix qu’il faut être prêt à accepter.
Ne voyons-nous pas que nous laissons désormais des
processus démocratiques à l’appréciation des agences de
notation, des analystes et autres groupements bancaires ?
Ces dernières 24 heures, tous ces acteurs ont été assaillis
de questions, comme s’ils avaient quoi que ce soit à dire
sur la volonté du peuple grec de décider de son propre sort.
Papandréou montre une voie à l’Europe
La prétendue rationalité des mécanismes financiers a
révélé de vieux atavismes inconscients. Les discours
consistant à traiter tout un peuple d’escrocs et de
fainéants semblaient avoir disparu en même temps que le
nationalisme. On assiste aujourd’hui à un retour de cette
mentalité avec « preuves raisonnables » à l’appui.
La déformation du parlementarisme, soumis aux lois du
marché, ne justifie pas seulement les décisions du peuple en
tant que « législateur extraordinaire » ; dans le cas de la
Grèce, elle oblige les citoyens à exprimer leur volonté. En
Allemagne, tous les députés qui suivent ce que leur dicte
leur conscience peuvent être certains qu’on ne reverra pas
leur « gueule » de sitôt. Ce qui est arrivé à un député
allemand en tant qu’individu, touche également un Etat et
bientôt toute l’Europe.
Papandréou n’a pas seulement raison de faire ce qu’il
fait, il montre aussi une voie à l’Europe. L’Europe devrait
tout faire pour convaincre les Grecs que sa solution est la
bonne. Pour cela, elle devrait aussi s’en convaincre. Pour
les autres pays européens aussi endettés que la Grèce, il
s’agirait d’un excellent moyen de faire preuve de lucidité
et de s’assurer du prix qu’ils sont prêts à payer au nom
d’une Europe unie.