vendredi 4 novembre 2011 - par jullien

Une sortie de l’euro entraîne-t-elle nécessairement une sortie de l’Union européenne ?

Une dépêche Reuters nous apprend aujourd'hui jeudi 03 novembre 2011 que « Un porte-parole de la Commission européenne a prévenu que, selon les dispositions des traités européens, une sortie de la Grèce de la zone euro irait nécessairement de pair avec une sortie de l'Union européenne ». Ce propos est souvent répété chaque fois que l'hypothèse d'une sortie d'un État membre de la zone Euro est posée. Mais ce propos est-il vrai ?

À l'heure où cet article est écrit il est bien sûr impossible de connaître l'issue du vote du Parlement hellénique qui doit renouveler sa confiance au gouvernement de M. Georgios Papandréou vendredi 04 novembre. Si tel n'était pas le cas, des élections législatives anticipées seraient alors probablement convoquées et le projet de référendum annulé. Supposons cependant que le référendum ait bien lieu et que le peuple grec rejette l'accord du jeudi 27 octobre 2011.

L'Union Européenne (UE) est une organisation internationale unique en son genre : elle est une organisation dite « d'intégration » dont les États membres mutualisent leur souveraineté. La monnaie unique, l'euro, en est l'exemple le plus marquant : les États ont renoncé à l'un des principaux droits régaliens, celui de battre monnaie, ou se sont engagés à le faire déléguant celui-ci à une autorité commune, la Banque Centrale Européenne (BCE). Les politiques budgétaires, fiscales et par conséquent la majorité des décisions financières et économiques doivent être prises de façon à ne pas compromettre cette union. Un moyen objectif existe pour vérifier que les États respectent leurs engagements : le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) (il se trouve qu'à l'heure actuelle trois États seulement le respectent mais c'est un autre sujet).

Lorsque le traité de Maastricht a été négocié en 1991, il fut convenu alors que la monnaie unique s'imposerait à tous y compris aux nouveaux entrants qui devraient accepter de signer dans le cadre des traités d'adhésion des clauses rendant obligatoire leur entrée dans celle-ci dès qu'ils rempliraient les critères de convergence. Deux États obtinrent cependant une clause dite « opting-out  » les autorisant à ne pas adhérer à la monnaie unique : la Grande-Bretagne et le Danemark. La première avait fait valoir pendant les négociations que son économie dépendait largement des activités financières de la City de Londres dont les cycles sont très différents de ceux des économies continentales. Le second n'avait pas demandé d'exemption mais a soumis la ratification du traité de Maastricht à référendum : le 2 juin 1992 un premier référendum se conclut par un échec de sorte que le Danemark se vit proposer de ratifier une version « allégée » de ce traité lui accordant quatre exemptions dont l'adhésion à la monnaie unique. Le Danemark ratifia finalement le traité de Maastricht lors du référendum du 18 mai 1993. Les non-participations de ces pays à la monnaie unique sont aujourd'hui repris dans les protocoles n°15 (pour la Grande-Bretagne) et n°16 (pour le Danemark) du traité de Lisbonne.

Il ne fait guère de doute que pour les auteurs des traités l'euro est l'accomplissement suprême de l'unification économique de l'Europe et qu'il doit entraîner l'unification politique de celle-ci en accord avec la vision contemporaine selon laquelle toute les dimensions de la vie sont déterminées par des raisons économiques. L'euro est ainsi mentionné dès le quatrième alinéa de l'article 3 du Traité sur l'Union Européenne (« L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro »), ce qui le place à égalité avec la recherche de la paix, le bien-être des peuples, le développement durable et autres grandes déclarations (rappel : depuis le traité de Maastricht deux traités aménagent la vie de l'UE : le Traité sur l'Union Européenne ou TUE qui contient les grands principes et le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ou TFUE qui détaille les règles de fonctionnement des institutions établies par le premier. Les traités d'Amsterdam, de Nice et de Lisbonne n'ont fait que modifier ces traités).

Les États entrés dans l'UE après l'entrée en vigueur du traité de Maastricht sont appelés « États membres faisant l'objet d'une dérogation » tant qu'ils n'ont pas fait de l'euro leur monnaie bien que cette dérogation n'est que temporaire et qu'ils doivent remplir « leurs obligations pour la réalisation de l'Union économique et monétaire ». Implicitement l'article 140 du TFUE qui est trop long pour être cité ici et l'article 141 du TFUE établissent que tout État membre de l'UE est censé adhérer à l'euro (« tant qu'il existe des États membres faisant l'objet d'une dérogation »).

C'est apparemment à partir de cette obligation que une porte-parole de la Commission européenne, Mme Karolina Kottova, a pu aujourd'hui jeudi 3 novembre 2011 exprimer l'opinion de la Commission européenne en déclarant : « Le traité ne prévoit pas de sortie de la zone euro sans sortie de l'UE. C'est la situation actuelle. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, a introduit pour la première fois une clause de sortie de l'Union européenne. En revanche, aucune clause de sortie de la monnaie unique ne figure dans ce traité » d'où elle prétend tirer l'idée que les deux adhésions sont indissolublement liées. Mais cela est-il vrai ?

Il est exact qu'une procédure de sortie de l'UE est désormais inscrite dans le TUE en son article 50. Mais cet article n'existe que depuis les innovations apportées par le traité de Lisbonne conclu en 2007. Faut-il en déduire que auparavant nul État ne pouvait quitter cette organisation une fois qu'il y était entré ? Non comme deux exemples historiques le démontrent. Le 5 juin 1975 la Grande-Bretagne tint son premier référendum national sur la question « Pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester dans la communauté européenne (marché commun) ? ». Certes 67,2% des votants répondirent « oui » maintenant la Grande-Bretagne dans la CEE (le nom de l'UE à l'époque). Le fait que aucun État membre n'ait protesté contre ce référendum montre qu'un droit informel à la sortie de la CEE, aujourd'hui l'UE, était reconnu aux États membres bien avant le traité de Lisbonne, remplissant ainsi les conditions posées par la convention de Vienne sur le droit des traités reconnue par tous les États membres de l'UE. Il existe un second exemple : en 1985 le Groënland ayant obtenu une très large autonomie interne en 1979 quitta l'UE après un référendum tenu le 23 février 1982 tout en restant partie intégrante d'un État membre, le Danemark. À cette occasion fut négocié le traité sur le Groënland qui établit les quelques obligations restantes du Groënland envers la CEE du fait de son appartenance au Danemark et régla les conflits liés à son retrait. Il est vrai que cet exemple n'est pas absolument probant s'agissant d'un territoire d'outre-mer. Toutefois ces deux exemples démontrent qu'il n'est pas nécessaire qu'un droit de retrait soit explicitement mentionné par les traités fondateurs de l'UE. Un État peut-il donc quitter la zone Euro sans quitter l'UE ?

« Non » répond aujourd'hui la Commission. Pourtant, elle a déjà accordé une fois ce droit de retrait : à la Suède en 2003. Un référendum tenu le 14 septembre 2003 vit 55,9% des votants rejeter l'adhésion de la Suède à l'Euro. Pourtant la Suède était aux termes du traité d'adhésion du 24 juin 1994 dans l'obligation de remplacer la couronne suédoise par l'euro. Or, ni la Commission européenne ni aucune autre institution de l'UE ni les États membres n'ont protesté contre la tenue de ce référendum : cette absence d'opposition implique l'existence d'un droit de retrait informel à la fois selon les termes de la coutume internationale et sous ceux de la convention de Vienne sur le droit des traités. L'exemple suédois ici décrit est d'autant plus probant que la Suède est l'un des États membres de l'UE les plus sains économiquement et à plusieurs reprises remplissait les critères de convergence.

Les propos ci-dessus paraissent à l'auteur de cet article suffisants pour démontrer qu'une sortie de la Grèce ou d'un autre État de la zone euro ne signifie pas automatiquement la sortie de celui-ci de l'UE. Il s'est efforcé de présenter de la façon la plus simple possible aux citoyens le sujet et espère y être parvenu. La bonne foi de la Commission européenne est ici présumée ; il est cependant souhaitable qu'une large diffusion soit donnée à la thèse ici présentée afin d'éclairer les citoyens et les autorités.



6 réactions


  • reveil reveil 4 novembre 2011 09:28
    Inutile de préciser ici sur ce post que des pays comme le Danemark ou la suède et à fortiori la Suisse se portent d’autant mieux financièrement qu’ils ne font pas partie de la zone euro. Ces pays s’illustrent ègalement par la mise en valeur de leur démocratie et par une réelle représentativité des votes citoyens. 
    La proximité de la syrie et de l’Iran font de la grêce une base militaire indispensable aux éxactions européennes, Papandréou pourrait très bien retourner le chantage à son avantage.

  • vida18 4 novembre 2011 09:37

    Lorsque la Suède est entrée dans l’Union européenne en 1995, le traité de Maastricht était déjà entré en vigueur depuis plus d’un an (le 1er novembre 1993). Dans ces conditions, elle n’était pas en position d’exiger une clause d’exemption de la monnaie unique à son profit, comme l‘avaient obtenue le Royaume-Uni et le Danemark, l’un et l’autre avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht. Du reste, la « Déclaration d’Édimbourg » du 12 décembre 1992 avait bien précisé que « les dispositions adoptées pour répondre aux préoccupations danoises s’appliqueront uniquement au Danemark et à aucun autre État membre, ni présent, ni futur ».

    La Suède a donc ratifié le traité de Maastricht sans réserve. D’un point de vue strictement juridique, et à la différence du Royaume-Uni et du Danemark, la Suède s’est donc « définitivement » engagée, en 1995, à adopter la monnaie unique, tôt ou tard et quoi qu’il arrive.

    Cependant, sachant pertinemment que de très nombreux Suédois, probablement majoritaires, étaient viscéralement hostiles à l’abandon de leur monnaie nationale, la couronne suédoise, le gouvernement de Stockholm fut contraint de faire un geste envers son opinion publique. Afin de calmer les tensions, il décida de ne pas faire partie des premiers États à adopter l’euro en 1999. Après avoir obtenu l’accord des autres États membres de l’Union européenne sur ce qu’il leur présenta seulement comme une astuce de procédure, le gouvernement suédois annonça qu’il consulterait les électeurs pour cela par référendum plus tard, lorsque la monnaie unique européenne circulerait concrètement sous forme fiduciaire dans les pays l’ayant adoptée.

    La formule bancale ainsi retenue était porteuse en germe d’un redoutable problème institutionnel : qu’arriverait-il si les Suédois refusaient ensuite par référendum cet euro que les élites du pays s’étaient imprudemment engagées à adopter, quoi qu’il arrive, au moment de la ratification du traité de Maastricht ?

    La classe politique suédoise pro-européenne préféra ne pas regarder ce problème en face. Sous l’effet de la méthode Coué, elle s’était en effet persuadée que l’arrivée de pièces et de billets en euros chez les principaux partenaires de la Suède susciterait un enthousiasme tel dans toute l’Europe que les Suédois souhaiteraient rejoindre sans tarder «  l’aventure » de la monnaie unique. Et que cet enthousiasme permettrait alors de remporter le référendum haut la main.

    Or ce plan fut déjoué par les électeurs. En dépit d’une campagne d’intimidation psychologique intense que François Asselineau rappelle dans sa conférence « Faut-il avoir peur de sortir de l’euro ? », les Suédois refusèrent d’adopter la monnaie unique européenne lors du référendum du 14 septembre 2003 (par 55,9 % de Non et 81,2 % de participation).

    Depuis lors, la Suède se trouve dans une situation contradictoire : d’une part elle est juridiquement tenue d’adopter la monnaie unique du fait de sa ratification du traité de Maastricht sans réserve ; mais d’autre part, le peuple souverain s’est exprimé et a rejeté cette adoption avec un score ne prêtant pas à discussion.

    L’idée des responsables européistes, d’ailleurs explicitement annoncée en Suède et ailleurs, est de faire revoter les Suédois ultérieurement. Cependant, les résultats catastrophiques de la zone euro et l’amoncellement des problèmes posés par l’euro à partir de la crise grecque du printemps 2010 ont repoussé pour l’instant sine die une seconde consultation référendaire des Suédois. Dans les circonstances actuelles, le rejet de la monnaie unique serait plus cinglant encore qu’en 2003.


    • reveil reveil 4 novembre 2011 11:42

      Oui en Suède le vote populaire a été respecté contrairement à ce que nous faisons cf le traité de Lisbonne et ils ne s’en portent que mieux.

      Question : Voulez vous entrer en zone Euro, nous avons un gouffre de plusieurs centaines de milliards d’€ à combler et vous allez devoir cracher au bassinet
      Réponse : Euh non, pas vraiment !

  • Robert GIL ROBERT GIL 4 novembre 2011 10:24

    On peut tres bien imaginer un systele de monnaie complementaire nationale (il en existe au niveau local dans divers pays europeen) sans pour autant sortir de l’euro, voir cet essai sur le sujet :
    http://2ccr.unblog.fr/2011/03/13/une-monnaie-alternative-le-franc/


  • BA 4 novembre 2011 21:43

    Vendredi 4 novembre 2011 :

     

    Italie : taux des obligations à 10 ans : 6,370 %. Record historique battu.

     

    Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité de l’Italie à rembourser ses dettes.

     

    Le graphique des taux de l’Italie montre que le quatrième domino va bientôt tomber.

     

    Après la Grèce, après l’Irlande, après le Portugal, c’est maintenant le domino italien qui va tomber.

     

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR10:IND


  • Neos 7 novembre 2011 18:30

    A l’auteur :
    la réponse à la question posée par votre article est assez simple et vous la soulignez dans votre papier : le Traité prévoit les conditions d’un retrait par un Etat membre en son article 50.

    Ratifié par les Etats membres, le traité ainsi que cet article est entré en vigueur en décembre 2009. Depuis, un Etat qui le souhaite - il n’y a pas de condition liée à l’appartenance, ou pas, à la zone euro - peut décider de se retirer de l’Union.

    Sur la base de cette décision, la procédure décrite à l’article 50 s’applique et fait l’objet d’une négociation avec les institutions de l’Union.


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