Afrique : Hannibal et les cannibales
Monarchiste, c’est ainsi qu’on pourrait qualifier le mandat donné à certains chefs d’Etats du tiers-monde, surtout d’Afrique subsaharienne : Sassou, Obiang N’guéma, Biya, Faure Eyadema, Bongo, Maw Kibaki, Mugabe, etc. Si l’on s’en refère à Montesquieu ou Diderot, par rapport à leurs conceptions de la République et de la démocratie, il va sans dire que l’Afrique s’enfonce de plus en plus dans des républiques factices. Il est important de relever qu’une monarchie peut avoir, ou en tout cas laisser naître, une opposition... qui quelquefois finit par mettre un autre roi à la place de celui déchu. Quand toute opposition est impossible, voire interdite sauvagement, on appelle cet état de chose une tyrannie, dont la condition d’être n’est plus l’honneur, mais la peur.
L’Etat de nature ou nature de L’Etat. La résistance à un pouvoir établi doit-elle donner libre cours, dans une société civilisée, a fortiori dans des Etats de droit, à des débordements qui entraînent le sang et la violence ? On dirait que le concert des nations dites industrialisées voudrait installer dans les pays en voie de développement, que ce soit en Asie ou en Afrique, une forme de républiques aristocratiques, voire bananières. Ces régimes du tiers-monde, vus de l’extérieur, peuvent donner de beaux fruits, sur le plan économique, car la plupart sont en expansion, donc sujet à une forte croissance. Pour préserver les intérêts des capitales occidentales, face à une population qui demande des comptes et un partage équitable du gâteau, les droits des peuples sont foulés aux pieds. Les démocraties de façade deviennent des faire-valoir économiques. Ce sont des régimes en survie et en sursis sur le plan politique. La géopolitique mondiale subit des chambardements par les faits de ces régimes fantoches qui créent tous les déséquilibres démographiques et économiques du moment : le Pakistan, la Birmanie, le Timor, Kenya, Tchad, Soudan, Congo RDC, Congo Brazzaville, etc. Ce sont, en ce moment, de vastes foyers de tensions. On ne peut se priver, avec la nouvelle donne mondiale, de paraphraser Charles de Gaulle qui disait : "les Français sont des veaux" ;les populations du tiers-monde le sont aussi, par rapport à ce qu’il appelait lui-même un « machin », en l’occurrence l’ONU, prétendu gardien de la paix. Ces « veaux » du tiers-monde sont sacrifiés sur l’autel des capitaux.
Barbarie et non-ingérence. Parmi les opposants arrêtés et dont les familles sont sans nouvelles concernant leurs lieux de détention, si toutefois ils sont toujours en vie, on compte l’ancien chef de l’Etat, Mahamat Choua, le chef de la principale coalition de l’opposition, Mahamat Saleh Ibni Oumar et l’opposant radical Ngarlégi Yoranga. Que leur reproche-t-on ? Une complicité non avérée avec la nébuleuse rébellion. Les Nations unies devraient, avec ce qui se dessine au Tchad, invoquer leur droit d’ingérence, pour que l’élément fondamental de l’Etat de droit soit respecté : la présomption d’innocence. Et, par ailleurs, si des éléments à charge sont retenus contre ces présumés criminels, que le procès se tienne devant une juridiction supervisée par l’ONU. En outre, le Tchad est une démocratie selon Sarkozy et, selon le Conseil de sécurité des Nations unies, un Etat de droit. Alors, si tel est le cas, pourquoi le grand défenseur des droits humains qu’est Deby, qui s’insurge contre des « rebelles à la solde du Soudan », ne pourrait-il pas donner quelques leçons sur les principes élémentaires de l’Etat de droit à ses détracteurs ? Le monarque de N’Djamena, obnubilé par sa victoire et les soutiens des grandes puissances capitalistiques, est en passe de passer à la guillotine son opposition, pardi ! Telle une drogue et ses addictions, le pouvoir peut conduire à certains errements, par exemple, éliminer des adversaires politiques. Etait-ce glorieux pour la France héritière des Voltaire, Chateaubriand, d’aider une démocratie tchadienne à la Deby, qui hait les démocrates de son terroir ? Pourquoi cette France, si préoccupée des droits humains, ne pourrait-elle pas sanctionner avec force rigueur ces usurpateurs, dictateurs sanguinaires, qui font la pluie et le beau temps en Afrique, comme elle l’a fait au Conseil de sécurité des Nations unies contre la rébellion tchadienne ? En ce cas, Deby donne du grain à moudre à une rébellion qui ne cesse de clamer haut et fort que son objectif est l’instauration de la démocratie au Tchad. La rébellion trouve opportun le renversement de l’actuel président, dont les habitudes s’accommodent mal avec les exigences de la démocratie. Ces manquements de la communauté internationale sont des appels d’air aux insurrections populaires, aux guerres fratricides, au cannibalisme ! Les esclavagistes constitutionnels.
Idriss Deby va-t-il enfin s’appliquer à respecter les règles élémentaires de la démocratie ou s’entêter à vouloir régner à vie (n’a-t-il pas à cet effet fait modifier la Constitution en 2006, comme tous les dictateurs africains : Bongo, Idi amin, Bokassa, Faure Eyadema, Obiang N’guéma, Sassou, etc., sans oublier Biya qui s’apprête à modifier la sienne) avec la bénédiction de la France, suspectée d’avoir soutenu les forces gouvernementales lors des combats de la semaine dernière selon le journal La Croix. Smith, poète irlandais, posait la véritable problématique du pouvoir : « le matin je regarde mon jardin et j’ai envie du pouvoir, quand je vais dans mon écurie en regardant mes chevaux, j’ai encore envie du pouvoir et, en regardant mes femmes, je sens qu’il me faut le pouvoir absolu... et une abeille lui demanda : Sire, tout ce pouvoir, pour quoi en faire, il répondit : rien ! » Cette situation du pouvoir en Afrique, pose la question fondamentale de l’exercice du pouvoir que Smith soulève implicitement. Le pouvoir pour qui, de qui, par qui et pour en faire quoi ? L’imminence en Afrique de réformes constitutionnelles est très contestable, car les conséquences en sont souvent désastreuses, tant pour la démocratie que pour le développement durable. D’abord, les élus de la majorité, - si l’opposition a encore droit de cité - qui devront leur mandat au seul président, ne pourront rien lui refuser. Ensuite, le président, n’ayant plus la moindre tentation de dissoudre un Parlement soumis à sa dévotion, ne sera plus, dès son élection, préoccupé que par sa réélection. Enfin, débarrassé de toute menace électorale nationale, il sera en situation de décider de tout, de nommer qui il souhaitera, à tout poste, même ceux qui ne sont pas constitutionnellement de sa compétence. Nous n’entrons pas dans une féodalité d’antan, mais dans une monarchie déguisée. Le président pourra utiliser ce pouvoir presque illimité pour mener de vastes réformes, comme en France, le fit François Mitterrand pendant les cinq premières années de son premier mandat, ou pour ne rien faire, comme le fit Jacques Chirac pendant les cinq dernières années. Dans les deux cas, l’opposition gagnera toutes les élections locales d’abord municipales, puis régionales, qui serviront d’exutoire, et perdra toutes les élections nationales, comme si les peuples considéraient que le parti au pouvoir était mieux placé pour gérer les enjeux stratégiques, et l’opposition plus préparée à prendre en charge la gestion des problèmes de proximité. Cette situation peut durer très longtemps et les monarchies négrières actuelles pourraient, sauf accident, devenir éternelles... Aimé Mathurin Moussy, Paris