Attaque chimique : Robert Fisk sur place doute de la version officielle
AVERTISSEMENT (les pressés peuvent aller directement à ce bon article) :
photogramme extrait de la vidéo russe qui décrit les événements du 7 avril 2018 à Douma. Un médecin présent sur les lieux montre et prouve qu'il était bien présent dans l'image, avant d'expliquer ce qu'il a vu. Difficile de contester une preuve pareille, non ?
Que nous apprend cet article ?
1/ Que la France a "des preuves". Pour suivre leur "publication", et constater l'indigence du contenu du Rapport en ligne à cette heure (17 avril 2018 15H00) cela se passe ici. (EVALUATION NATIONALE OFFICIELLE du Ministère de la Défense).
2/ Robert Fisk dit la même chose que la vidéo des 2 médecins publiée par le Ministère de la Défense russe, qui déclarent qu'ils ont été perturbés dans leur travail par des individus (apparemment un "Casque Blanc" accompagné) qui se sont introduits de force dans l'hopital souterrain de Douma en filmant et en criant "gaz" pour générer un vent de panique. Cette vidéo est soumise à l'ONU et l'OIAC.
3/ On retrouve aussi cette même description faite dans le reportage vidéo par Pearson Sharp de One America News Networks (chaine conservatrice de droite qui émet aux USA sur le câble depuis 2013). Lui non plus n'a rien trouvé à Douma. Tout y est normal et le gars est impressionné par les quantités d’armement rebelle trouvées sur place (relire Hersh ou l’enquête de balkaninsight.com ) et par les témoignages innombrables qui attribuent les attaques aux rebelles. Il est allé sur le lieu présumé de l’attaque sans rien trouver. Puis à l’hôpital décrit par Fisk et il décrit exactement la même chose que Fisk. Une journée normale à l’hôpital lorsque soudain des étrangers sont rentrés par effraction et ont semé le chaos en apportant leurs propres victimes. Ils avaient des caméras et se sont enfuis après avoir semé le chaos. Médecin-chef : “0 morts ont été pris en charge à l’hôpital ce jour-là.” et en substance : “Personne n’a le moindre indice de début de preuve d’une attaque chimique ce jour-là à Douma.”
4/ Forts de ces très nombreux témoignages cohérents, la version "coalition OTAN-Golfe-Israël" de l'attaque chimique a, une fois de plus, du plomb durci dans l'aile. Si cette coalition, France en tête, ne publie pas des preuves beaucoup plus convaincantes, voilà la porte ouverte pour le siècle à venir, à toutes les théories complotistes que redoute notre "régime français". Macron ne peut pas ordonner à nos collégiens et lycéens de se méfier des fakes news dans les médias et réseaux sociaux, et de se méfier des raisonnements frauduleux, tout en pratiquant ce sport à une échelle planétaire couvert par ses amis de la coalition. Il y a de quoi rendre schizophrène n'importe quel citoyen moyen.
5/ Faute de clarté, et avec le lourd passif des mensonges sur la guerre d'Irak 2 (2003 - Colin Powell - ADM), et sur la guerre de Libye (2011 - BHL-Sarkozy-Benghazi) Macron divise un peu plus les français au lieu de les rassembler dans l'épreuve. Nous l'avons tous constaté lorsque nous tentons d'expliquer la complexité du dossier et le caractère intenable en l'état, de la position française. La grogne s'installe très vite dans le débat. Bravo Macron.
6/ 70% des français étaient contre toute frappe selon tous les sondages tentés par nos médias (RMC, FIGARO, MESOPINIONS.COM etc.). Cela montre que l'enjeu de ces frappes ne se situe pas au niveau des peuples, pourtant censés être protégés des fakes news ici, et d'un dictateur là-bàs, et je vous laisse commenter cette remarque dans les commentaires.
7/ Quel que soit l'effort de guerre (qui n'en serait pas une ?) consenti par notre "coalition", son effet sera toujours contraire à celui recherché (effet Streisand) : les manifestation de victoire (71 missiles abattus sur 103 tirés) et de soutien à Assad se multiplient en ce moment même à Damas et ailleurs en Syrie. Si Macron veut qu'on lui présente quelqu'un de crédible et veut ouvrir un large dialogue menant à des élections, alors il doit commencer par ROUVRIR NOTRE AMBASSADE A DAMAS (fermée depuis mars 2012), et donner la parole aux syriens de Syrie. Tous, y compris aux soutiens d'Assad très nombreux. Il y a urgence.
RAPPEL : Lorsqu'on est journaliste officiel, il suffit d'au moins 2 témoignages "INDEPENDENTs" pour prouver un fait et le publier.
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EN QUETE DE VERITE DANS LES DECOMBRES DE DOUMA - et les doutes d’un médecin sur l’attaque chimique.
[traduction blue - texte en gras par le traducteur]
Exclusif : Robert Fisk rend visite à la Clinique syrienne au cœur d’une crise globale.
paru dans THE INDEPENDENT le 17/04/2018. Par Robert Fisk.
C’est l’histoire d’une ville appelée Douma, un endroit putride, ravagé, d’immeubles résidentiels défoncés, et où se trouve une clinique souterraine dont les images de souffrance ont permis à 3 des plus grandes puissances du monde occidental de bombarder la Syrie la semaine dernière. Il y a même un docteur sympa en blouse verte qui, alors que je le localise justement dans cette même clinique, me dit chaleureusement que la vidéo du « gaz » qui a horrifié la planète – malgré tous les sceptiques- est absolument authentique.
Les récits de guerre, cependant, ont pour habitude de tourner au cauchemar. Et ce même médecin-chef syrien de 58 ans ajoute ensuite une chose profondément dérangeante : les patients, dit-il, ont été exposés non pas à du gaz, mais à un manque d’oxygène (hypoxie) dans les tunnels jonchés de déchets, et dans les sous-sols où ils vivaient, au cours d’une nuit de grand vent et de bombardements intensifs qui ont déclenché une tempête de poussière.
Tandis que le docteur Assim Rahaibani énonce cette conclusion extraordinaire, il est important d’observer qu’il n’est pas, de son propre aveu, un témoin lui-même, et que dans un bon anglais, il se réfère 2 fois aux jihadistes armés de Jaish el-islam [l’armée de l’Islam] à Douma comme à des "terroristes", l’expression du régime qui désigne ses ennemis, et un terme utilisé par beaucoup de gens partout en Syrie.
Ai-je bien entendu ? Quelle version des événements sommes-nous supposés croire ?
Par malchance aussi, les médecins de garde lors de cette nuit du 7 avril sont tous les 2 à Damas, afin d’apporter leurs indices de preuve à une enquête sur les armes chimiques, qui devra tenter de fournir une réponse définitive à cette question dans les semaines à venir.
Entretemps, la France a dit qu’elle avait « la preuve » que des armes chimiques avaient été utilisées, et les médias US ont cité des sources qui attestaient aussi ce fait. L’OMS a aussi déclaré que ses partenaires sur le terrain traitaient 500 patients « présentant des signes et des symptômes correspondants à une exposition à des substances chimiques toxiques. »
Au même moment, les inspecteurs de l’OPCW, [Organisation pour l’Interdiction des Armes chimiques OIAC], sont dans l’impossibilité de parvenir ici sur le site de l’attaque au gaz alléguée, apparemment parce qu’ils n’avaient pas les bonnes autorisations de l’ONU.
Avant d’aller plus loin, les lecteurs doivent savoir que ce n’est pas le seul récit qui a cours à Douma. Il y a beaucoup de gens avec qui j’ai discuté au milieu des ruines qui déclarent qu’ils n’ont jamais cru à ces histoires de gaz – qui ont été fabriquées, disent-ils, par les groupes islamistes armés. Ces jihadistes d’un genre particulier ont survécu sous un déluge d’obus, en vivant dans les logements d’autres gens, et dans de vastes et larges tunnels équipés de routes souterraines creusées dans la roche par des prisonniers à l’aide de pioches sur 3 niveaux sous la ville. Je me suis promené dans 3 d’entre eux hier, des couloirs immenses faits de roche naturelle qui contenaient encore des roquettes russes – oui, russes – et des voitures carbonisées.
Ainsi, l’histoire de Douma n’est donc pas qu’une histoire de gaz ou pas, comme l’affaire en a l’air. Il s’agit de celle de milliers de gens qui ont choisi de ne pas évacuer la zone dans des bus la semaine dernière, aux côtés des combattants avec lesquels ils étaient forcés de vivre comme des troglodytes pendant des mois afin de survivre. Je me suis promené dans cette ville assez librement hier, sans soldats, sans policiers ou garde du corps qui scrute mes pas, juste 2 amis syriens, un appareil photo et un carnet. Parfois je devais escalader des remparts de plus de 6 mètres, ou gravir comme des murs de terre. Heureux de trouver un étranger parmi eux, plus heureux encore que le siège de la ville soit enfin terminé, la plupart ont le sourire ; enfin ceux dont vous pouvez voir les visages bien sûr, parce qu’à Douma, un nombre surprenant de femmes portent le hijab noir qui couvre tout leur corps.
Une rue à Douma remplie de décombres, le site suspecté d'une attaque à l'arme chimique, près de Damas (AP)
Je me suis d’abord rendu à Douma en tant que membre d’un convoi de journalistes sous escorte. Mais une fois qu’un général ennuyeux nous eût annoncé sur le parvis d’une mairie démolie « Je n’ai pas d’informations. » - ce foutu langage officiel arabe d’une utilité remarquable – je me suis éclipsé. Plusieurs autres reporters, la plupart syriens, en firent autant. Même un groupe de journalistes russes – tous en treillis militaire – s’écarta du groupe.
Je pus rejoindre au bout d’une courte marche le docteur Rahaibani. Depuis la porte de sa clinique souterraine – appelée « Point 200 », dans la géologie bizarre de cette ville partiellement enterrée – il y a un couloir qui descend. C’est là où il m’a montré son hôpital inférieur, et les quelques lits où une petite fille pleurait tandis que des infirmières s’occupaient d’une coupure au-dessus de son œil.
« J’étais avec ma famille dans le sous-sol de ma maison, à 300 mètres d’ici au cours de la nuit. Mais tous les docteurs ici savent ce qui s’est passé. Il y avait un bombardement intense [par les forces gouvernementales] et les avions survolaient toujours Douma la nuit - mais cette nuit-là, il y avait du vent et des nuages de poussière gigantesques se sont engouffrés dans les sous-sols et les caves où les gens vivent. Des personnes qui souffraient d’hypoxie, en manque d’oxygène, commencèrent à arriver ici. C’est alors que quelqu’un à la porte, un « Casque Blanc » , cria « Gaz ! », et ce fut la panique. Les gens se mirent à s’asperger d’eau les uns les autres. Oui, la vidéo a été filmée ici, elle est authentique, mais ce que vous voyez, ce sont des gens qui souffrent d’hypoxie – et non d’empoisonnement au gaz. »
Le correspondant pour le Moyen Orient de l’INDEPENDENT Robert Fisk dans l’un des tronçons de tunnels déblayé sous Douma par des prisonniers des rebelles syriens (Yara Ismail)
Bizarrement, après avoir bavardé avec plus de 20 personnes, je me suis retrouvé incapable d’en trouver une seule qui montre le moindre intérêt pour le rôle que douma avait pu jouer dans le déclenchement des attaques occidentales. En fait, 2 m’ont même dit qu’elles ignoraient qu’il y avait un lien.
Mais c’est un monde étrange dans lequel je me suis aventuré. 2 hommes, Hussam et Nazir Abu Aishe, me confièrent qu’ils étaient incapables de me dire combien de personnes avaient été tuées à Douma, bien que le second eût admis qu’il avait un cousin qui avait été exécuté par Jaish el-Islam [l’armée de l’Islam], pour avoir été suspecté d’être « proche du régime ». Ils haussèrent les épaules lorsque je les interrogeai sur les 43 personnes censées avoir péri lors de l’infâme attaque de Douma.
Les Casques Blancs – les secouristes médicaux déjà célèbres en occident mais dont la propre histoire présente des recoins intéressants – ont joué un rôle désormais bien connu durant les combats. Ils sont en partie financés par le Foreign Office [Ministère des Affaires Etrangères britannique], et la plupart des bureaux locaux étaient administrés par des hommes de Douma. J’ai retrouvé leurs bureaux démolis pas très loin de la clinique du docteur Rahaibani. Un masque à gaz trainait sur un container de nourriture avec un œil percé, et une pièce était occupée par une pile d’uniformes camouflés très sales. Mise en scène ? Je me le suis demandé mais j’en doute. L’endroit était jonché de capsules, d’équipements médicaux hors d’usage, et de dossiers, de lits et de matelas.
Bien sûr que nous devons écouter leur version des faits, mais ce ne sera pas le cas ici : Une femme nous a dit que tous les membres des Casques Blancs à Douma avaient abandonné leur Quartier Général et choisi de prendre les bus affrétés par le Gouvernement et protégés par les russes, pour rejoindre la province rebelle d’Idlib avec les groupes armés, lorsque la trêve fut négociée.
Les étalages étaient ouverts, il y avait une patrouille de la Police militaire russe – un ajout optionnel lors de tout cessez-le-feu en Syrie à présent – et personne ne s’était même donné la peine d’investir les sous-sols de la prison islamiste interdite près du Square des Martyrs où les victimes étaient supposées être décapitées. Le complément de Police civile est fourni par le Ministère de l’Intérieur – ils portent de façon étrange des vêtements militaires – et ils sont surveillés par les Russes qui eux-mêmes peuvent – ou pas- être sous surveillance des seconds. Là encore, mes questions sérieuses sur le gaz furent accueillies avec ce qui sembla être une authentique perplexité.
Comment se pourrait-il que des réfugiés en provenance de Douma arrivés jusque dans les camps de Turquie aient pu décrire une attaque au gaz dont personne aujourd’hui à Douma ne semble se souvenir ? Je me suis dit, alors que je marchais dans les tunnels entrecroisés de ces misérables prisonniers, que les citoyens de Douma vivaient si isolés les uns des autres depuis si longtemps que « l’information » au sens que nous lui prêtons, n’avait tout simplement aucune signification pour eux. « La Syrie n’en produit pas comme la démocratie à la Jefferson » - comme j’aime cyniquement à le dire à mes collègues arabes – et c’est effectivement une dictature impitoyable, mais pas au point d’intimider ces gens heureux de voir des étrangers parmi eux, et de les empêcher de réagir avec quelques paroles de vérité. Alors que m’ont-ils dit ?
Ils m’ont parlé des islamistes sous le pouvoir desquels ils ont été obligés de vivre. Ils m’ont parlé de la façon dont les groupes armés avaient volé des logements aux civils pour se prémunir du gouvernement syrien et des bombardements russes. Les [islamistes de] Jaish el-Islam avaient brûlé leurs bureaux avant de fuir, mais les constructions massives qu’ils avaient édifiées à l’intérieur des zones de sécurité avaient été presque toutes réduites en bouillie par les raids aériens. Un colonel syrien que j’ai rencontré derrière l’une de ces constructions m’a demandé si je voulais me rendre compte de la profondeur de ces tunnels. Je me suis arrêté au bout de 2 kilomètres, lorsqu’il me fit observer en langage codé que « ce tunnel pourrait aussi bien mener jusqu’à la Grande Bretagne. » Ah oui… Mme May, me dis-je, dont les frappes aériennes ont été si intimement liées à ce lieu fait de tunnels et de poussière… Et de gaz ?