lundi 17 septembre 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Camp David : l’heure était à la paix

« Seuls, des conflits avaient jusqu’à présent modifié les rapports de forces, dans un sens ou dans un autre. Conflits armés parmi lesquels il faut naturellement compter non seulement les quatre guerres israélo-arabes, mais aussi les luttes arabes internes, en Jordanie et au Liban, avec des organisations palestiniennes équipées militairement, et, dans le second cas, du moins, poussées au combat par l’URSS. Dans la semaine dernière, le schéma selon lequel le Proche-Orient est condamné au blocage total dans les intervalles qui séparent les conflagrations appartient au passé. Même si cet électrochoc, avant hier inimaginable, le spectacle du chef de l’État égyptien en train de haranguer la Knesset, ne peut suffire à faire disparaître immédiatement, par sa seule magie, les casse-tête territoriaux et humains de la région, il permettra au moins que les intéressés commencent à les analyser ensemble, de façon réaliste. » (Jean-François Revel, "L’Express" du 21 novembre 1977).



Il y a quarante ans, le 17 septembre 1978, les Accords de Camp David furent signés à la Maison-Blanche à Washington, par le Premier Ministre israélien Menahem Begin et le Président égyptien Anouar El-Sadate. Ils aboutirent au premier traité de paix entre Israël et un pays arabe et restent encore partiellement en application. Camp David est une résidence du Président des États-Unis dans le Maryland, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale Washington.

À l’origine, nouvellement élu, le Président américain Jimmy Carter voulait trouver un moyen pour régler le conflit arabo-israélien qui perdurait depuis la naissance de l’État d’Israël en 1948. Il voulait redémarrer le processus de paix amorcé à la conférence de Genève en 1973 après la guerre du Kippour. Pour cela, il a renoncé à envoyer un émissaire auprès de chaque pays arabe et a préféré une méthode qui s’est avérée plus efficace : mettre tous les protagonistes dans une même pièce et les faire sortir seulement lorsqu’une solution d’entente serait trouvée. Mais pour cela, il fallait aussi les faire entrer, c’était moins simple. Méthode qui a permis aussi la conclusion, bien plus tard, des Accords d’Oslo, le 13 septembre 1993, également sous la médiation d’un Président américain, Bill Clinton, signés par le représentant palestinien Yasser Arafat et les deux représentants d’Israël Yitzhak Rabin et Shimon Peres.

Du côté égyptien, la défaite de la guerre du Kippour en 1973 a fait radicalement changer les stratégies d’alliance. Sadate, leader du monde arabe, a en effet abandonné la promotion du nationalisme arabe voulu par son prédécesseur Nasser pour ne défendre que les intérêts de l’Égypte et des Égyptiens. Ainsi, il s’éloigna de l’URSS et se rapprocha des États-Unis. L’une des raisons fut économique. Les nombreuses venues d’Henry Kissinger quelques années auparavant montrèrent que Sadate avait besoin de conforter son pouvoir au Caire par l’appui d’un protecteur puissant.

Du côté israélien, le Premier Ministre de l’époque était Yitzhak Rabin, général "faucon" et travailliste, et son Ministre de la Défense Shimon Peres. Rabin s’est brouillé rapidement avec Jimmy Carter mais l’histoire a voulu que Rabin renonçât à se représenter aux élections législatives du 17 mai 1977 à cause d’une affaire financière. En lice, Shimon Peres contre le leader du Likoud, Menahem Begin, considéré comme un obstacle à la paix. Les Américains ont misé sur Shimon Peres, mais, contre toute prévision, ce fut Menahem Begin qui fut élu. C’était la première fois que les travaillistes furent battus à des élections de toute la courte histoire d’Israël. Begin a pris ses fonctions le 20 juin 1977, soit cinq mois après Jimmy Carter.

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À la suite des élections israéliennes, le général Moshé Dayan, en retrait depuis quelques années, est devenu Ministre israélien des Affaires étrangères. Ce dernier, très populaire lors de la Guerre des Six Jours, a été rendu responsable des grosses pertes dans l’armée israélienne (Tsahal) lors des premiers jours de la guerre du Kippour. Son interlocuteur égyptien fut Boutros Boutrous-Ghali, Ministre égyptien des Affaires étrangères du 17 novembre 1977 au 15 décembre 1977 et du 17 septembre 1978 au 17 février 1979. Ces hommes furent les négociateurs principaux des Accords de Camp David. Moshé Dayan entretenait de bonnes relations avec les Américains depuis longtemps.

Jimmy Carter aurait voulu relancer le processus de paix dans la région de manière globale, en y incluant une délégation palestinienne, mais Menahem Begin a exclu toute évacuation de la Cisjordanie, de Gaza, du Golan et de Jérusalem-Est, et voulait surtout des discussions bilatérales avec l’Égypte. Au contraire des travaillistes, il n’était pas opposé à la rétrocession du Sinaï (occupé depuis 1967).

Sadate était déjà allé plus loin dans cet esprit pacifique. N’imaginant pas l’influence des États-Unis sur Israël, il décida de commencer des négociations directement avec les Israéliens. Scandalisant les autres pays arabes, l’Égypte a reconnu implicitement l’État d’Israël lors de la rencontre historique de Sadate avec Begin à Jérusalem le 19 novembre 1977. Les deux hommes d’État ont prononcé des discours historiques à la Knesset devant les députés israéliens le 20 novembre 1977. Le fait que Sadate ne voulait pas forcément la résolution globale des problèmes au Proche-Orient permettait cependant à Begin d’avoir un interlocuteur de poids, l’un des plus puissants pays arabes. Une vraie reconnaissance régionale d’Israël (qui coûta la vie à Sadate).

Les conséquences immédiates, ce furent les ruptures de relations diplomatiques de l’Égypte le 5 décembre 1977 avec l’Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen du Sud et l’Algérie. Mais un processus de paix bilatérale (entre Israël et l’Égypte) fut amorcé.

Des archives nationales (des notes diplomatiques) du Département d’État américain (Ministère américain des Affaires étrangères), qui ont été déclassifiées le 26 mars 2014, ont montré que les discussions étaient très difficiles. Ainsi, lors d’un entretien avec Cyrus Vance, le Ministre américain des Affaires étrangères (Secrétaire d’État), Moshé Dayan l’a mis en garde contre toute exigence sur les territoires occupés : « Si l’on propose la paix à Israël contre l’évacuation totale des territoires, je m’opposerai à la paix. Sadate veut vraiment la paix, la Jordanie aussi, ainsi que les habitants des territoires, puisqu’ils n’ont pas créé de front supplémentaire lors de la guerre du Kippour. (…) [Mais] aucun gouvernement israélien n’acceptera le retrait total même en contrepartie d’un accord de paix. Il est possible de trouver une solution intermédiaire comprenant une grande évacuation du Sinaï, une petite évacuation du Golan et une consultation des habitants des territoires sur l’évacuation des Israéliens de là-bas. ».



Lors d’une rencontre à l’hôtel King David à Jérusalem le 2 juillet 1978, avec le Vice-Président américain Walter Mondale, Moshé Dayan se montrait assez découragé : « J’ai une expérience de trente ans de négociations sans résultats avec les Arabes, si ce n’est que la plupart de ceux avec lesquels nous avons négocié ont été assassinés. ».

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Finalement, dans le plus grand secret, Jimmy Carter fit réunir Begin et Sadate ainsi que leurs délégations respectives dans sa résidence présidentielle de Camp David pendant treize jours, du 5 au 17 septembre 1978. Les négociations furent très tendues mais Jimmy Carter ne voulait pas arrêter les discussions tant qu’elles n’aboutiraient pas à une entente.

Le 17 septembre 1978, deux accords-cadres furent signés. Le premier n’a pas eu de suite, rédigé avec trop de flou, sur un processus d’autonomie des territoires occupés (Cisjordanie et Gaza). Le second accord fut un grand succès puisqu’il prévoyait un traité de paix entre l’Égypte et Israël (ce traité fut signé le 26 mars 1979 à Washington) avec le retrait d’Israël du Sinaï ainsi que le démantèlement des colonies israéliennes (effectifs en 1982), ainsi que la libre circulation pour Israël de ses navires dans le canal de Suez, dans le détroit de Tiran et dans le golfe d’Aqaba.

Ces accords ont isolé l’Égypte du monde arabe (elle fut même exclue de la Ligue arabe entre 1979 et 1989). Sadate et Begin furent récompensés par la "communauté internationale" en recevant conjointement, dès décembre 1978, le Prix Nobel de la Paix. Contesté par les islamistes fermement opposés à tout accord avec Israël, Anouar El-Sadate fut assassiné le 6 octobre 1981 par un fondamentaliste musulman. Mais son successeur, Hosni Moubarak, a poursuivi sa politique d’alliance avec les États-Unis.

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Plus tard, les États-Unis ont encouragé d’autres conférences de paix, qui aboutirent notamment aux Accords d’Oslo le 13 septembre 1993 (qui ont valu à leurs trois protagonistes, cités plus haut, également le Prix Nobel de la Paix). Mais en 2018, la paix n’est toujours pas atteinte, malgré les nombreuses tentatives…

Pour terminer, voici qu’écrivait l’éditorialiste de la revue "Esprit" en janvier 1978 en réaction à la venue de Sadate à Jérusalem : « On sentait bien que l’événement les dépassait tous, l’histoire avait pris un tournant irréversible, qui faisait augurer du meilleur et du pire. La guerre n’est plus inéluctable, le problème judéo-arabe est soluble. Mais nous assistons à un renversement des rôles : si hier, le refus arabe était politique, l’ouverture juive était spirituelle et culturelle, aujourd’hui, le refus juif serait politique et l’ouverture arabe culturelle. Doit-on toujours distancier ces deux dimensions, ne devrait-on pas les joindre, faire aller ensemble le spirituel et le politique ? » (Cité par l’Université de Sherbrooke).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Les Accords d'Oslo.
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
La guerre, c’est vilain !
Massacre à Gaza.
Jimmy Carter.
Walter Mondale.
Henry Kissinger.
Bill Clinton.
Le prédécesseur de Sadate.
Le successeur de Sadate.
Boutros Boutros-Ghali.
Yitzhak Rabin.
Shimon Peres.
Ariel Sharon.
Yasser Arafat.

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5 réactions


  • Massada Massada 17 septembre 2018 10:37

    A ce sujet, voir le très bon film « L’ange du Mossad ».
    L’histoire vraie d’Ashraf Marwan, gendre de Nasser, chargé de mener des missions d’espionnage pour Israël.


    • Galilée Galilée 17 septembre 2018 17:55

      @Massada


      Le cinéma israélien est patroné par les branchés gauchistes , et j ’ai toujours de l ’appréhension quand ils sortent un film ..Là ce ne serait pas le cas ??

    • Christian Labrune Christian Labrune 17 septembre 2018 18:40
      @Galilée

      Je n’ai pas vu le film, mais j’aurais assez naturellement la même appréhension que vous concernant le cinéma israélien. J’ai appris avec consternation qu’Amos Gitaï avait été chargé d’un cours au Collège de France. Il a parfaitement calculé son coup, celui-là, comme beaucoup d’autres. Israël est un tout petit pays, une toute petite population ; quand on est un « artiste » et si on veut toucher un public international, il faut lui plaire. Cracher sur Israël, ça plaît beaucoup aux plus cons, par les temps qui courent. S’il avait été un véritable sioniste, la France antisémite lui aurait craché dessus et ne lui aurait certainement jamais offert une chaire au Collège de France. Il y retrouvera l’abominable Henry Laurens, Grand bien lui fasse !

      Si on veut bien comprendre ces sortes de trahisons désastreuses dont la gauche israélienne paraît s’être fait une spécialité, il faut lire cet essai de Pierre Lurçat : La trahison des clercs d’Israël.


    • Galilée Galilée 17 septembre 2018 19:09

      @Christian Labrune


      C’est trés irritant mais inévitable .
      La physique quantique nous enseigne que lorsqu’une particule émerge du vide quantique , c ’est toujours avec son anti-particule .
      La Liberté n ’existerait pas si l’ oppression n ’existait pas .
      En Israël on vénére la Liberté , ce qui implique que l’ on y tolère les tenants de son contraire, ce faisant on y respecte les lois naturelles. 

      M’est avis que ce n ’est pas si mauvais , car le peuple est comme vous et moi , 
      il n ’est pas dupe.

      Aussi , si les Amos Oz et les Barenboïm, les Eytan Fox et les Finkelstein font florés sur Arte,
      ils énervent l ’électeur Juif moyen , et c ’est celà qui compte ...



  • Jonas 20 septembre 2018 19:26

    à l’auteur , 

    Vous citez , avec raison , le voyage , du Président Sadate à Jérusalem ,( non a Tel-Aviv) qui avait rendu la Ligue arabe furieuse, et dans les quelques semaines suivantes avait transféré son siège du Caire à Tunis avec rupture pour certains pays Arabes de leurs relations diplomatiques . L’Egypte que l’on surnomme en arabe « Oum et Dounia » , avait failli à la solidarité artificielle du monde arabe. 

    Sur ce site, beaucoup d’arabo-musulmans , critiquent , non pas l’intervention meurtrière de l’Arabie saoudite avec sa coalition au Yémen, mais un prétendu rapprochement avec Israël. 
    Je ne nie pas la peur qu’éprouve le pays wahhabite de l’expansion du régime des mollahs, de ce fait , il cherche à modérer pour l’instant son attitude envers Israël., mais ce n’est que provisoire. 

    A plusieurs reprises , j’ai interpellé , les Arabo-musulmans , pour qu’ils fassent pression , sur leur gouvernement , afin , qu’ils rompent leurs relations diplomatiques avec Djeddah , et qu’il demandent également le transfert de siège de l’Organisation de la coopération islamique ainsi que celui de la Ligue islamique mondiale. 

    Mais cela ne se fera pas , parce que dans les pays arabo-musulmans , il n’y a pas d’opinion publique comme de partis d’oppositions . Comme l’écrivait avec juste raison Amin Zaoui, en ce posant la question : est-ce que le musulman est un citoyen raté ? Moi, je dirais que c’est un citoyen avorton. 

    @Sylvain Rokotoatison. 
    Les pays arabo-musulmans , malgré leurs grands discours enflammés , ne veulent pas d’Etat , palestinien. Pour la simple raison , que les palestiniens restent leurs soupapes de diversion. Sans l’affaire palestinienne, le monde Arabo-musulman deviendrait une fournaise un enfer. 
    Donc, cette affaire palestinienne , comme le fait de critiquer les juifs , alors qu’ils n’ont plus de juifs , dans leur pays est une bénédiction d’Allah, comme disait le sultan Erdogan , pour un autre événement. 
     
    Quant aux responsables palestiniens , ils sont instruits , des indépendances des pays arabes et voient le résultat négatif dans tous les domaines dans ces pays, mêmes les mieux gâtés par dame nature. Je veux parler de l’espace et des hydrocarbures. 
    Les responsables palestiniens , font de la surenchère sur leurs prétentions , loi de retour des réfugiés, Jérusalem etc , pour ne rien avoir et le savent parfaitement. ( un dicton arabe ,dit, celui qui veut tout , perd tout)

    Pourquoi , parce que les responsables palestiniens comme Mahmoud Abbas, peut voyager dans toutes les capitales-, sauf à Gaza,-. Il est reçu comme un chef d’Etat. Perçoit une aide importante de la communauté internationale , en plus il n’est responsable de rien. Ni de l’école, ni des logements, ni de création d’entreprises , ni de soins etc. Tout est la faute d’Israël, c’est le rêve ! C’est à cause d’Israël, dit le responsable palestinien que je ne peut pas déployer , mes capacités , de la bonne gouvernance et de la bonne gestion. Moi , responsable palestinien , sans Israël , j’aurai été le phare du monde Arabe. L’Arabie saoudite c’est la terre des lieux saints , la Palestine , sans Israël, serait le point convergeant vers lequel chaque Arabo-musulman doit se tourner. . 

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