Un article très intéressant dans ce contexte. Il examine comment afin de perpétuer le système Moubarak, le Conseil militaire de transition a fait dégénérer la situation afin d’enliser la révolution égyptienne, de favoriser le mécontentement et la victoire des islamistes. Manifestement, les militaires préfèrent avoir face à eux des barbus que des démocrates, ce qui pourrait justifier de prendre plus tard des mesures répressives.
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Pourquoi Al-Baradei ne sera pas président
Pour l’écrivain Alaa Al-Aswani, le Prix Nobel de la paix s’est retiré de la course à la présidentielle pour ne pas cautionner une démocratie de façade. Il est vrai que dans le pays rien n’a changé.
26.01.2012 | Alaa Al-Aswani | Al-Masri Al-Youm
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Les sources d’exaspération
Premier constat : normalement, une révolution qui réussit à faire chuter le régime entraîne automatiquement l’abrogation de la Constitution, puis l’élection d’une assemblée constituante afin d’en élaborer une nouvelle. Or en Egypte, le Conseil suprême des forces militaires [qui gouverne le pays depuis la révolution] a refusé un tel scénario. Il a au contraire opté pour une simple réforme constitutionnelle, idée qui remonte à Moubarak lui-même. Celle-ci a été adoptée par référendum… avant que ce même Conseil ne l’annule pour imposer une Constitution transitoire, cette fois sans consultation populaire.
Deuxième remarque : l’objectif de la révolution était de permettre aux Egyptiens de vivre dignement. Il s’agissait entre autres d’obtenir l’abolition de la Sécurité d’Etat, une sorte de boucherie organisée pour torturer les Egyptiens par milliers. Or le Conseil militaire a insisté pour la maintenir et s’est contenté d’en changer le nom. La révolution voulait également que la police soit épurée de ses dirigeants responsables de la mort des martyrs de la révolution. [Quelque 850 personnes ont été tuées.] Mais ces responsables ont conservé leurs postes, voire ont été promus au sein de leur hiérarchie. De même, le Conseil militaire est resté indifférent au problème de l’insécurité galopante provoquée par le refus de la police de faire son travail ordinaire de maintien de l’ordre. Certes, la police militaire réprime brutalement les manifestations, mais elle reste les bras croisés face à une poignée de gens qui occupent, parfois pendant une semaine entière, les voies de chemins de fer. Comme si les autorités faisaient exprès de multiplier les sources d’exaspération, comptant que les citoyens finiront par tenir la révolution pour responsable de leurs problèmes.
Troisième remarque : le Conseil militaire a maintenu la plupart des hauts fonctionnaires. Ce qui explique qu’il règne un état d’esprit inchangé depuis l’époque de Hosni Moubarak. Ainsi, le Premier ministre, Kamal Al-Ganzouri, promet de protéger les manifestants campant devant le siège du Conseil des ministres mais ne cille pas quand ces mêmes manifestants se font tuer [par l’armée], traîner par terre et tabasser, y compris les filles. Il parle d’une grave crise économique mais n’a pas l’air embarrassé par le fait que la Banque centrale ait mis de côté 55 milliards de livres [environ 7 milliards d’euros] au nom de Hosni Moubarak. On se moque du monde, exactement comme on le faisait sous l’ancien régime. Comme si la révolution n’avait pas eu lieu.
Quatrième remarque : même si la plupart des juges sont des gens respectables, la justice en tant qu’institution n’est pas indépendante. Elle demeure aux ordres d’une administration dont le président est nommé par le ministre de Tutelle, lui-même nommé par le président… La révolution avait exigé le renvoi des juges ayant participé au trucage des élections, mais le Conseil militaire les a maintenus. Nous en voyons la conséquence : aucun procès contre les responsables de la répression n’a eu lieu, malgré trois tueries successives [en octobre, devant le siège de la radio-télévision d’Etat, ainsi qu’à la fin du mois de novembre, puis mi-décembre autour de la place Tahrir]. Quatre-vingt-quatre martyrs y ont laissé la vie, écrasés par des blindés, asphyxiés par du gaz lacrymogène ou fauchés par des tirs à balles réelles, sans parler des milliers de blessés, de ceux qui ont perdu un œil ou du nombre de jeunes filles humiliées. Au lieu d’inquiéter les responsables, ce sont de jeunes révolutionnaires qui ont été accablés. Le blogueur Ahmed Douma a été arrêté, l’éditorialiste Nawara Negm inculpée pour avoir “fait croire à l’opinion publique que la corruption existait toujours” [le 18 janvier, elle a été tabassée en pleine rue], des militants interdits de voyage… Et pendant ce temps, le numéro deux de l’ancien régime, Omar Souleyman, voyage librement, à bord de jets privés, et rencontre les grands de ce monde.
Une même dictature
Cinquième remarque : le Conseil militaire a organisé des élections inéquitables et offert la majorité parlementaire aux forces de l’islam politique. Il leur a permis de créer des partis à base religieuse, en infraction flagrante avec l’article 4 de la Constitution provisoire qu’il a lui-même proclamée. Ensuite, la commission électorale instaurée par ses propres soins a fermé les yeux sur toutes les infractions commises par ces partis, telles que la propagande politique à travers les mosquées, la présence de militants devant et dans les bureaux de vote et jusqu’à l’achat de voix. Il n’a pas non plus enquêté sur la provenance des millions de livres dépensés par ces partis au cours de la campagne. Ce genre de questions, le Conseil ne les pose qu’à ceux qui se montrent critiques à son égard.
En dehors des poursuites judiciaires contre Hosni Moubarak – avec toutes les réserves qui peuvent être formulées quant à au sérieux de son procès –, la révolution n’a atteint aucun de ses objectifs. Le fait est que le Conseil militaire a transformé la révolution en coup d’Etat. Au lieu d’instaurer une démocratie, il s’est contenté d’un changement de façade. Une dictature a succédé à une autre. Si les choses continuent ainsi, nous aurons [en juin prochain] un nouveau président, élu certes, mais élu selon les grâces dudit Conseil. Et celui-ci continuera de tirer les ficelles en coulisse. C’est pour toutes ces raisons que Mohamed Al-Baradei a annoncé son retrait de la campagne électorale.
Il faut lui savoir gré d’avoir refusé de servir de feuille de vigne pour une démocratie de façade. Qui peut imaginer que la campagne sera honnête alors que les médias officiels font feu de tout bois contre la révolution, que les forces de l’ordre harcèlent l’opposition et que des dizaines de milliers de baltaguis [voyous devenus indics de police] sont disponibles pour être lancés contre toute personne ou rassemblement susceptible de déranger le régime ?
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