mardi 12 avril 2016 - par Laurent Herblay

Deux analyses complémentaires des travers de notre époque

C’est un compte-rendu intéressant de deux livres d’auteurs étasuniens venus d’horizons différents, qui s’en prennent aux dérives de notre temps. Le progressiste Robert Putman dénonce les inégalités quand le très libertarien Charles Murray, proche du Tea Party, s’en prend aux excès législatifs. Et s’il y avait un lien ?

 
Entre apartheid social et tyrannie réglementaire
 
Dans « Nos enfants. Le rêve américain en crise  », Robert Putman reprend les analyses de Paul Krugman ou de Joseph Stiglitz. Pour lui « les Etats-Unis ne se fracturent plus sur des bases raciales, mais principalement selon les classes sociales », notant un écart grandissant sur tous les critères, pas seulement financier, mais aussi dans l’éducation et la famille. Reprenant l’argument de Krugman de 2008 dans « l’Amérique que nous voulons  », il rapporte que « les enfants aisés de faible niveau scolaire ont aujourd’hui les mêmes chances d’obtenir un diplôme universitaire que les enfants pauvres bons à l’école  » et parle « d’apartheid social  » en dénonçant « un pays stratifié rigidement en classes sociales de plus en plus étanches  », une analyse que les amateurs du blog ont déjà pu lire à de nombreuses reprises.
 
Venu d’un bord radicalement différent, « Charles Murray fait des constats similaires à ceux de Putman, sur la polarisation sociale et sur l’effondrement de la confiance dans les institutions publiques  » et évoque des élus impuissants. Pour lui, le pays « n’est plus une terre de liberté  », la loi est terriblement compliquée et incompréhensible, évoquant les 400 000 mots de l’Obamacare. Il propose la désobéissance civile contre les règlements inutiles, stupides et tyranniques, en soutenant que si les règles pour protéger un site nucléaire sont légitimes, celles disant combien de temps un soignant doit passer avec chaque patient n’a aucun sens. Cette campagne gripperait la chaine judiciaire par le nombre de dossiers et épuiserait le gouvernement. Et il faut bien reconnaître que certaines règles sont excessives.
 
Si je suis fondamentalement opposé à la loi travail, qui est un démantèlement de notre modèle social, toutes les lois et toutes les règles ne sont pas toujours justes. Passons sur celles qui produisent une concurrence déloyale dans un contexte de libre-échange, mais la démultiplication des règles ne sert pas toujours le bien commun, mais souvent une petite minorité. C’est ce que l’on voit dans le fourmillement de mesures fiscales au bilan antisocial du gouvernement britannique. La complexité est du pain béni pour les multinationales qui ont les moyens d’y trouver les niches qui les servent, quand elles ne sont pas à l’origine même de toutes ces règles qui peuvent les favoriser, comme on peut le voir dans la fixation des règles dites de Bâle 3, dont les détails permettent aux banques une grande lattitude d’action.
 

Bien sûr, il faut défendre bien de nos règles et en rajouter d’autres pour assurer la justice et lutter contre la polarisation sociale. Cependant, l’excès de lois et de règles représente aussi le moyen, pour certains, de faire valoir intérêts au détriment des autres, outre le fait de construire une société où la démocratie finit par être en partie paralysée, comme l’avait bien analysé Sapir.

 


1 réactions


  • Jo.Di Jo.Di 12 avril 2016 10:54

    L’indien d’Amazonie n’a pas besoin de législatif (ni de police ni de chef) car son tabou est l’intériorisation de sa morale, il se suicide s’il commet un crime.
    Vers la société civile et son anomie, le législatif explose, tout devenant « négociable »
    Comme Marx et Tocqueville le disent, la « petite société », le bac à sable consumériste, le jardin épicurien du bobo qui fait venir son nouvel esclave, le migrant, cette hypertrophie de l’individu apolitique génère la diarrhée réglementaire, toute relation sociale devient « citoyenne » et non politique, du pt de vue économique aussi donc. Les classes n’en sont que la conséquence.
     
    « C’est seulement lorsque l’homme individuel, réel, aura incorporé en LUI-MÊME le citoyen abstrait et qu’il sera devenu en tant qu’individu un Être générique dans sa vie empirique, dans son travail individuel, dans ses rapports individuels ; lorsque l’homme aura organisé ses forces propres comme forces SOCIALES et ne retranchera plus de lui la force sociale sous la forme de la force POLITIQUE ; c’est alors seulement que l’émancipation humaine sera accomplie »
    La question juive
     
    Mais la force sociale est déterminée par le holisme. Et le Capital n’a de cesse de le détruire.


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