East of Eden : Haïti aura toujours faim
Surpopulation, malnutrition, politiciens corrompus, militaires factieux, classe dominante sans scrupules, comment Haïti peut-elle s’en sortir ?

« Avec 8,5 millions d’habitants, Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain, dont 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour ». La presse.
Il est de ces endroits où il ne fait pas bon naître, Haïti en fait partie. Dommage, parce qu’une fois payé le prix d’un cyclone annuel, ça pourrait être l’Eden. Il fait toujours chaud, la mer est toujours tiède, les frais de vêtements et de chauffage s’en trouvent réduits au minimum. Pas besoin de superflu ici, il y aurait tout pour le bonheur des hommes à condition qu’ils partagent les minces richesses et qu’ils ne soient pas trop nombreux à le faire.
Problème : il n’y a pas grand-chose à bouffer et le peu qu’il reste est accaparé par une mafia de truands, ailleurs nommés spéculateurs, peu soucieuse des intérêts vitaux de ses concitoyens comme presque partout dans le tiers-monde, où accéder à des postes de pouvoir autorise avant tout à s’en mettre plein les poches avec un mépris total du sort de ses propres congénères. Haïti a faim. Même si on le redécouvre ces jours-ci avec la nouvelle flambée foncièrement artificielle des prix des denrées alimentaires, ce n’est pas nouveau : Haïti a pour ainsi dire faim depuis toujours. Trop de bouches à nourrir.
Pour tromper l’ennui et oublier un moment leur existence sans espoir, les pauvres font des enfants vite autonomes, quand ils ne meurent pas prématurément, qui pour tromper l’ennui et la faim lancinante - un perpétuel creux dans l’estomac, ça mine le moral - font le plus tôt possible des enfants qui feront des enfants. Et ainsi de suite. Le « procréationnisme » morbide est l’une des pires plaies des pays déshérités, qui reproduit à l’infini le terreau de la déréliction et de la désespérance avec la bénédiction empressée des autorités civiles et religieuses.
Pour ses dirigeants temporels et spirituels, toute nation aspire à devenir une grande nation, si ce n’est par la richesse, du moins par le taux de natalité et la production d’âmes destinées à faire du Paradis le rival de Mexico Ciudad, de Shanghai et de Bombay réunies. Demandez aux Palestiniens. S’agit d’être plus nombreux que les Israéliens, quitte à transformer le mouchoir de poche de Gaza en timbre-poste et à réduire un peu plus tous les ans la portion de semoule dans l’assiette.
Calculs « d’élites » et de présidents à vie, car des peuples la masse n’aspire ni à la grandeur ni au nombre ni encore moins à jouer un quelconque rôle international, mais au bien-être, à la paix. Haïti devrait précipiter à la mer, en même temps que les politiciens qui la gouvernent vaguement sous la pression constante de militaires aussi volontiers séditieux qu’inutiles pour protéger un pays sans ennemis, son indépendance sans substance, sa liberté purement conceptuelle, et les Haïtiens exiger de l’Amérique bushiste le rattachement de leur Etat à l’Union puisque aussi bien aucune dictature comme celle de Duvalier père, aucune pseudo-démocratie depuis la chute de Duvalier fils ne se fait ici sans l’imprimatur d’un Uncle Sam si idéologiquement préoccupé que ne naisse nulle part en Caraïbes un nouveau Cuba, comme si Cuba qui découvre aujourd’hui l’électroménager cinquante ans après le reste de la planète était une menace sérieuse pour Wall Street.
Ou bien, dans l’hypothèse d’un refus frileux de Washington que l’on subodore plus soucieux d’instrumentaliser la misère orbi que de l’accueillir urbi, exiger de l’ancienne puissance coloniale française si complaisante avec les anciens tyrans* qu’elle crée ici un nouveau département d’outre-mer avec tous les avantages dus aux métropolitains, car vue de Port-au-Prince, Fort-de-France ou Pointe-à-Pitre avec ses touristes, ses ressorts, sa paix sociale, et même avec ses mouvements autonomistes, c’est Byzance au temps de sa splendeur.
*Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier est toujours résident de luxe au pays des droits de l’homme et ne désespère pas de rentrer triomphalement chez lui à la première occasion.
Mathias Delfe