lundi 7 septembre 2015 - par xavier dupret

Elections primaires argentines. Des soucis en perspective ?

En octobre 2015, les Argentin(e)s choisiront un nouveau président. A l’heure où ces lignes étaient écrites, le Frente para la Victoria (FpV), soit le parti de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, avait remporté une nouvelle victoire électorale au cours des élections primaires.

Pour autant, tout ne baignera pas dans l’huile pour le parti au pouvoir. Cet article vise à dresser une liste des défis et des urgences qui attendent le prochain gouvernement argentin.

Divergences idéologiques

La loi électorale argentine dispose qu’un second tour de scrutin est obligatoire si aucun candidat ne reçoit au moins 45 % des votes au premier tour ou si le gagnant obtient 40 % mais avec une marge inférieure de 10 % par rapport au candidat arrivant en deuxième position. Depuis le début de cette année, la plupart des sondages réalisés donnaient un avantage à la formule du FpV (soit Daniel Scioli à la présidence et Carlos Zanini à la vice-présidence) sur leurs poursuivants de la droite libérale (en l’occurrence, Mauricio Macri et Gabriela Michetti). Les péronistes de droite conduits par Sergio Massa pointaient en troisième position aux alentours de 15%.

Les élections primaires du mois d’août 2015 ont globalement confirmé cette tendance. Daniel Scioli remportait, en effet, 38% des suffrages. Les libéraux suivaient le ticket présidentiel du FpV à 31%. Les péronistes de droite fermaient la marche avec 20% (un meilleur score que prévu)[1]. En cas de deuxième tour, ils pourraient se poser en arbitres de l’élection. Au cours de la campagne pour les primaires, Sergio Massa faisait savoir que son parti ne négocierait pas avec les fonds vautours, à la différence de Mauricio Marci [2]. Les choses semblent donc bien parties pour une réunification des divers courants péronistes autour de la candidature de Daniel Scioli.

Mais à terme, rien n’augure a priori d’une coexistence facile entre Scioli et Zanini. Le premier nommé incarne une volonté de dépasser le kirchnérisme par un recentrage de la politique économique. Déjà, les experts économiques qui avaient appliqué, durant les années nonante, les politiques préconisées par le FMI et la Banque mondiale font leur retour et s’activent aux côtés du candidat Scioli.

Carlos Zanini, quant à lui, provient de l’entourage de Nestor et Cristina Kirchner dont il fut le plus proche collaborateur. Partisan d’une ligne économique davantage marquée à gauche (il fut un des inspirateurs de l’inscription de l’Argentine dans la sphère bolivarienne au cours des dernières années), Carlos Zanini entend continuer la politique menée par Cristina Kirchner. Cette dernière ne peut, en effet, pas briguer un troisième mandat consécutif selon la Constitution argentine. Aussi, Zanini représente-t-il une garantie pour le clan Kirchner de garder une influence sur la vie politique argentine.

Sauf grosse (et improbable) surprise, on peut augurer que le prochain gouvernement, si la tendance en faveur de Scioli et de Zanini se maintient, constituera un champ de bataille à l’intérieur due la famille péroniste entre deux tendances politiques aux profils marqués. La chose, si elle se vérifiait, serait d’autant plus problématique que plusieurs dossiers épineux attendent en embuscade le prochain gouvernement.

Fonds vautours

Après avoir défaut sur sa dette en 2001, l’Argentine engage des pourparlers avec ses créanciers en 2005 et en 2010. Plus de 90% (94% pour être plus précis)des créanciers adhérent aux termes de la restructuration.

Parmi les 10% restants, on retrouve les fonds vautours NML Capital Limited et Aurelius Capital Management. En juin 2014, la Cour Suprême des Etats-Unis refusait l’appel formé par le gouvernement argentin et donnait raison au juge fédéral Thomas Griesa du district sud de New York qui, en février 2012, avait disposé que l’Argentine devait payer la valeur faciale de la dette acquise par les fonds vautours, soit 1,3 milliard de dollars. D’après les attendus du jugement Griesa, l’Argentine doit payer solidairement les fonds vautours et les créanciers qui ont accepté la formule de restructuration. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Thomas Griesa a donné raison en juin 2015 à 500 créanciers qui demandaient à recevoir le même traitement prioritaire que les fonds vautours. Coût potentiel pour les finances publiques argentines : 5,2 milliards de dollars. Si tous les créanciers récalcitrants exigeaient ce type de traitement, le litige porterait alors sur 23 milliards de dollars[3]. Jusqu’à présent, le tribunal du district sud de New York a toujours ordonné de payer en cash les créanciers[4]. Les réserves de l’Argentine s’élevaient à 33,847 milliards de dollars en juin 2015[5]. Dès lors, on imagine aisément l’impact déstructurant qu’un tel paiement pourrait avoir pour l’économie du pays.

A l’heure où ces lignes étaient écrites, le juge Griesa était mis sous pression par les fonds vautours pour effectuer des saisies d’actifs sur les comptes aux Etats-Unis de la compagnie pétrolière nationale YPF et de la Banque centrale de la République d’Argentine. Par ailleurs, le fonds vautour Aurelius exigeait de la justice US qu’il bloque les paiements effectués sur des comptes aux Etats-Unis pour des emprunts obligataires réalisés par l’Etat argentin sous législation argentine plus tôt cette année. Cette menace, s’il se concrétisait, risquerait de gêner grandement l’Etat argentin dans ses tentatives de financement en dollars auprès des banques étrangères. Il en va de même pour la compagnie publique YPF, active dans le domaine des hydrocarbures, qui ne pourrait plus développer des projets capitaux pour la politique énergétique du pays. A l’heure où ces lignes étaient écrites (début août 2012), le juge Griesa avait fixé une audience en date du 12 août pour déterminer les suites qu’il accorderait aux prétentions d’Aurelius. En cas de réponse positive, il ne sera pas facile pour l’Argentine d’emprunter illico 20 milliards de dollars sur les marchés afin de dédommager les vautours. Le retour attendu de l’Argentine sur les marchés financiers s’est, en effet, produit en avril de cette année pour des montants bien inférieurs. Le Trésor argentin a, à l’occasion de ces retrouvailles, placé des obligations pour un montant de 1,415 milliard de dollars[6]. Rien ne dit que les banques internationales prendront, dans l’immédiat, davantage de risques avec l’Argentine.

L’OMC s’en mêle

Les fonds vautours ne constituent pas le seul sujet d’inquiétude dont héritera la nouvelle présidence. L’Argentine, après la crise de 2008, a multiplié les déficits budgétaires et les politiques de soutien à la demande pour contrebalancer les tendances déprimées de l’économie mondiale. Lorsque la consommation augmente dans les nations sud-américaines, il en résulte de l’inflation en cas de dégradation de la balance des paiements.

Cette dégradation correspond, en effet, à une diminution des réserves en dollars suite à une baisse de la demande des matières premières qui constituent les seules productions exportées par ces pays. Or, les importations de ces pays portent sur des biens à haute valeur ajoutée produits au Nord. La dégradation persistante des termes de l’échange nourrit alors un cercle vicieux inflationniste jusqu’au moment où une dévaluation fait pression à la baisse sur la demande. Au cours du 20ème siècle, de nombreux pays d’Amérique latine ont expérimenté des épisodes de ce type qualifiés classiquement de cycles « stop and go ».[7]

Pour éviter de tomber dans l’hyperinflation qui a sévi en Argentine durant les années 80, l’administration Kirchner a choisi de protéger les réserves du pays, ce qui passe par un contrôle sévère des importations. Le dispositif mis en œuvre est particulièrement contraignant. Ainsi, avant de permettre une importation, le fisc argentin vérifie que la relation débit/crédit en matière de TVA de l’entreprise importatrice était de 1,2 pour les douze mois précédents. Or, le taux de la TVA en Argentine est de 21%. Cela signifie que dans l’Argentine kirchnériste, on ne renouvelle les commandes à l’import qu’une fois le stock de marchandises importées quasiment épuisé.

A la suite de réclamations formulées par l’Union européenne, le Japon et les Etats-Unis, l’Argentine a été sommée par l’OMC de démanteler ses barrières protectionnistes pour janvier 2016. Vu le danger de mesures de rétorsions commerciales, l’administration Kirchner était bien forcée d’accepter.

Le pays se dirige vraisemblablement vers une dévaluation du peso et une diminution du pouvoir d’achat de la population afin de maintenir son excédent commercial et protéger ses billets verts. Décidément, les temps à venir s’annoncent troublés à Buenos Aires…

 

[1] Página/12, édition mise en ligne le 10 août 2015

[2] Página/12, édition mise en ligne le 4 août 2015

[3] Ámbito Financiero, édition mise en ligne le 5 juin 2015.

[4] Financial Times, édition mise en ligne le 20 avril 2013.

[5] Banco Central de la República Argentina, juillet 2015

[6] Ámbito financiero, édition mise en ligne le 21 avril 2015.

[7] Pour une mise en perspective du concept, voir Robert Boyer, Diversité et évolution des capitalismes en Amérique latine. De la régulation économique au politique in Revue de la régulation, 1er semestre, printemps 2012.



2 réactions


  • Depositaire 7 septembre 2015 16:08

    Le cas argentin pourrait fournir un cas d’école de ce qui attend ceux qui veulent mettre leur argent aux états unis. De plus, là aussi, c’est un cas d’école de ce que produit ce système totalement aberrant de l’économie de marché.

    Ce système a été conçu et est toujours conçu de plus en plus pour enrichir de manière exponentielle une oligarchie extrêmement cupide et vorace et non pas pour faciliter la vie des peuples. Tant que nous n’étions pas encore arrivés à la financiarisation de l’économie, les événements pouvaient encore laisser croire que les choses s’amélioreraient pour les populations les plus pauvres, mais c’était sans compter sans la cupidité insatiable des oligarques.

    Maintenant tout est lié à la finance et celle-ci aux mains de l’oligarchie. Mais, le plus grave, c’est que cette finance est à 80% fictive. Ce n’est que de la spéculation, des chiffres sur un ordinateur qui ne correspondent à aucune richesse réelle et avec cette finance fictive ils achètent des pans entiers de l’économie réelle et mettent à genoux des pays entiers et réduisent de larges pans de la population mondiale à une misère abjecte.

    Et ce qui est encore plus invraisemblable, c’est de voir ce système enseigné dans les universités comme étant le modèle « par excellence » et de voir la très grande majorité des dirigeants du monde ne jamais une seconde le remettre en question malgré les dégâts terribles en matière de misère et de saccage de la planète autant qu’en épuisement accéléré des ressources en matières premières. Vraiment, à se demander si les dirigeants de ce monde ne sont pas devenus complètement fous ?

    Quand la Terre sera complètement saccagée, polluée, stérilisée par les engrais chimiques qui brûlent la terre et la rende stérile, quand même l’air que nous respirons sera empoisonné, que l’eau ; la nourriture seront complètement empoisonnés que l’espérance de vie passera à 40 ou 50 ans, comment les générations à venir feront pour vivre ? Et les oligarques malades mentaux, ils vont manger leurs dollars fictifs ?

    N’est-il pas temps, tant que nous pouvons encore le faire, de changer de paradigme de société ? N’est-il pas temps de mettre l’être humain et son épanouissement sur tous les plans, du spirituel à l’éducatif, de l’économique au social et culturel, au centre des préoccupations et non la satisfaction de la cupidité insatiable d’une infime partie d’individus animés d’une cupidité insatiable et maladive ? Il me semble que la réponse va de soi, pour beaucoup de gens. Alors pourquoi les choses ne bougent pas ? va t-on attendre une catastrophe d’ampleur planétaire ou une guerre atomique provoquée par cette oligarchie malade mentale pour se décider à agir ? Je crains qu’il ne soit trop tard pour ça. Il nous faudra juste essayer de survivre au jour le jour.


    • leypanou 7 septembre 2015 17:53

      @Depositaire
      « Le cas argentin pourrait fournir un cas d’école de ce qui attend ceux qui veulent mettre leur argent aux états unis. » : pas seulement mettre leur argent aux Etats-Unis, mais faire intervenir les Etats-Unis dans ses affaires d’une manière ou d’une autre, soit en utilisant le dollar ou une banque etats-unienne ou un serveur de données basé là-bas, etc, etc.

      Les Russes ont commencé à s’en rendre compte d’où leur nouveau système de paiement. Mais tant que le dollar est utilisé comme monnaie d’échange, il faut commencer par casser ce quasi-monopole.


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