Evo Morales - Un Indien qui doit gérer par référendums !
C’est fait. « La Bolivie (10 millions d’habitants) est un État unitaire social de droit plurinational communautaire, libre, indépendant, souverain, démocratique, interculturel, décentralisé et avec des autonomies ». Plus de 3,8 millions d’électeurs Boliviens étaient appelés aux urnes pour se prononcer sur la nouvelle Constitution. Le « oui » l’emporterait avec 56,8% des voix contre 43,2% pour le « non », d’après deux sondages réalisés à la sortie des urnes. Les 2.700 bureaux de vote étaient surveillés par 200 observateurs de l’OEA (Organisation des États américains), de l’Unasur (Union des nations sud-américaines) et de l’Union Européenne.
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Après le Venezuela, l’Equateur, la Colombie, Evo Morales entend changer la Constitution de son pays, trop liée, à ses yeux, au capitalisme et au passé colonial. Morales, un indien Aymara au pouvoir depuis trois ans, est le premier président bolivien issu de la communauté indigène à gouverner la Bolivie depuis sa fondation, il y a 183 ans. Il avait facilement remporté, en août dernier, un referendum sur son maintien au pouvoir avec 67% des voix. Evo Morales a fait de ce scrutin sur la nouvelle constitution un autre plébiscite. En cas d’adoption du projet, Evo Morales, élu en 2005, pourra se représenter pour un nouveau mandat de cinq ans à la tête d’une nouvelle Bolivie. La majorité de la population bolivienne est d’origine indienne mais la vie politique et économique a longtemps été dominée par une petite élite sociale d’origine européenne.
Comme le rappelle l’Université Laval de Québec : « La Bolivie est un pays multilingue avec une bonne quarantaine de langues, presque toutes amérindiennes. Quelque 43 % des Boliviens parlent l’espagnol comme langue maternelle. La Bolivie ne compte que quatre langues importantes, si l’on prend comme critère celles parlées par 10 000 locuteurs ou plus : le quechua (36,4 %), l’aymara (22,5 %), le guarani (0,2 %) et le chiquito (0,2 %). Quelques autres langues sont parlées par quelques milliers de locuteurs, mais l’immense majorité des langues autochtones de la Bolivie est en voie d’extinction. Il n’est pas rare de dénombrer quelques dizaines de locuteurs pour plusieurs petites langues ».
C’est tout de même une constitution largement édulcorée qui a été présentée au vote des Boliviens. Plus de 150 articles sur 400 ont été modifiés pour que le Sénat, dominé par la droite, accepte de convoquer le référendum. Ses détracteurs disent qu’elle est confuse et parfois contradictoire. La nouvelle constitution entend donner une meilleure représentation aux Indiens au Congrès et leur octroie plus d’autonomie dans leurs régions. Elle vise à redonner leur place aux langues et aux traditions culturelles du monde indien. « Nous avons souffert pendant 500 ans, alors nous voterons oui pour ne pas souffrir 500 ans de plus », déclarait à Reuters Simon Cussi, 51 ans, chef d’un groupe de paysans indigènes.
La Bolivie sera un pays laïc. La constitution consacre la séparation de l’État et de l’Église catholique. Elle reconnaîtra plutôt le culte de la Pachamama, la Terre-mère, divinité omniprésente dans les religions andines. Les Églises catholique et protestante ont élevé la voix pour critiquer cette constitution, se disant convaincues qu’elle ouvrait la voie à une légalisation de l’avortement et au mariage homosexuel. L’État se verra confier un plus grand contrôle sur la vie économique et sur la gestion des ressources naturelles en particulier, après une première vague de nationalisations dans les secteurs énergétique ou des télécoms.
Au désespoir des grands propriétaires et entreprises, la nouvelle constitution donne des droits et des statuts particuliers à 36 nations indigènes laissées pour compte depuis des siècles. La redistribution des terres et la limitation de la taille des propriétés ont déclenché les foudres des grands propriétaires terriens, éleveurs ou cultivateurs de soja à un point tel que le pays est venu au bord de l’implosion : les électeurs sont appelés à se prononcer entre deux superficies maximales (5.000 ou 10.000 hectares). La constitution imposera de fait une taille maximale aux propriétés agricoles, loi qui ne sera pas rétroactive, toutefois, et combattra les inégalités sociales les plus criantes. En cas d’un « oui » victorieux à l’échelle du pays, les préfets autonomistes ont déclaré qu’ils rejetteront quand même la constitution si le « non » gagne chez eux. À l’heure de la rédaction de cette analyse, quatre des neuf provinces auraient rejeté le texte, selon les sondages sortis des urnes.
Evo Morales n’est pas au bout de ses peines pour autant.
La Bolivie est au cœur de plusieurs convoitises, notamment dans le secteur énergétique. La Bolivie dispose des deuxièmes réserves de gaz naturel (710 Gm3 en 2007) d’Amérique du sud, après celles du Venezuela. À deux jours d’un référendum populaire sur la nouvelle Constitution du pays, Evo Morales a nationalisé la pétrolière Chaco, gérée par la société Panamerican Energy (PAE), à capitaux argentins et britanniques. « Petit à petit nous récupérons nos entreprises », a déclaré le président bolivien. PAE n’apprécie pas : « elle défendra devant toutes les instances ses intérêts légitimes ». La compagnie publique des hydrocarbures YPFB prendra le contrôle de 99% des actions de Chaco.
Conséquence de ces nationalisations : les compagnies pétrolières étrangères opérant en Bolivie ont reporté leurs investissements dans l’exploration et l’exploitation de gisements de gaz.
Le lithium est un enjeu important dans la fabrication des batteries. Notamment, celles des automobiles non performantes. Son prix est passé d’environ 350 dollars la tonne, en 2003, à près de 3 000 dollars en 2008. On l’extrait surtout en Argentine, au Chili et au Tibet. Les réserves mondiales du métal devraient s’épuiser totalement d’ici 2200, d’après les experts. Mais voilà. La Bolivie posséderait 40 à 50% des réserves mondiales de lithium. Il se trouve sous le lac salé fossile du Salar d’Uyuni, vestige d’un lac d’eau de mer asséché et plus vaste désert de sel au monde. La Bolivie veut créer une filière industrielle du lithium, incluant une usine de fabrication de batteries. Pour cela, elle aura besoin de main-d’œuvre spécialisée. Ses récentes nationalisations ne sont pas de nature à communiquer un vent d’optimisme aux investisseurs. Times a qualifié la Bolivie de petite « Arabie saoudite du lithium », comme le rapporte Énergie 2007. Pour sa part, Forbes penche plutôt du côté du Chili : « Chile is the Saudi Arabia of lithium ».
Mitsubishi estime que la demande de lithium dépassera l’offre dans les 10 ans et pronostique une pénurie en 2015. Le spécialiste des batteries A123, le vice-président Ric Fulop, a un avis différent. Il se dit assuré qu’il y a assez de lithium sur la terre pour « plusieurs milliards » de voitures électriques ». Les enjeux mondiaux sur le lithium feront de la Bolivie un point de mire sous haute pression.
Le groupe Bolloré, rapporte le quotidien Le Monde, cherche à acquérir une mine d’exploitation de lithium, en Bolivie notamment. Selon M. Bolloré, la technologie choisie pour les batteries, « le lithium-métal-polymère », est supérieure à tout ce qui est envisagé par les concurrents actuellement, tant en matière de sécurité qu’en matière d’autonomie. Le groupe Boloré n’est pas seul évidemment à rechercher le lithium bolivien. Les grands constructeurs automobiles des États-Unis sont sur la piste : « la plupart des réserves de lithium nécessaires à la production de batteries pour ces véhicules se trouvent en Bolivie, dont le Président très à gauche, n’est pas très proche des États-Unis », écrit le Times. Evo Morales ne veut ni exploitation massive et destructrice, ni compagnies étrangères, et vient de signer un décret pour installer un site d’exploitation national mais très limité.