jeudi 21 juin 2007 - par Pierre R. Chantelois

George W. Bush cédera-t-il aux pressions l’exhortant à gracier Lewis “Scooter” Libby ?

Les conservateurs américains, membres de l’establishment, sont scandalisés. Le juge Reggie Walton ordonne à Lewis Libby, 56 ans, de se présenter de lui-même à l’établissement qui devrait lui être désigné au cours des prochaines semaines par les autorités pénitentiaires fédérales. Cela, avant même qu’il n’ait épuisé tous ses recours. Le juge estime que la défense n’a pas montré que Lewis Libby avait des chances de l’emporter en appel. Seule une grâce présidentielle pourrait éviter à Lewis Libby la prison.

L’air est extrêmement vicié dans l’entourage du président George W. Bush. Dans certaines coulisses qui font jouer très fortement les règles des influences occultes, on s’impatiente. Le ton doit être à la clémence. George W. Bush doit intervenir : « Scooter Libby will go to prison six to eight weeks from now, unless President Bush intervenes », écrit John Dickerson, de Slate.com. Libby devra donc se présenter à une prison dans six à huit semaines à moins que ses avocats ne persuadent une cour d’appel de le libérer ou que les pressions soient suffisamment importantes pour que le président Bush le gracie.

Le Monde dresse un portrait peu flatteur de I. Lewis Libby Jr.  : « Spécialiste des questions de politique étrangère et de sécurité nationale, M. Libby affiche un goût prononcé pour les dossiers d’espionnage. Il n’a jamais hésité à appeler la CIA directement, multipliant les demandes sur les armes de destruction massive pour établir des liens entre l’Irak et Al-Qaida. Signe de sa puissance, il avait aussi un titre de conseiller de la présidence et faisait, à l’occasion, des remontrances aux agents de la CIA comme à la presse. »

Au sein de la Maison-Blanche, nous retrouvons un groupe sélect : le White House Iraq Group (WHIG). Ce groupe, au moment de sa création en 2002, avait pour objectif de promouvoir auprès des Américains et des pays alliés le bien-fondé de la volonté du président George W. Bush d’envahir l’Irak. Rappelez-vous la théorie des armes de destruction massive. Selon le White House Iraq Group, la stratégie civile de manipulation de l’opinion américaine ne doit viser qu’un seul but : « La guerre doit avoir lieu ». Parmi les gens d’influence qui évoluent au sein du WHIG, il convient de noter Andy Card (chef de cabinet de la Maison-Blanche), Karl Rove, I. Lewis Libby Jr., Nicholas E. Calio, vice-président des Affaires gouvernementales globales de Citigroup, et quelques autres.

Mais qui est donc la source de cette fuite sur Valérie Plame-Wilson ? Des noms comme Richard Armitage (ex-secrétaire d’Etat adjoint), Karl Rove, Dick Cheney et Lewis Libby Jr. circulent alors dans les officines de Washington. Tous membres du White House Iraq Group (WHIG). Seul Lewis Libby Jr. reconnaîtra avoir détruit la couverture de Valerie Plame-Wilson avec l’autorisation de G.W. Bush et Dick Cheney. Les conséquences sont dévastatrices : Libby sera accusé par le Grand Jury fédéral d’obstruction à la justice, de faux témoignages et de parjure. Il sera reconnu coupable de quatre de ces crimes en mars 2007.

Les conservateurs exhortent en effet le président George Bush d’accorder sa grâce à Libby avant qu’il ne soit incarcéré. Il serait inacceptable, à leurs yeux, de contraindre Scooter Libby de revêtir l’uniforme orange : « It has always been the view among Cheney loyalists and former Bush administration officials who have followed the case closely that the president would never allow Libby to spend a single day in an orange jumpsuit », comme l’écrit Dickerson.

Les éditorialistes du National Review Online sont unanimes sur le pardon qui s’impose dans les circonstances : « President Bush should pardon I. Lewis “Scooter” Libby. The trial that concluded in a guilty verdict on four of five counts conclusively proved only one thing : A White House aide became the target of a politicized prosecution set in motion by bureaucratic infighting and political cowardice. »

Si jamais Libby devait finir en prison : « It would be seen by the religious and policy conservatives as the president abandoning his loyalty virtue for the hedonistic pleasure of political expediency », écrit Mike Allen du site The Politico.

Lewis "Scooter" Libby avait imploré la Cour : « J’ai l’espoir que le tribunal et le jury tiendront compte de ma vie tout entière ». Ce à quoi le procureur Patrick Fitzgerald avait répondu : « Quelle que soit la sanction que vous choisirez de prononcer, elle devra affirmer clairement que c’est la vérité qui compte, pas le statut d’une personne dans la vie ». Le 6 mars dernier, le verdict est tombé :

· coupable de faux témoignage et d’entrave à la justice dans l’affaire Valerie Plame ;

· coupable d’avoir menti au FBI qui enquêtait sur la fuite ayant exposé le nom de Valerie Plame ;

· condamné à 30 mois de prison, à une amende de 250 000 dollars et d’une période probatoire de deux ans.

Le coup est dur à encaisser. Le juge Reginald Walton ordonne à Lewis Libby de commencer à purger sa peine sans attendre l’issue de la procédure d’appel : « Tout le monde est responsable au regard de la loi américaine », estime le juge Reginald Walton, qui, du même souffle, ajoute : « Même si vous travaillez à la Maison-Mlanche, vous devez respecter la loi comme tous les autres Américains ».

Une dizaine de juristes d’infléchir le juge Walton en l’informant que l’appel de Libby était recevable et qu’il devrait, en conséquence, recevoir favorablement sa demande de maintien en liberté. L’honorable juge persiste et signe : il est de son avis que la défense n’a pas montré qu’elle avait des chances de l’emporter en appel. « La preuve de la culpabilité de M. Libby dans ce dossier est accablante », dit-il. Le juge révèle même avoir été harcelé au téléphone avant de rendre son verdict et avoir reçu des lettres menaçant sa famille.

Le président (George W. Bush) se dit très mal pour tout ce que Scooter et sa famille, en particulier ses jeunes enfants, sont en train de traverser. «  Scooter Libby a encore le droit de faire appel, et donc comme par le passé, le président va continuer à ne pas intervenir dans la procédure judiciaire », a déclaré une porte-parole de la Maison-Blanche, Dana Perino. D’aucuns reconnaissent que Lewis "Scooter" Libby n’est pas le dernier venu dans les hautes sphères de Washington. Il ne faut pas par exemple sous-estimer le rôle qu’il a joué dans la prise de décision pour la guerre en Irak est central : c’était Libby qui avait élaboré une vaste étude pour démontrer les raisons justifiant une offensive américaine en Irak. D’un mensonge à l’autre...

Libby pourrait espérer bénéficier d’une grâce présidentielle à la fin du mandat de George W. Bush, en automne 2008. C’est au moins l’hypothèse avancée par plusieurs médias et analystes américains. Il faut rappeler les mots bienveillants du vice-président américain, Dick Cheney, dans cette affaire de condamnation : « En tant qu’amis, nous espérons que notre système (judiciaire) parviendra à un résultat final en conformité avec ce que nous savons de cet homme de bien. » À défaut des résultats attendus du système judiciaire pour cet « homme de bien » qu’est Lewis "Scooter" Libby, il devrait y avoir la grâce présidentielle. Georges W. Bush compte 113 grâces depuis le début de sa présidence, alors qu’en huit ans, son prédécesseur, Bill Clinton, en avait accordé 396. Une de plus ou de moins ? C’est là toute la question.



11 réactions


  • Cris Wilkinson Cris Wilkinson 21 juin 2007 10:26

    GW Bush a toujours fait la bétise à ne pas faire, donc il ne faut pas trop s’inquiéter pour cela, s’il y en a une à faire, il l’a fera.


  • Romain Baudry 21 juin 2007 12:40

    Il me paraît en effet très probable que George W. Bush graciera son ami Libby quelques semaines avant de quitter son poste, lorsque l’opinion publique sera trop prise par l’élection en cours pour y attacher autant d’importance que cela aurait normalement été le cas. Le candidat des Républicains, qui qu’il soit, aura de toute façon pris grand soin de se distancer de Bush et cette grâce ne devrait pas trop lui nuire.


  • Pierre R. Chantelois Pierre R. - Montréal 21 juin 2007 13:04

    @ monsieur Baudry

    Voilà toute la question. Une décision prise à ou vers la fin du mandat de Bush aura-t-elle un impact sur les prochaines présidentielles de 2008 ? La population américaine est particulièrement exacerbée par la perte de ses boys en Irak et par l’étalement des mensonges d’une équipe lourdement handicapée par l’actualité. Maintenant ou plus tard ? Dilemne cornélien pour Bush.

    Pierre R.


    • dom y loulou dom 11 juillet 2007 01:16

      pourtant ô mage... c’est vrais puisque c’étaient déjà les copains de Rumsfeld qui avaient mis Saddam au pouvoir pour combattre Khomeiny en Iran.

      Une guerre désastreuse qui a coûté trente ans de malheurs au moyen-orient. Les massacres d’opposants au régime aussi se faisaient sous la bénédiction d’un pentagone déjà très actif partout et pendant que Clinton jouait du sax avec Eltsine 12 millions de civils mouraient asphyxiés en Irak sous la pression d’un embargo au seul bénéfice des compagnies pétrolières achetant non pas à prix d’or l’huile délictueuse... mais en paniers de riz. Bush et consorts ne peuvent-ils donc une fois dans leur vie envisager d’acheter le pétrole irakien au lieu de le piller ? Avec quel argent me direz-vous. C’est là que tout le bat blesse... mais alors pourquoi les autres nations devraient financer leur guerre ?

      Les familles irakiennes se demandent bien quel crime ils expient.

      Bonne nuit. smiley


  • Avatar 21 juin 2007 19:02

    Une horreur banale et quotidienne difficile à chiffrer. C’est ce qu’a tenté à grands fracas le journal médical britannique The Lancet, selon qui 650 000 Irakiens ont été tués depuis le début de l’invasion américaine en avril 2003, dont 601 000 violemment pour la plus grande partie à la suite de blessure par balle. Une estimation qui dépasse largement toutes celles fournies jusqu’à présent. Le ministère irakien de la Santé estime par exemple à 128 000 le nombre de victimes irakiennes de la guerre.

    À moins d’un mois des élections de mi-mandat, et alors que les Américains placent la guerre en Irak comme leur préoccupation numéro un, ces révélations ont déclenché une véritable tempête politique aux États-Unis. George W. Bush a immédiatement réagi pour démentir l’information. « Je ne considère pas ce rapport comme crédible, le général Casey (commandant des forces multinationales en Irak - NDLR) et les responsables irakiens non plus », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.

    L’étude a été conduite par des médecins de l’université Johns-Hopkins et de l’école de médecine Al-Mustansiriya de Bagdad en collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston, suivant une méthode utilisée au Congo, au Kosovo et au Soudan. « Nous sommes, à 95 %, certains que nous avons la bonne estimation », a confirmé l’auteur de l’étude, le Dr Gilbert Burnhan, de l’université Johns-Hopkins à Baltimore, tout en précisant que l’enquête avait été menée en Irak par des professionnels de la santé auprès de 1 849 familles irakiennes de tout le pays, représentant au total 12 801 personnes et que 87 % des familles avaient pu fournir un certificat de décès.

    Le taux de mortalité s’élève à 13,3 pour mille habitants par an depuis le début de la guerre, contre 5,5 pour mille auparavant. Une progression effrayante. Les auteurs rappellent dans leur étude que « le conflit irakien est l’un des plus meurtriers du XXIe siècle ».


  • Pierre R. Chantelois Pierre R. - Montréal 21 juin 2007 19:17

    @ Avatar

    Données statistiques intéressantes. Par ailleurs, selon un rapport publié à Genève, intitulé « Tendances mondiales en 2006 », le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) indique qu’en 2006, le groupe le plus important de réfugiés relevant du mandat de l’UNHCR était toujours celui des Afghans (2,1 millions), suivi des Iraquiens (1,5 million), des Soudanais (686 000), des Somaliens (460 000) et des réfugiés originaires de la République démocratique du Congo et du Burundi (environ 400 000 chacun). L’augmentation du nombre de réfugiés est due en grande partie à la situation en Iraq, qui a forcé à la fin de l’année 2006 jusqu’à 1,5 million d’Iraquiens à chercher refuge dans d’autres pays, notamment en Syrie et en Jordanie.

    Pierre R.


  • Stephanesh 3 juillet 2007 13:29

    Eh bien maintenant le si est devenu la réalité : Libby est gracié.

    J’espère que le procureur qui l’a fait condamné trouvera une nouvelle raison de l’inculper, voir de casser cette grace présidentielle...


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