lundi 18 juillet 2005 - par Jean-Pierre Cloutier

Haïti : enlèvements et violences onusiennes

Comme le rapportent les grandes agences de presse, Haïti traverse une période de violence sans précédent avec un nombre alarmant d’enlèvements contre rançon. Comme d’habitude, on jette le blâme sur les partisans de Jean-Bertrand Aristide qui voudraient déstabiliser le pays pour empêcher la tenue d’élections prévues pour cette année, et exiger le retour du président dûment élu.

Sans exclure que certains de ces enlèvements soient l’oeuvre des milieux près du président Aristide, en consultant les dépêches de l’Agence Haïtienne de presse (AHP), on peut se permettre de douter que ces actes criminels leur soient uniquement imputables.

En se basant sur des témoignages de personnes enlevées puis libérées, les caractéristiques des enlèvements varient beaucoup. Dans certains cas, elles ont été détenues dans des maisonnettes de bidonvilles, dans d’autres cas dans de luxueuses demeures en banlieue montagneuse de Port-au-Prince. Si des ravisseurs ne parlaient que créole, d’autres ne s’exprimaient qu’en anglais.

Des victimes d’enlèvements ont été transportées dans de vieilles voitures, d’autres dans des véhicules de luxe aux vitres teintées. À cet égard, début juillet, la Police nationale d’Haïti a invité les propriétaires de véhicules à vitres teintées à les faire « déteinter », ce qu’un certain nombre aurait fait.

Des enlèvements ont nécessité la complicité de personnes travaillant dans des banques et institutions financières. Dans un cas, les ravisseurs ont exigé pour rançon une somme importante en dollars US. La victime a dit qu’elle ne disposait pas de cette somme. Les ravisseurs lui ont alors fourni un relevé à jour de son solde bancaire.

Puis, une arrestation effectuée par la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTHA) en a laissé plusieurs perplexes. Tiré des dépêches de l’AHP, « L’arrestation la semaine dernière à Port-au-Prince d’un citoyen haïtien de « bonne famille » pour implication présumée dans de nombreux cas de kidnapping notamment d’étrangers pourrait définitivement effacer le cliché qui veut que tous les cas d’enlèvements soient signés quartiers populaires. Jusqu’à la semaine dernière, la formule toute faite à répéter était la suivante : "kidnapppé à Nazon, Pétion-Ville, Cité Soleil ou Thomassin, direction Bel-Air". Une formule, qui selon beaucoup, aurait pour vocation première de faire de la diversion, fourvoyer les enquêteurs et en même temps justifier et encourager les opérations musclées menées dans les quartiers populaires.[...]

L’arrestation le 23 juin dans les hauteurs de Thomassin d’un certain Jerry Narcius, si c’est effectivement son nom, devrait contribuer à désiller les yeux de plus d’’un. Cette arrestation a provoqué tout un tollé. On a tout de suite entendu des gens réclamer de la porte-parole de la PNH qu’elle dise toute la vérité sur cet individu, qu’elle révèle par exemple son identité, comme on le fait d’habitude pour les quidams. On a réclamé que l’individu soit confié à la police et à la justice haïtienne. On a ensuite, le lendemain à l’Aéroport, accusé la mission onusiennne de vouloir soustraire le Narcius à la police parce qu’il serait un de ses employés.[...]

La Mission a rejeté les accusations selon lesquelles Narcius travaillerait pour elle de même que les rumeurs selon lesquelles il serait de nationalité canadienne. La force onusienne a fait savoir que si elle a décidé de prendre en main le dossier c’est uniquement pour protéger l’individu qui est désormais une pièce importante dans le cadre de la lutte contre kidnapping. On le soupçonne même d’implication dans l’enlèvement de la montréalaise Huguette Goulet. Selon les informations, il aurait même déjà fait des révélations qui pourraient conduire à des gens du même milieu que lui et issus d’autres secteurs... pas n’importe lesquels. »

Depuis, plus rien sur cette arrestation, plus rien sur les enquêtes.

Il semble donc qu’il y ait plusieurs modus operandi pour les enlèvements, trop pour qu’ils ne soient attribuables à un seul secteur. On pourrait établir au moins trois types d’enlèvements selon les motifs des ravisseurs : mouvement populaires violents qui voudraient déstabiliser le pays, mouvements politiques qui ont contribué au renversement d’Aristide et qui se retournent maintenant contre les autorités intérimaires et cherchent à miner leur pouvoir, et individus haïtien ou étrangers qu’on associerait au banditisme pur et simple. D’ailleurs, huit membres de la PNH ont été arrêtés récemment pour leur implication dans des enlèvements.

Puis il y a les violences onusiennes, celles perpétrées par la MINUSTHA, qui ont atteint un sommet inégalé le mercredi 6 juillet. C’est ce jour que 350 soldats de la force onusienne, appuyés par 35 blindés et deux hélicoptères, ont mené une opération dans le bidonville de Cité Soleil à la recherche d’un certain Emmanuel « Dread » Wilmé. Le porte-parole de la MINUSTHA a déclaré que l’opération s’était soldée par la mort de cinq présumés bandits et avait fait quelques blessés. Toutefois dans le même temps, cité par l’AHP, un porte-parole militaire Eloifi Boulbars affirmait que « beaucoup de bandits » avaient été abattus. (Voir aussi AlterPresse, 6 juillet, et communiqué format PDF de la MINUSTHA.)

Le commandant militaire de la MINUSTAH, Augusto Heleno Ribeiro, s’est déclaré « satisfait de l’opération militaire » ayant conduit à la mort de l’activiste Dread Wilmé. Augusto Heleno a fait savoir que l’opération du 6 juillet a été menée pour prouver aux bandits que les forces de l’ordre ont la capacité de rétablir la paix dans le pays. « Nous voulions démontrer aux bandits que nous avons les moyens, la volonté et la puissance qu’il faut pour les mettre en déroute », a-t-il déclaré.

Plusieurs milliers d’habitants de Cité Soleil ont participé le samedi suivant aux funérailles de Wilmé, dont le cercueil couvert du drapeau haïtien était exposé sur la place de Soleil 19. Les milliers d’habitants de Cité Soleil qui ont rendu hommage à Dread Wilmé le présentent comme quelqu’un qui s’est battu en faveur des pauvres de ce bidonville.

Mais toujours selon l’AHP, les images diffusées par des télévisions haïtiennes ont montré que les opérations menées à Cité Soleil en vue de la capture du chef de bande Dread Wilmé « ont été menées sans aucune méthode et de façon indiscriminée, ont fait savoir lundi des représentants de divers secteurs de droits humains. Ces images ont montré une multitude de maisonnettes trouées de balles, des toits de maisons transpercés de haut et des dégâts considérables. Ce qui laisse croire, selon des militants de droits de l’homme que les soldats et les policiers qui ont été impliqués dans cette opération n’ont pas eu de cibles précises, mais ont plutôt frappé les yeux fermés. »

Selon « ... une organisation américaine de droit de l’homme, le Labor Human Right [Labor/Human Rights Delegation, sous l’égide du San Francisco Labor Council] qui se trouvait en Haïti au moment de l’opération de la MINUSTAH[...] pour participer au congrès de la CTH [Confédération des travailleurs haïtiens], de nombreuses maisons, une église et une école ont été atteintes. Des transformateurs de courant ont également été également brisés. Selon le rapport du Labor Human Right, des témoins ont rapporté que des habitants qui tentaient de fuir ont été abattus. D’autres ont été tués à l’intérieur de leurs maisons. Des corps auraient également été emportés par les soldats étrangers, indique encore le rapport du Labor Human Right qui estime que le nombre des victimes pourrait atteindre les 50. » (Voir le communiqué du 9 juillet.)

Le Comité de Défense des Droits des Haïtiens (CDPH) a fait savoir que les opérations du 6 juillet visent à éliminer les pauvres des quartiers populaires. Ronald St-Jean a rappelé à l’élite intellectuelle qu’elle a toujours qualifié de bandits et de sauvages ceux qui luttent pour le changement et la libération du peuple haïtien. « On n’attendra pas 20 ou 30 ans pour voir des hommes et des femmes présenter leur thèse de doctorat sur la vie de Dread Wilmé. »

Guyler C. Delva, secrétaire-général de l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH), a déclaré que la violence est condamnable d’où qu’elle vienne, « Souvent je constate dans mes reportages des corps de citoyens déchiquetés par des balles dans les corridors de quartiers comme Bel-Air, Cité Soleil, des gens qui gisent dans leur sang les tripes dehors et la tête éclatée sans pourtant faire partie des gens recherchés ». M. Delva a souligné par ailleurs que Médecins sans frontières (MSF) avait reçu 27 corps suite à l’opération conduite le 6 juillet dernier à Cité soleil. Trois quarts d’entre eux étaient des femmes et des enfants.

Le Comité des Avocats pour le Respect des Libertés Individuelles (CARLI) a exigé de la Police nationale et de la MINUSTAH, au nom du droit à la vie universellement reconnu, qu’elles donnent des explications détaillées sur les événements du mercredi 6 juillet à Cité Soleil. « Au cours de l’opération menée par la police nationale et la MINUSTAH contre Dread Wilmé, plusieurs membres de la population civile ont été tués et des dizaines de maisons de familles pauvres vivant dans ce bidonville criblées de balles », écrit le CARLI dans une communiqué de presse en date du 10 juillet 2005, envoyé à l’AHP.

Ce jeudi 14 juillet l’ambassadeur de France en Haïti, Thierry Burkard, a salué le courage de la MINUSTAH qui s’est montrée déterminée, a-t-il dit, à aider à mettre un terme à cette violence qui s’est enracinée dans le pays...

En complément d’information, Evidence mounts of a UN massacre in Haiti du Haiti Information Project. Nota : certaines photos pourrait être dérangeantes.



1 réactions


  • Jean Platon Borda (---.---.9.42) 26 septembre 2005 15:29

    Le SPRINT ELECTORAL

    Au début de Juillet 2005, j’écrivis un article qui n’eut pas l’heur de plaire aux éditeurs. Ceux-ci estimaient en ce temps-là qu’il ne glorifiait pas assez le CEP. Il ne le glorifiait certes pas, mais il ne l’éreintait pas non plus. Il reposait sur quatre points fondamentaux qui, malheureusemnt, demeurent d’actualité.

    1.- Les Inscriptions d’électeurs. Un calcul arythmétique élémentaire nous avait conduit à la conclusion que des inscriptions vraiment inclusives nous ameneraient inévitablement en Décembre 2005. 450 bureaux pour environ 4.5 millions d’électeurs, cela fait 10000 par bureau. Chaque électeur prenant 6 à 8 minutes pour remplir les formalités, en une journée de 8 heures soit 480 minutes, un bureau ne peut enregistrer que 60 électeurs. En combien de jours un bureau va-t-il inscrire 10000 électeurs ? 10000/60 = 166.66, soit environ 170 jours, soit à peu près 5 mois et demi. De la mi-juillet où l’on comptait 300000 inscrits, nous voici à la fin de décembre. L’enthousiasme verbal des membres du CEP ne pouvait tenir l’arythmétique en échec : cela se constate malheureusement aujourd’hui.

    Au 20 Septembre 2005, le CEP se gargarise de l’exploit d’avoir inscrit 2.5 millions d’électeurs sur les 4 à 5 millions. On est content ; on s’achemine allègrement vers des élections honnêtes et démocratiques, et surtout inclusives et participatives. De ce CEP imprévoyant et aussi - il faut le reconnaître - gêné à nombre d’entournures, j’avais critiqué et je continue de fustiger l’optimisme irresponsable qui, dans un créole pédant « de français moderne », parle « d’acheminer l’offre de la carte électorale à portée des électeurs potentiels ou de livrer la marchandise au marché des demandes ». Pourtant l’organisme électoral avoue que plus de la moitié des sections communales sont dépourvues de bureaux d’enregistrement. L’évocation des « MOBILES » ne fait qu’introduire la note d’hypocrisie à la partition de la naïveté. Parce que, d’abord, la raison première de l’ostracisme qui frappait ces localités renvoyait à leur inaccessibilité. Par quelle magie sont-elles devenues brusquement perméables ? Parce que, ensuite, on connaît peu de cas efficients de ces déplacements de matériels. Ils arrivent sur les lieux vers 11 heures du matin pour repartir vers 12 ou 13 heures au constat d’un ciel chargé et sous la menaces des crues ou des ravines qui risquent de couper les chemins du retour à la ville. Bref, les 2/3 des sections communales sont exclues des prochaines élections. Et l’on se demande si ce n’est pas délibéré. Car, l’impression qui prédomine, c’est que le CEP lui-même est exclu. Il effectue un sprint éperdu pour ratrapper les décisions abracadabrantes des instances ... tutrices. Des renvois, des prolongations, des improvisations époustoufflantes... pour se ressouder, rien qu’un moment, aux réalités du terroir haitien et couvrir d’un vernis de décence cette forme de démission fôlatre qui nous a valu une formule d’inscription électorale qui répugne aux pays les plus avancés de la planète TERRE. Ne sommes-nous pas finalement contents d’aller bientôt voter avec des reçus ... électoraux : les cartes, avec nos jolies photos, peuvent nous arriver après les joutes. N’est-il pas permis de tout faire aux Haitiens, les parias de la terre, les cobayes de la mondialisation ! ! ! Bref ! ! !

    2.- La gauche a beau jeu. Elle a porté Aristide au pouvoir. On l’aide volontiers à installer au Palais un nouvel échantillon sorti de sa boîte de Pandore. Certains vont jusqu’à constater que là où elle est faible, il n’y a pas de bureau... Pourquoi faire ? Le paysan haitien est conservateur. Il appartient traditionnellement à la clientèle de droite. On ne lui a pas installé de bureau d’inscription. Il est tenu dans les ténèbres extérieures. On va organiser des élections sans la gent paysanne du pays haitien. L’Autre dirait à 50 ans de distance : « Ils sont devenus fous » Quant au prolétariat urbain, il est largement enregistré. Pour bien s’en assurer, on a planifié des fêtes dans les quartiers populeux de la plupart des villes du pays. A une réunion avec le CEP, j’ai entendu un leader de la gauche conseiller vivement au CEP, confronté au déficit sur les listes électorales paysannes, de continuer la pratique des journées électorales. Il savait bien que celles-ci ne visaient point les sections communales, déclarées inaccessibles et dépourvues de toutes les commodités de la civilisation. On avait saisi les sous-entendus de sa démarche. IL avait poussé le cynisme trop loin... La tentative de manipulation était trop évidente. Coq trô fen pa bat ! Le CEP s’est abstenu. Tant mieux !

    3.- A bout de souffle, sous la pression du pouvoir et le forceps de l’international, le CEP accouche d’un calendrier électoral. Un calendrier qui n’est en fait qu’une sèche succession de dates, sans créneau ni ventillation. Totale imprévoyance ! Dans la matinée du 5 Septembre, une voix du CEP apprend à la classe politique que c’est ce 5 que commence la période de dépôt de candidatures. Ah ! Tiens ! ! ! Et les candidats, comme des élèves en retard sur la route de l’école, de se lancer dans le marathon de la quête des extraits, des certificats et des récépissés... Au 21 Septembre 2005, on est encore au stade d’installer les BECs appelés à recevoir, du 12 Septembre au 26, dépôts pour les candidats aux Municipales et Locales. Eux aussi vont devoir courir à toutes jambes, contraints de sauter les haies ou les fourches caudines des déclarations d’impôts exorbitantes. En tout cas, un calendrier est sorti : un véritable miroir aux alouettes vers lequel les candidats, ivres d’ambitions et oubliant tout, sont venus se mirer et se blesser aux éclats de cette glace fragile qui n’a d’autre destin que de se briser. Elections en deux étapes à trois temps : les coureurs auront-ils assez de poumons et de souffle pour accomplir de telles performances olympiques ?

    4.- Des élections qui devraient, dans l’espérance première de tous, nous conduire au bout du tunnel, menacent de nous enfoncer dans une crise bien plus profonde. Les haitiens n’ont plus le courage de prendre leur destin en main, à l’exemple de nos aïeux. Tous les candidats qui ruent dans les brancards de la compétition improbable sont convaincus que les élections, tel que programmées, ne peuvent pas être la panacée à nos maux séculaires. Au lendemain de ces joutes, nous allons continuer à nous entredéchirer sur les barricades de nos préjugés, de nos conflits sociaux, de nos antinomies nationales. Au lendemain, les vaincus s’évertueront à miner la légitimité des gouvernants, et les gouvernants à opprimer les libertés des opposants. Le mal est sans remède, si auparavant nous n’avons pas posé en toute honnêteté les problèmes réels de ce pays, dans des Etats Généraux, ou dans une Conférence Nationale ou dans un Dialogue National, pour l’émergence d’un Nouveau Contrat Social. Ces élections précipitées et opaques nous réservent des malheurs immenses. si au préalable nous ne sommes pas déterminés à faire comme l’Amérique de 1776, la France de 1789, les pays d’Afrique (Bénin, Sénégal, Afrique du Sud...) qui ont surmonté les turpitudes de leur histoire au prix d’un dialogue fraternel franc et sincère. Je ne parle pas forcément de ce dialogue national financé de l’Exérieur et dont les échos parcimonieux nous parviennent, aux pas lourds de sexagénaire, des coulisses feutrées du palais national, au gré des indiscrétions avares des commissions d’initiative ou des comités de pilotage... Je ne parle pas forcément de ce contrat social inondé de la poussière de ces Caravanes de l’Espoir qui sillonnaient nos routes cahotiques en de riches convois de voitures climatisées... Je parle de rassembler les représentants de tous les secteurs du pays en un forum de vérité, où l’on pourrait ensemble et une fois pour toutes vider nos contentieux séculaires, colmater les clivages, initier un processus réel et honnête de réconciliation nationale, élaborer une doctrine de salut public et un programme de régénération nationale imposable à tous et pour une période d’au moins 50 ans. Il faut prendre le temps de se regarder dans les yeux, de se dire les vérités, afin de se donner la main sur les routes de l’avenir. Autrement, nous aurons choisi de laisser des élections bâclées et nos 55 candidats-présidents émietter davantage la société haitienne et nous pousser dans l’abîme. A bon entendeur, salut !

    Jean-Platon BODAR - 21 Septembre 2005. E-mail:jean [email protected]


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