lundi 27 avril 2009 - par Yannick Harrel

Humiliés et offensés : chapitre Russe à l’OMC

Irrité. C’est ainsi que le Président Russe a entendu faire passer le message quant à l’étude particulièrement allongée de la candidature de son pays à l’OMC lors d’une conférence de presse effectuée avec son homologue Chilienne Mme Bachelet le 4 avril dernier.


L’entrée de la Fédération de Russie au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce est devenue avec le temps un des nombreux sujets de fâcherie avec les occidentaux tant les revers ont été nombreux et les espérances douchées. Assez symptomatique en effet que bien qu’étant membre du G8, la Russie n’est toujours pas acceptée au sein de l’OMC malgré un dépôt de candidature effectif depuis… juin 1993 !

Bien évidemment, cet entêtement ne serait pas d’actualité si des retombées positives n’étaient attendues par la qualité de membre. La première et principale d’entre elles serait une plus grande ouverture des marchés étrangers aux produits Russes, permettant d’entrevoir à la fois des bénéfices conséquents en matière d’exportation (bien que la part des énergies fossiles reste trop conséquente et sujette à la variation capricieuse des cours comme récemment) et une consolidation de l’excédent de la balance commerciale [1]. L’autre bénéfice attendu concernerait l’afflux soutenu de capitaux étrangers, pour autant que ces derniers ne s’immisceraient pas parmi l’un des quarante-deux secteurs stratégiques [2] visés par le législateur Russe. Pousser les portes de l’OMC, c’est aussi la garantie de pouvoir bénéficier d’un règlement des différends par la constitution d’un groupe spécial dont les participants sont choisis par les parties en conflit, et non imposés par une tierce entité (sauf si blocage persistant). 

Cependant, avant de recevoir il convient de donner, et les gages de bonne volonté réclamés à la partie Russe ont été nombreux. Face à ces obligations, le pouvoir Russe a du louvoyer lors des négociations pour d’une part satisfaire et garantir des avancées substantielles dans les domaines ciblés tout en rassérénant les acteurs économiques touchés par de telles concessions. Avec comme bémol le soutien financier au secteur de l’agroalimentaire : à hauteur de 182 milliards de roubles d’aides pour cette année [3], le gouvernement Russe refusant de céder sur ce point. Il est vrai que la crise actuelle fragilise la santé économique de nombreuses entreprises, et que le risque d’une asphyxie du secteur primaire serait une situation éminemment risquée pour les autorités. Pour mieux faire accepter cette position intransigeante, il n’est pas interdit d’émettre que la Russie par ses représentants consentira à reculer sur d’autres points d’achoppement, comme par exemple les taxes sur l’exportation de bois rond.

L’entrée dans l’OMC en sus de son importance économique aurait dans le même temps une résonance géopolitique. Oeuvrer à l’intérieur d’une instance internationale permet d’une part de mieux suivre les dossiers en cours comme d’autre part de peser sur les décisions envisagées (l’efficacité restant toutefois subordonnée au facteur humain). C’est là tout le principe de l’entrisme. 

Le souhait premier de Boris Eltsine fut de ne pas laisser la Russie sur le bord de la route de la prospérité et de l’ancrer à l’occident tout en tirant un trait définitif sur l’économie communiste [4]. Cahin-caha, cette volonté se perpétua sous les mandats de Vladimir Poutine avant d’être transmis fort logiquement à Dmitri Medvedev : de l’idée originelle du premier Président de la Fédération de Russie à ses successeurs, l’intérêt de l’adhésion aura certainement évolué en fonction des relations avec les pays occidentaux mais aura surtout mis en exergue le relatif esseulement du pays et la nécessité de reconstruire une diplomatie plus active et efficiente.

Le groupe de travail de l’institution présidée par Stefan Johannesson [5] aura un lourd poids sur les épaules car le message délivré par la présidence Russe semble suffisamment comminatoire à dessein de mettre le holà à une attente qui n’a que trop duré. Attente d’autant plus mal acceptée que l’Ukraine qui souffre des mêmes problèmes structurels a été cooptée au sein de la communauté en mai 2008. Cela eut d’autant moins l’heur de plaire à Moscou que le dossier Ukrainien avait été déposé plusieurs mois après celui de la Russie.
En dépit de toutes ces avanies, Dmitri Medvedev, considéré comme un libéral parmi l’élite au pouvoir souhaite persévérer et prolonger la demande initiale opérée par Boris Eltsine.
Point encourageant : le nouveau Président Américain semble convenir pour une approche plus constructive avec la Russie ces dernières semaines, laissant la porte ouverte à tout abandon d’obstruction sur ce dossier.

Reste qu’en période de crise, au moment où les paradigmes érigés en dogme par l’OMC volent en éclat, il n’est pas encore certain que l’adhésion au sein de celle-ci soit une garantie efficace en matière de sécurité économique pour la Fédération de Russie. Paradoxalement, la crise économique mondiale pourrait plutôt tendre à en accélérer le processus d’entrée en ces temps où à l’instar du sommet du G20 à Londres les principaux dirigeants mondiaux souhaitent se concerter pour juguler au mieux les effets dévastateurs du phénomène. Réponse en mai à Genève.


[1] L’année 2008 aura vu à partir d’octobre une baisse du solde positif de la balance commerciale de l’ordre de 4,7%, établissant ce dernier à 11,931 milliards de dollars.
[2] Dossiers transitant désormais par une commission gouvernementale de contrôle des investissements étrangers selon les modalités de la loi fédérale n°57-FZ du 29 avril 2008.
[3] Tel que l’annonça Elena Skrynnik, ministre de l’agriculture le 23 mars 2009.
[4] La thérapie de choc initiée sous les gouvernements Gaïdar puis poursuivie plus mollement sous Tchernomyrdine et Kirienko participa à cette ambition selon les recommandations d’experts occidentaux de transformer radicalement et sans transition la société Russe en économie de marché jusqu’à l’épilogue malheureux de la crise de 1998.
[5] Le groupe de travail comprenant outre M. Johannesson (Islande), MM. Kare Bryn (Norvège) et W. Rossier (Suisse).


13 réactions


  • vienzy 27 avril 2009 10:27

    Pour ma part, je suis pour l’adhésion de la Russie, (comme du proche-orient : Turquie, Syrie, Liban, Israël , Georgie, Arménie (Azerbaïdjan ?).. ) à l’Union Européenne.

    Pas tout de suite, bien sûr, mais ce sera un important ancrage démocratique


  • moebius 27 avril 2009 11:00

     faudrait voir le poids e l’ancre parce que si c’est trop lourd ça ne s’apelle plus un ancrage. Pourraient commencer a manifester leur intention de respecter les regles élementaires du droit international et partager éventuellement un ensemble de regles communes ect..mais l’OMC n’est pas l’EU ; Vous avez mis un point d’interrogation a Azerbaidjan, j’avoue avoir moi aussi du mal a la situer géographiquement commençons donc au moin à la situer avant de l’intégrer... et éspérons que le chef d’état de cette grande démocratie ne s’énerve pas trop


  • John Lloyds John Lloyds 27 avril 2009 11:08

    Il faut dire que le groupe de ShangaÏ commence sérieusement à pourrir la vie de l’OMC, notamment depuis qu’il vise à s’affranchir du dollar, d’autant qu’il devient question que l’Iran, simple observateur actuellement, y entre.

    On sait que ce sont les US qui ont droit divin de décision d’admission d’un candidat à l’OMC, au-delà des apparences : « la présentation des exigences américaines par la bouche de pays tiers est une pratique traditionnelle dans la politique des Etats-Unis ». Les états-unis n’avaient pu faire autrement que de faire entrer la Chine à l’OMC en 2001, il convenait de la caresser dans le sens du poil en regard des montagnes de dollars qu’elle achetait, ils ont même pour cela consenti à souffrir de nombreux contentieux.

    Il n’en est pas de même pour la Russie, car les inévitables contentieux que créerait l’entrée de la Russie n’aurait aucune contrepartie. Un simple boulet n’interesse pas les US qui entendent poursuivre leur petites affaires entre amis. Si la Russie doit entrer dans l’OMC, cela ne se fera qu’avec l’arrière pensée américaine de plomber l’OCS qui devient fort encombrante. L’administration américaine ne fait rien qui n’aille dans ses intérêts.

    merci pour cet excellent article.


    • manusan 27 avril 2009 16:33

      La Chine a versé 100 milliards au FMI qui partent déjà à fond perdu en Europe de l’est. Mais elle ne se sent pas humiliée et offensée pour autant, si c’est le cas elle a pas intérêt à le montrer.


  • erdar 27 avril 2009 11:20

    Merci pour l’article Yannick,

    Je regarde de près la Russie et vous êtes une très bonne source d’information.

    Comme le dit John LLoyds, l’OMC est une organisation américaine et il faudrait voir cette adhésion selon les désidérata de la politique USA.

    Pour info, la Turquie et Russie ont décidés de payer les échanges commerciaux avec la devise du pays (quelque banques ont commencé à utiliser cette initiative), ce qui ne doit pas faire plaisir aux ricains. Je crois que c’est une demande de la Russie que les Turcs ont naturellement accepté (premier partenaire économique quand même).

    Au plaisir de vous relire et encore merci pour l’article.

    Salutation

    Erdal


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 27 avril 2009 16:18

      Bonjour Erdar,

      Merci pour vos félicitations et votre fidélité à mes articles.

      Je dois vous avouer qu’il y a une troublante ressemblance entre les Etats Russe et Turc (ce qui ne les a pas empêché de se taper dessus les siècles précédents) : ce sont des pays en marge de l’Europe, s’étant européanisés sur le tard et ayant un pied (enfin plutôt un doigt de pied en proportion du territoire global) sur le continent Européen et l’autre sur le continent Asiatique. Laïcs tous les deux mais avec une forte religiosité au sein de la majeure partie de la population et enfin une prégnance certaine des services de sécurité au sein des postes du pouvoir. Du reste, les deux pays se connaissent d’autant mieux qu’outre les guerres incessantes pendant les derniers siècles pour la possession de la Crimée, des Balkans et du Caucase, ils avaient une frontière commune jusqu’en 1991.

      Récemment la Turquie bien que membre de l’OTAN a déclaré avec insistance vouloir acquérir du matériel militaire Russe (des missiles S-400 destinés à devenir la charpente de protection aérienne intégrée de l’union Biélorussie-Russie). On peut bien sûr envisager la volonté d’en acquérir pour le compte de l’OTAN afin de le faire décortiquer par les ingénieurs occidentaux (réro-ingénierie) mais cela peut aussi être une démonstration de l’intensification des échanges perceptibles depuis un an déjà.

      Et puis n’oublions pas Blue Stream...

      Cordialement


    • ASINUS 27 avril 2009 16:31

      bonjour mr harel que pensez vous des appel du pieds de certain dirigeants israelien en direction de moscou et de probable achat croisé de materiel militaire entre les deux pays
      la russie envisageant l achat de drone a israel par exemple


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 27 avril 2009 16:50

      @Asinus

      Bonjour,

      Déjà au sortir de la dernière confrontation Russo-Géorgienne, l’ambiance était très lourde dans les relations Israëlo-Russes notamment par la découverte de matériel sophistiqué dans les armées Géorgiennes et de la présence sociétés privées de sécurité comprenant de nombreux conseillers militaires).

      Passé le temps d’une certaine rancoeur, les militaires ont du très certainement averti le pouvoir que les drones Israëliens méritaient d’assouplir la position afin de permettre l’acquisition de quelques uns. D’autant que les expériences Russes dans le domaine n’ont pas donné de probants résultats (source : Mikhaïl Babitch, délégué à la Douma pour les questions de la Défense).

      Les relations Israëlo-Russes sont très ambigües, compliquées par une très forte minorité juive en provenance des pays de l’ex-URSS (1/4 de la population trouve-t-on souvent comme estimation) et des liens cordiaux avec les adversaires d’Israël (Syrie, Iran).

      Cordialement


  • ASINUS 27 avril 2009 11:36

    apres s etres joyeusement essuyés les pieds sur l empire sovietique moribond
    apres l avoir soigneusement encerclé territorialement en s achetant des vassaux « nous
    inclus » apres s etres offert un porte avion terrestre « usskossovo » les yankee emmerdent
    economiquement la russie ces cons s en foutent c est l’europe qui est a portée des pognes de maitre Ursus, dans le meme temps les usa poussent a la pertes d un noyau européen consistant et homogene en exigeant l integration de la turquie, notre minicaudillo en étant lui a l intégration un enieme etat mafieux j ai nommé l albanie.
    Juste comme ça il est juste et bon le nouveau chef de l empire US , pourquoi donc
    meme un ane comme moi à la sensation qu il nous veut tout sauf du bien ?


  • antseb 27 avril 2009 20:57

    Bonjour Yannick, merci pour l’article.

    Mais je pense que vous oubliez une chose dans votre article c’est que pour qu’un pays comme la Russie adhére à l’OMC, il faut l’accord de ces états menbres. Gageons donc que la Géorgie état menbre de l’OMC s’y oposera en raison de ces tensions avec la Russie au sujet des 2 états autoproclamés Ossétie du Sud et Abkhazie. D’autres pays le peuvent aussi. Qu’en pensez-vous ?

    Enfin je suis pas convaincu que la Russie y gagnera beaucoup à cette adhésion en raison de son industrie viellissante qui ne fera pas le poids face à l’industrie en général plus moderne de l’occident dans ces échanges économiques. Cela risque d’entrainer pas mal de conflit sociaux liés aux licenciement

    Bien à vous.


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 27 avril 2009 21:28

      Bonjour,

      Effectivement l’entrée à l’OMC exige du pays candidat qu’il se conforme à un dogme (celui du libre-échange) et qu’il résolve les différends économiques le liant avec d’autres membres par des approches bilatérales. Or le souci c’est lorsqu’il y a une mésentente durable avec un membre qui d’une part ne porte pas dans son coeur le futur pays candidat et d’autre part lorsque les Etats-Unis usent de ce différend pour allonger les discussions. Je conçois que cela peut passer pour une théorie du complot mais le fait est que des pays aux structures économiques moins solides que celle de la Russie sont déjà parties prenantes au sein de l’enceinte et que la Chine est par exemple sempiternellement brocardée pour l’étendue industrielle de la contrefaçon sévissant dans le pays.

      Deux poids deux mesures ? Je suis enclin à le penser foncièrement.

      Ensuite, comme je l’exprime en conclusion je me demande si effectivement l’intérêt pour la Russie d’y entrer est tout aussi conséquent en pleine crise économique à l’heure où celle-ci fait s’effondrer les économies occidentales et non-occidentales comme un gigantesque jeu de dominos. D’autant que désormais les autorités Russes privilégient un cloisonnement matiné de subventions quant à certains secteurs économiques pour leur éviter de trop grosses secousses pouvant aboutir à de sérieux troubles sociaux.

      Cordialement


  • Hieronymus Hieronymus 27 avril 2009 23:21

    @ l’auteur
    si je vous suis bien, le fait que la Russie soutienne son agriculture serait un obstacle a son adhesion a l’OMC ?
    Avec comme bémol le soutien financier au secteur de l’agroalimentaire : à hauteur de 182 milliards de roubles d’aides pour cette année [3], le gouvernement Russe refusant de céder sur ce point.
    si j’ai bien compris ce que vous exprimez ci-dessus, je dirais que c’est vraiment un comble qd on sait a quel point l’UE et les USA subventionnent leur propre agriculture, les subventions d’etat allant parfois jusqu’a constituer pres de 50% du revenu des agriculteurs ds certains cas !
    pouvez vous m’eclairer sur ce point ?
    cordialement


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 28 avril 2009 00:19

      Bonjour,

      Disons que c’est actuellement l’une des demandes pressantes de la commission chargée d’élaborer un document cadre acceptable pour tous les autres membres de l’OMC. Et l’une de ces recommandations est justement l’abaissement des aides agricoles. Reste à déterminer effectivement la part de mauvaise foi dans cette demande insistante lorsque comme vous le rappelez fort-à-propos l’UE ou les EU ne sont guère avares de coups de pouce dans ce domaine.

      Seul hic, l’agriculture extensive héritée de l’Union Soviétique (sovkhozes et autres kolkhozes) est d’un poids social énorme en Fédération de Russie. De fait, toucher à ce secteur primaire est éminemment risqué, surtout à un moment où la crise mondiale peut servir d’adjuvant aux révoltes sociales. Début avril à la douma il a été réaffirmé qu’il était hors de question de toucher aux aides agricoles. Au moins c’est clair...

      Remarquez tout n’est pas triste à l’OMC, j’apprécie par exemple énormément le différend intitulé Mesure antidumping provisoire appliquée aux importations de macaronis et de spaghettis en provenance du Costa Rica. 

      Cordialement


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