lundi 4 août 2008 - par Le Taurillon

Int�gration : un succ�s europ�en, un �chec africain. Mais pourquoi ?

L’Europe et l’Afrique ont entam� leur processus d’int�gration � la m�me �poque – 1951 et 1957 pour la premi�re, 1963 pour la deuxi�me [1]. Les deux avaient les m�mes buts pour leurs peuples : prosp�rit�, paix et droits sociopolitiques.

Cependant, un demi-si�cle plus tard, on ne peut que constater que si les Europ�ens ont bien avanc� � tous �gards, il n’en va pas pour autant pour les Africains. A tel point que cette �cart de r�ussite semble �tre devenu normal aux yeux d’un grand nombre d’observateurs.

Mais il n’y a rien de normal � cela.

Alors, pour quelles raisons l’Afrique n’a-t-elle pas r�ussi � suivre le mod�le d’int�gration harmonieux sugg�r� par l’Europe tout au long de la deuxi�me moiti� du XXe si�cle ?

�clatement �conomique…

Une premi�re explication serait qu’alors que le r�gionalisme �conomique a permis d’augmenter le poids �conomique de la Communaut� europ�enne sur la sc�ne internationale, l’Afrique n’a pas eu acc�s � cette possibilit�. En fait, non seulement l’Afrique a-t-elle �t� ravag�e par le fardeau du post et du n�o-colonialisme, mais elle est essentiellement demeur�e divis�e sur le plan �conomique a l’�chelle continentale – au point qu’aujourd’hui le continent ne compte pas une, mais treize unions �conomiques.

De plus, malgr� les �normes sommes d’argent que l’Afrique a re�ues au fil des ans, les �tats africains n’ont jamais b�n�fici� d’une initiative telle que le Plan Marshall et ses structures de gestion, comme ce fut le cas pour certains des �tats d’Europe de l’Ouest. Bien au contraire, l’Afrique a longtemps servie de cobaye pour des politiques d’aide au d�veloppement aussi instables qu’infructueuses.

… et violences end�miques h�rit�es…

Une autre sombre illustration du manque d’int�gration africaine se trouve dans les �ruptions presque continues de violence qui ont lieu sur le continent africain et qui s’inscrivent en contraste avec la « communaut� de s�curit� » qu’est devenue l’Union europ�enne, au sein de laquelle la guerre a non seulement disparue, mais est devenue quasi-inimaginable.

L’origine de cette diff�rence se trouve, au moins en partie, dans le pass� colonial des politiques ethniques et du d�coupage des fronti�res en Afrique, que les nouveaux �tats ind�pendants ont malgr� tout accept� de pr�server en 1964 au nom du principe de stabilit�.

Le probl�me est que cette d�cision – prise par l’Organisation de l’unit� africaine (OAU) – a men� � une interpr�tation trop z�l�e du concept de souverainet� par beaucoup de leaders africains qui pr�f�rent encore aujourd’hui se cantonner � des interventions post hoc pour le maintien de la paix plut�t que de se soumettre � des ing�rences diplomatiques entre pairs.

M�me si la peur fort r�pandue de l’h�g�monisme r�gional (provoqu�e par l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’�thiopie) explique en partie cette approche sous-optimale de la s�curit�, on comprend �galement ais�ment que l’absence d’une menace ext�rieure – du type de celle de l’Arm�e rouge en Europe au temps de la guerre froide – a pu nuire aux efforts potentiels de coh�sion militaire au plan continental en Afrique.

… emp�chent toute solidarit� continentale

Force est donc de constater que, dans un tel contexte, le processus d’int�gration africain n’a pu apporter ni respect des droits individuels ni compr�hension supranationale de la d�mocratie ni extension r�gionale de quelque forme de soft power, � la diff�rence de l’Union europ�enne ces derni�res ann�es.

Le premier point � prendre en compte est que la promotion du respect des droits de l’homme est difficile dans n’importe quel contexte r�gional. M�me en Europe, elle fut complexe et lente. Ainsi, m�me malgr� sa reconnaissance internationale, la Cour europ�enne des droits de l’homme (CEDH) – pour ne prendre qu’un exemple – est aussi connue en Europe pour le manque de respect des �tats membres vis-�-vis de ses d�cisions.

C’est la raison pour laquelle la Cour de justice des Communaut�s europ�ennes – les comp�tences de laquelle se limitaient initialement aux diff�rends �conomiques – en est arriv�e � jouer un grand r�le sur le plan des droits de l’homme. Grâce � ses d�cisions, la Cour a connu un grand succ�s en promouvant les droits des femmes, des travailleurs et des immigr�s au cours de trois derni�res d�cennies. Et ceci malgr� l’absence d’un mandat explicite pour ce faire. C’est parce que les Etats membres de l’UE s’�taient habitu�s � respecter toutes les d�cisions de la Cour qu’ils se sont �galement engag�s � respecter ses d�cisions en la mati�re, et ce en fort contraste avec les �checs pr�c�dents de la CEDH.

En Afrique, cela n’a jamais �t� le cas. Non seulement la Cour africaine de droits de l’homme est-elle encore tr�s jeune (elle fut cr��e en 2004), mais, tout comme son homologue europ�enne, sa voix peine � se faire entendre par les dirigeants africains. Dans ce contexte, une �ventuelle fusion de la Cour avec le courant dominant qu’est la Cour africaine de justice pourrait – esp�rons-le – amener � la m�me symbiose que l’Europe a connue il y a longtemps.

En somme, ce fut le vorace app�tit g�ographique des leaders africains qui s’av�ra �tre le plus grand « handicap » � leurs ambitions int�grationnistes

Quant � la cr�ation d’une d�mocratie supranationale � l’�chelle continentale, du type de celle promue par le philosophe allemand J�rgen Habermas, les espoirs demeurent tr�s minces compte tenu de l’absence du respect des principes d�mocratiques dans de larges parts de l’Afrique, m�me au niveau national. D’autant que l’absence d’effet de boule de neige partant du si�ge de l’Union africaine � Addis-Abeba vers les villages les plus recul�s de l’Afrique d’aujourd’hui n’est pas une surprise compte tenu de l’approche intergouvernementale peu prometteuse de l’UA � ce jour.

Au final, sans doute l’une des plus graves explications de la faiblesse de l’int�gration africaine est-elle le choix des �tats-membres de l’OUA puis de l’UA de ne pas adopter le pourtant bien utile principe de conditionnalit� qui aurait pu servir de bâton et de carotte diplomatique pour de nouveaux entrants. Au contraire l’OUA a-t-elle pr�f�r� opter pour une politique d’adh�sion la plus vaste possible et ouverte � tous les �tats africains d�s sa cr�ation, ce qui ne lui a pas permis de se transformer en un « empire » normatif comme a pu le faire l’UE.

En somme, ce fut le vorace app�tit g�ographique des leaders africains qui s’av�ra �tre le plus grand « handicap » a leurs ambitions int�grationnistes.

Un tournant n�cessaire

Jean Monnet a un jour d�clar� que « les hommes n’acceptent le changement que dans la n�cessit� et ils ne voient la n�cessit� que dans la crise ». Le probl�me est que l’Afrique est confront�e depuis des d�cennies � la n�cessit� du changement et � ses crises. Et pourtant, peu de transformations, pourtant n�cessaires, y ont �t� op�r�es.

Certains avanceront non sans raison que le but principal de l’OUA n’�tait pas l’int�gration du continent, mais plut�t d’apporter aux �tats africains, fra�chement ind�pendants, un sentiment de coh�sion contre le colonialisme. Dans ce sens, le processus d’int�gration africain n’a commenc� qu’en 2002 avec la cr�ation de l’Union africaine.

D’autres ajouteront qu’il aurait �t� difficile pour les Africains de bâtir � la fois de nouveaux Etats et une institution supranationale ambitieuse en seulement cinquante ans, alors qu’il fallut plus de huit si�cles aux Europ�ens pour n’en faire – que partiellement – de m�me.

Aujourd’hui, cependant, l’int�gration continentale para�t �tre � l’horizon de l’ambition d’une majorit� des peuples et des leaders d’Afrique. Pour y parvenir, ils devront surmonter la majorit�, sinon l’ensemble des obstacles mentionn�s ci-dessus.

[1] Sommet d’Addis-Abeba des 21 au 26 mai 1963

Illustration : carte coloniale des colonies hollandaises sur le continent africain.

Cet article a �t� publi� � l’origine sur le blog WhatYouMustsRead.blogsport.com.

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