Kenya : une démocratie qui réveille toujours les vieux démons du tribalisme
Les Kenyans se posent toujours la question du bien-fondé de la démocratie dans leur pays quand ce sont toujours les personnes sans appui ni moyens qui paient de leur vie et sont victimes des violences qui mettent fin à tout ce qu’elles ont bâti durant toute leur vie sans le concours du gouvernement. Cette fois-ci, c’est allé trop loin : des milliers des déplacés et des centaines de morts victimes de leur appartenance tribale ou ethnique pendant que les quartiers huppés, toutes tribus confondues, ne s’émeuvent guère de ces soubresauts politiques qui ressemblent de plus en plus aux règlements de compte entre les Kenyans les plus pauvres.
Les scènes de violences dans les bidonvilles et villages du
Kenya, ressemblent étrangement à celles des bidonvilles de Township et de
Soweto pendant l’époque de l’apartheid où le pouvoir minoritaire blanc attisait
les haines entre tribus noires majoritaires pour asseoir son pouvoir. Sauf
qu’au Kenya, ce sont les Noirs contre les Noirs, pour le compte de leurs
leaders politiques kenyans, transformés en ce moment en chefs tribaux et
claniques. Et pour une fois, les Blancs ne sont pas mis en cause.
Le Kenya, un pays qui devient en l’espace d’une semaine le
centre du monde, non par ses réserves animalières, mais par les violences,
presque comme venues d’ailleurs. Et pourtant, depuis les élections truquées,
comme prétendent les observateurs internationaux, ayant vu la victoire de
l’actuel président Muai Kibaki, au détriment de Raila Odinga, les cendres ont
fait renaître le feu et cette fois-ci l’eau a débordé du vase et le pays voit
venir, peut-être, une guerre civile sur fond de bidonvilles de Nairobi et des
grandes villes du pays.
Une démocratie obligée depuis La Baule en France en 1990 où
les aides devraient être conditionnées aux efforts fournis en matières
d’ouverture démocratique.
Le Kenya, pays divisé en grands groupes tribaux, des Kikuyu,
aux Njaluo ou Luo en passant par le Kalanjin et d’autres tribus marginalisées
comme les Masaï. Le pays dirigé par les Kikuyu, sous Jomo Kenyatta depuis son
indépendance, suivi par les Kalanjin, sous Daniel Arap Moi suivi de Moai
Kibaki, un autre Kikuyu ; le pays s’est tissé un ensemble des groupes ethniques
qui se partagent et luttent pour le pouvoir politico-économique. Le pouvoir
politique, véritable tremplin pour accéder au monde des affaires. Chaque
tribu ou ethnie attend toujours son tour pour accéder à diverses fonctions
politiques et économiques afin, dit-on, de faire évoluer leurs communautés
respectives. La gestion des biens publics comme le port de Mombassa, les aéroports
répartis dans tout le pays, la gestion de la faune et de la flore, des grandes
concessions de thé ou café ont été et restent toujours sous l’influence de
l’oligarchie politique. La classe d’entrepreneurs avisés du Kenya sort de
cette oligarchie politique qui ne cesse de se combattre pour avoir la mainmise
sur le pouvoir économique. Les nombreux immeubles qui poussent comme de petits
pains à Nairobi, des nombreuses concessions de terre réparties dans la vallée du
Rift et Eldoret sont propriétés de cette oligarchie. En dehors des Indo-Pakistannais, devenus Kenyans et ayant bâti une grande partie de leurs
richesses de leurs propres forces ou grâce aux fonds de la diaspora indienne et
pakistanaise répartie à travers le monde ; les Kenyans de couleur ou de
souche ne seraient pas en mesure de justifier la provenance de leurs immenses richesses,
tirées en grande partie d’une corruption présente dans divers secteurs
d’administrations publiques.
Pendant les périodes électorales, les différents leaders
politiques, originaires des principales tribus du pays, disposent des réserves
immenses des voix dans ces bidonvilles et au fin fond des villages pour secouer
le spectre du tribalisme et de l’exclusion afin de gagner les élections. Des
leaders souvent adorés et adulés dans leurs régions d’origine, où leurs
discours et messages, font échos jusqu’au petit paysan du coin. Des leaders
qui souvent sont absents des préoccupations de leurs électeurs, une fois au
pouvoir. Une grande partie des Kenyans constitués des laissés-pour-compte dans
un pays habitué au modèle anglo-saxon de vivre et laisser vivre, du libre
échange et de libre liberté d’entreprendre. Les plus vulnérables, majoritaires
dans toutes tribus confondues, cèdent de plus en plus aux sirènes et mirages
promis par les leaders tribaux en leur promettant la construction d’écoles,
l’assainissement des quartiers, la lutte contre la délinquance et le banditisme,
l’accès aux micro-crédits inexistants pour cette population naturellement
entreprenante. L’appartenance tribale avec leurs leaders, doublée des
promesses bidons, ravivent les espoirs éphémères pendant ces périodes
électorales et tournent parfois au drame en cas d’échec, comme aujourd’hui.
Les morts et blessures graves se comptent maintenant par milliers dans les
quartiers pauvres. Mais, les quartiers huppés, composés des familles riches et
issues des diverses ethnies d’Eldoret, de Nairobi et de Mombassa ne s’émeuvent
guère puisque ces genres de problème n’arrivent qu’à ces pauvres nourris de
faux espoirs et déçus une fois les élections passées. Le Kenya est un pays
assis sur une poudrière à long terme, malgré les trompeuses apparences de
stabilité pour attirer les investisseurs et touristes étrangers dans le pays.
Le pays se meurt en silence où les intérêts d’une infime minorité clanique, secoue
le spectre démocratique, pour accéder au partage de la richesse du pays et les
populations peuplant les bidonvilles sont transformées en pont de passage pour
cet eldorado. Et il est souvent difficile de faire comprendre au citoyen moyen
de ne pas céder aux messages de ces dirigeants, parce que les divisions
tribales sont tellement ancrées dans son subconscient qu’il serait incapable de
comprendre à quel point est-il manipulé. Des politiciens vicieux qui constatent
à quel point les manipulations peuvent basculer dans des horreurs jamais vues
dans le pays. Un pays modèle de stabilité, le Kenya commence à basculer pour
devenir un pays à haut risque pour les Occidentaux. La célèbre chanson du
groupe jamaïcain BonyM, Jambo Bwana, Kenya yetu hakuna matata,
qui veut dire « Bonjour Monsieur, chez nous au Kenya, il n’y a pas de
problèmes », chanson connue dans le monde entier et reprise dans les textes
du téléfilm allemand Le Destin de Lisa qui passe sur de nombreuses
chaînes occidentales n’est plus d’actualité. Ce pays connu pour son
banditisme de ville et ses vols sur les passants, pour ses mendiants allongés
le long de cortèges des touristes, ne pourrait-il pas commencer à se poser la
question de ce que la population vit et de ce que le monde voit dans les écrans de télévision : des Kenyans qui tuent d’autres Kenyans, une sorte de prélude à la guerre civile
ou la guerre civile elle-même. D’ailleurs, leurs voisins ne cessent de se
demander sur cette forme de malédiction récurrente qui s’abat sur les pays de
Grands Lacs.