vendredi 11 octobre 2019 - par Infos d’Algérie

L’Algérie face à la dérive autoritaire

La séparation des pouvoirs est une problématique cruciale en contexte algérien. Il s’agit en réalité d’un principe chimérique qui n’existe que pour être bafoué. Du temps de Bouteflika, le pouvoir exécutif avait tendance à damer le pion au pouvoir législatif ainsi qu’au pouvoir judiciaire. Après la montée en puissance du général Gaïd Salah à la suite de la chute de Bouteflika, le paysage politique a subi une profonde mutation qui a permis au pouvoir militaire de refaire surface et de prendre le contrôle de tous les arcanes de l’Etat.

De toute évidence, une nation forte, stable et souveraine requiert une justice indépendante, consciente et responsable. Or, l’appareil judiciaire se veut le parent pauvre des institutions algériennes. Instrumentalisé de bout en bout, son rôle se réduit à justifier les abus de pouvoir décrétés d’en haut.

Pourtant, au tout début du soulèvement populaire du 22 février 2019, les magistrats se sont engagés publiquement à respecter et à faire respecter la loi, toute la loi, rien que la loi. L’on se rend compte à présent que cet engagement n’a pas été tenu. Plusieurs dizaines de militants pacifiques se trouvent actuellement en prison pour des motifs qui, selon les avocats de la défense, ne nécessitent aucunement le recours excessif à la détention provisoire.

Des arrestations de plus en plus sélectives

Il est clair que l’Algérie traverse depuis presque huit mois une période exceptionnelle, inédite jusque-là. Ainsi que l’attestent leurs revendications, les Algériens aspirent à une rupture historique salvatrice. Une rupture qui soit à l’origine d’un changement profond, d’un changement vers le mieux et vers le meilleur. La gestion d’une pareille situation implique en principe de l’écoute, de la patience et surtout de la sagesse de la part des décideurs. Il se trouve que ces qualités ne figurent pas dans les agendas officiels.

Depuis le 21 juin dernier, le corps de sécurité et le corps des magistrats travaillent en parfaite symbiose. L’un opère des arrestations sur le terrain et l’autre donne à celles-ci une dimension « légale ». Le simple fait de descendre dans la rue pour manifester pacifiquement constitue désormais un délit et non plus un droit consacré par le législateur algérien.

Du point de vue chronologique, la première vague d’arrestations a touché les porteurs du drapeau amazigh. Ils ont été écroués pour « atteinte à l’unité nationale ». Pourtant, en tant que symbole culturel et identitaire, le drapeau amazigh prône la réconciliation avec soi, avec son histoire et avec sa géographie. Il n’a aucune connotation sécessionniste susceptible de froisser le sentiment patriotique.

La deuxième vague d’arrestations concerne des figures d’opposition, dont le franc-parler dérange les tenants du pouvoir. Malgré son âge avancé, malgré son état de santé fragile, malgré son parcours remarquable en faveur de l’indépendance de l’Algérie, Lakhdar Bouregaa est le premier à avoir été jeté en prison pour ses opinions qui divergent avec la feuille de route du commandement militaire. Il a été accusé d’ « atteinte au moral de l’armée ». Karim Tabbou, Samir Belarbi et Fodil Boumala ont, eux aussi, payé en septembre dernier les frais de leur implication active dans le mouvement populaire en cours. Ils ont tous été placé en détention sur la base de dossiers vides.

Dans le même temps, de nombreuses organisations de la société civile ont vu leurs militants se faire priver de liberté. C’est le cas par exemple d’une dizaine de jeunes activistes de l’association RAJ. L’acharnement policier et judiciaire s’amplifie au moment même où de nombreuses voix appellent à l’apaisement. Le dérapage est là, visible et palpable.

Depuis le début du mois d’octobre, les intimidations ciblent de plus en plus les journalistes et les blogueurs soucieux de dire la vérité, y compris la vérité qui dérange. Beaucoup d’entre eux ont eu à subir des arrestations arbitraires en plein exercice de leur métier et des interrogatoires interminables. Même leur matériel a, maintes fois, fait l’objet de saisie. Certains bureaux de presse ont carrément été fermés et mis sous scellés. De l’autre côté, les médias qui diffusent de la désinformation continuent de sévir dans l’impunité la plus totale.

La répression s’abat aussi sur les étudiants, dont les manifestations hebdomadaires du mardi font peur au pouvoir en place. La journée du 8 octobre 2019 a été la plus épouvantable jusque-là. La police a fait usage de la force contre des étudiants et des étudiantes qui rêvent d’un avenir meilleur dans leur pays et pour leur pays. Encerclés, pourchassés, brutalisés, embraqués dans des fourgons cellulaires et emprisonnés, voilà comment sont traités les enfants de ce pays.

Une répression aveugle… et inutile

La répression est aveugle, pour ne pas dire sauvage. Parmi les détenus politiques, il existe des personnes âgées, des malades chroniques, des pères de familles et des jeunes hommes sur le point de se marier. Atteint d’un cancer, Bilal Ziani a vécu le supplice en prison puisqu’il a été contraint, sur décision du tribunal, de rater sa séance de chimiothérapie programmée pour le 23 septembre dernier. L’injustice ne pourrait pas avoir un visage plus abominable que celui-là.

Décidément, les slogans et les images du Hirak effraient le régime en place. La répression est dictée par l’impératif de survie. Elle est ordonnée par des décideurs déroutés par l’ampleur de la contestation. Il ne suffit pas d’avoir le monopole de la violence, de la désinformation et de la manipulation pour venir à bout d’un mouvement populaire aussi compact. La stratégie martiale adoptée progressivement par le commandement militaire ne fait qu’exacerber la crise. Le peuple est source de toute légitimité. Se dresser contre lui est une si bien mauvaise idée.

Les élections présidentielles du 12 décembre prochain est le dernier rempart derrière lequel se réfugient les hommes du sérail. Le maintien de cette date est pour eux une question vitale. Il s’agit d’une opération qui a pour objectif de doter le régime en place d’une façade civile à travers un président discret et docile. Mais le peuple est conscient de la manœuvre. Et il fera tout pour la déjouer en exerçant simplement sa souveraineté et sa citoyenneté à travers la contestation pacifique. Loin de décourager qui que ce soit, les interpellations et les faux procès ont un effet mobilisateur incroyable au sein de la société. La peur a déjà changé de camp.



5 réactions


  • zygzornifle zygzornifle 11 octobre 2019 13:47

    Ouais on devrait organiser les jeux olympiques de dictature .....


  • Furtive Sentinelle Furtive Sentinelle 12 octobre 2019 17:56

    L’Algérie n’a besoin que d’un scenario à l’égyptienne. C’est triste mais c’est ainsi...

    Du jour de la proclamation de l’indépendance à maintenant, le peuple n’a pas bronché, aucune révolte contre Ben Bella et tous les autres potentats Boumediene, Bouteflika et aucun soutien à ce malheureux Boudiaf.

    En plus avec la baisse de la manne pétrolière, l’économie achève son cycle profitable avec tous les problèmes sociaux qui vont surgir dans un avenir proche...


  • Jonas 12 octobre 2019 20:14

    Il est quand même extraordinaire ! Sur ce site d’AgoraVox , un grand nombre d’intervenants sont arabo-musulmans , qui donnent leurs avis et leurs opinions sur tout , critiquent tout. Aucun pays occidental ne trouve grâce a leurs sans parler de leur objet de choix israël.

    En revanche , dès qu’un contributeur aborde les échecs et les faillites des pays arabo-musulmans , avec ses conséquences , sur l’immigration et les conflits internes . et externes . ils courent tous aux abris .

    Ils font comme ces trois singes de la sagesse. 

    Ils ne voient rien

    Ils n’entendent rien

    Ils ne disent rien. qui 

    Ou, alors c’est leur  conditionnement pavlovien qui est un frein et ,

    ne leur permet pas de réagir, quand le nom d’un pays arabo-musulman apparaît. Les réflexes , ne sont pas aiguisés pour cela . 

    Même un éminent contributeur de ce site, qui intervient souvent , pour ausculter la situation du monde et ses avatars politiques , m’a sidéré en me répandant lors d’un échange , que les affaires de son pays , ne l’occupaient pas, tant que ça , lui, dit-il est attiré davantage pour les cimes. 


  • AmonBra QAmonBra 14 octobre 2019 08:21

    Merci @ l’auteur pour le partage.

    Oui la justice est toujours aux ordres en Algérie, mais il me semble qu’en France elle est encore loin d’une véritable indépendance, ce ne sont pas les gilets jaunes qui me contre diront.

    Oui le système se raidit en Algérie, car la ploutocratie a compris que le Peuple veut un nettoyage en profondeur des écuries d’Augias, dont la période Bouteflika n’est que le dernier avatar.

    Oui les violences policières sont là, mais après plus de 30 semaines de manifestations hebdomadaires, le record français du nombre d’estropiés à vie pour la même durée n’est pas près d’être battu, quant à la performance de la soldatesque $ioniste à l’encontre des manifestants palestiniens, continuité logique de son comportement à l’égard des combattants du hezbollah, on est là dans le hors concours de type « yahwehien », donc circulez rien à comprendre. . .



  • Albar Albar 14 octobre 2019 14:07

    ’’ Du point de vue chronologique, la première vague d’arrestations a touché les porteurs du drapeau amazigh. Ils ont été écroués pour « atteinte à l’unité nationale ». Pourtant, en tant que symbole culturel et identitaire, le drapeau amazigh prône la réconciliation avec soi, avec son histoire et avec sa géographie. Il n’a aucune connotation sécessionniste susceptible de froisser le sentiment patriotique. ’’ 

    Ce qui n’est pas vrai, les vieux n’ont jamais connu ce drapeau, il est bien l’oeuvre de Jacques Benet.

    https://www.alterinfo.net/Jacques-Benet-proche-de-l-OAS-inventeur-du-mythe-berbere-pour-detruire-l-Algerie_a143312.html


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