L’ex-Yougoslavie face à son passé...
Il aura fallu treize ans pour que la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire des Nations unies, commence hier à La Haye les audiences publiques dans la plainte accusant Belgrade de « génocide » pendant la guerre en ex-Yougoslavie (1992-1995).

Treize longues années pour lancer une procédure après une plainte déposée en 1993 par les Musulmans bosniaques (sous Tito les citoyens de la petite république balkanique avaient obtenu en 1971 le droit d’utiliser ce qualificatif avec un M majuscule pour définir leur nationalité sur leur passeport. On était indifféremment "Bosniaque" ou "Musulman", qu’on soit musulman ou pas finalement.). Qu’attendre de cette instruction ? Sans doute la reconnaissance d’un drame humain encore trop largement incompris par la plupart des européens, qui décidément ne voient pas toujours ce qui se passe sous leurs fenêtres. Après tout, Sarajevo n’est qu’à 1500 km de Paris, à la verticale de Florence, moins loin que Naples. Deux heures d’avion tout au plus... Pas beaucoup plus loin qu’Ajaccio finalement. Pourtant ce conflit nous a semblé tellement lointain...
C’est sans doute cet éloignement qui a permis ces actes ignominieux que furent,
pour prendre les plus symboliques, le siège de Sarajevo, le plus long siège de
l’histoire de la guerre moderne, ou le massacre de Srebrenica. Il est difficile
de se représenter ce que fut réellement ce siège de 1350 jours (faites le
calcul...) et ce que furent les conditions de (sur)vie des habitants dans cette
cuvette entourée de batteries d’artillerie et fermée par la tristement célèbre Sniper
Alley, la seule voie de sortie de la ville, qui, comme son nom l’indique, n’avait
rien d’un parcours de santé. Pour info, on m’y a appris qu’un sniper touchait sa
cible à 3 km... Une (sur)vie rythmée par 329 impacts d’obus quotidiens en
moyenne, avec un record de 3777 impacts d’obus pour le 22 juillet 1993.
Mais tout cela reste abstrait... Aujourd’hui, si vous vous baladez dans les rues
de Sarajevo, vous ne remarquerez peut-être rien de prime abord. Et puis vous
les verrez. Ces petites stèles de pierre, bancales, dans les jardins publics,
au bord des terrains de foot, dans les parterres de fleurs... Des stèles sous
lesquels les habitants enterraient à la va-vite leurs morts, la nuit, en
compagnie d’un imam, dans les seuls endroits de terre meuble qu’ils pouvaient
trouver, par peur des balles fatales des snipers.
Alors, génocide ou pas ? Le plus important est de se souvenir que l’homme est
décidément capable des plus grandes saloperies, et que ses voisins sont capables
de la plus grande surdité. Une surdité qui est aussi le signe que de telles
atrocités sont si inconcevables conceptuellement qu’on ne peut les comprendre
sans les vivre. C’est bien cela qui permet leur survenance. C’est aussi pour
cela qu’un tel procès est important.