mercredi 9 juin 2010 - par Montagnais .. FRIDA

La Chine face à ses handicapés

"Je suis né avec un bégaiement assez féroce. J’étais la risée des enfants à l’école. J’ai vécu la honte, le mépris, j’avais peur de m’exprimer. Je devais trouver un autre langage. Ce fut la peinture. Si je n’avais pas exercé mon talent pour trouver ce moyen de communication, je serais devenu muet. Mon handicap a été le moteur de ma réussite !"

Aujourd’hui, nos regards se tournent vers la Chine, ce pays près de 18 fois la France en superficie, avec une population qui avoisine 1.4 milliard d’habitants. Quant aux interrogations que notre citation en exergue ne peut manquer de provoquer, patientez..

L’image que nous avons de la Chine, assez négative parfois, fondée sur des a priori séculaires, nous conduirait à penser que le monde du handicap ne constitue pas une priorité pour les autorités du pays, que "la mentalité chinoise" ne se porte guère au secours des problèmes des autres... citons Chine Informations : « Pendant plus de 1 000 ans, les mères chinoises ont enveloppé les pieds de leurs filles de bandages serrés afin de les rendre aussi petits que possible. Ces pieds déformés ont longtemps symbolisé pour l’Occident la barbarie et l’exotisme chinois. »

Pas si simple donc ! D’emblée se pose l’abyssale question des définitions et des interprétations. Au hasard de nos recherches, loin d’un quelconque travail épistémologique, quelques surprises se révèlent, de nature à bousculer suffisamment les idées sommaires... Notons que la pratique des pieds bandés est totalement interdite désormais.

L’essentiel de l’article que vous lisez provient de trois sources : l’une constituée d’entretiens avec des relations professionnelles ou d’amitié vivant et travaillant en Chine, ou y voyageant assez fréquemment, l’autre, et c’est une évidence, de recherches sur l’Internet. La troisième est faite d’une expérience personnelle, autour de Yan Pei-Ming notamment.

Impossible de ne pas trouver, dès les premières explorations, la Fédération Chinoise pour le Handicap, ’China Disabled Persons’ Federation’, avec son site en Anglais à http://www.cdpf.org.cn/english/.&nbsp ; Les chiffres sont impressionnants ! On y lit par exemple qu’en 2007, par le biais de quelques programmes d’aide spécialisée, c’est près de 54 millions de personnes handicapées qui ont pu bénéficier de services d’assistance en tous genres. En matière de protection juridique, fin 2007, on dénombrait 2677 centres d’accueil spécialisés, en charge de plus de 20 000 actions en justice pour violation de droit des handicapés.

Mais en Chine, les chiffres sont toujours impressionnants. Monsieur Wang Xinxian, le directeur général de la CDPF, à confirmé récemment (17 mai 2010) que le pays comptait 83 millions d’handicapés. Encore faudrait-il s’interroger sur les définitions, nécessaire prudence posée en introduction. Il a souligné que la moitié des handicapés en état de travailler ne parviennent pas à trouver un emploi. Phénomène encore aggravé pour les populations où ce taux passe à 65%.

La citation en tête de l’article est de Yan Pei-Ming, « handicapé célèbre », vous avez pu le deviner. « Né dans une famille ouvrière de Shanghai, Yan Pei-Ming a grandi dans l’ambiance de la guerre civile de la fin de la Révolution culturelle. En 1980 il arrive en France… ». Une biographie complète de l’artiste se trouve sur Wikipedia. Yan Pei-ming a exposé à Cluny il y a à peine un an : « Il est très symbolique qu’aux écuries de Saint Hugues, à Cluny, ce Manhattan de l’An 1000, on ait pu visiter l’exposition de peinture de Yan Pei-Ming : de gigantesques dollars peints de sable et d’argent, dont la trame se mêle à la représentation de chefs de cadavres avancés, de même émail.. ».
Cet article évoquant Yan Pei-Ming a été publié sur Agoravox, il suffit de mette « Yan Pei-Ming Cluny Manhattan » dans google pour le voir apparaître en première position. « la risée des enfants à l’école », le handicapé du bégaiement féroce vend désormais le moindre de ses tableau à plus de 150 000 dollars.

Une situation très contrastée :

a) - Les efforts considérables, mais insuffisants, du gouvernement

Les efforts consentis par les Chinois, en même temps que leur sens de l’innovation et les applications technologiques déployées au service du handicap, sont reconnus par les instances internationales, comme en témoigne par exemple un courrier du haut commissaire des Nations Unies à son homologue chinois, Madame Zhang Haidi.

« Tout au long de mon séjour, j’ai été favorablement impressionnée et j’ai maintes et maintes fois rencontré des gens aimables et bien informés, dans les secteurs public et privé. Les visites que nous avons faites dans les centres d’accueil des personnes handicapées ont été commentées de la façon la plus approfondie, la plus claire, en toute transparence. Le champ de vos recherches, l’utilisation des dernières technologies et vos initiatives pour assurer l’égalité des droits pour les personnes handicapées illustrent pour moi l’importance que vous accordez à l’action dans votre approche du domaine du handicap. »

Le 18 mai 2010, selon un article de l’Agence Chine Nouvelle (Xinhua) : BEIJING, 18 mai - La troupe d’artistes chinois handicapés (China Disabled People’s Performing Art Troupe) a rendu hommage à la scène du Théâtre Majestic. Créée en 1987, la Troupe des artistes handicapés de Chine rassemble des artistes déficients visuels, auditifs, mentaux, et moteurs, ou souffrants de troubles du langage. Cette troupe, porteuse des espoirs et des rêves des personnes handicapées, a parcouru la Chine et les cinq continents.

En 2007, le Directeur général de l’UNESCO, M. Koïchiro Matsuura, a remis à la China Disabled People’s Performing Art Troupe (Troupe des artistes handicapés de Chine) le titre d’Artiste de l’UNESCO pour la paix, lors d’une cérémonie qui s’est tenue à Pékin. La nomination de la Troupe en tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la paix vient récompenser son engagement à surmonter le handicap grâce à la musique et aux arts de la scène.

Le 10 mai 2010, une cérémonie à lancé la semaine d’action pour les handicapés dans le cadre de l’Exposition Universelle de Shanghai, exposition qui abrite, pour la première fois de son histoire, un pavillon des handicapés. A cette occasion, le pianiste aveugle Sun Yan a pu faire la démonstration de ses capacités et de son talent, pendant qu’un groupe d’artisans handicapés travaillait devant un public ébloui par leur savoir-faire.

Le président de l’Association chinoise des non-voyants, Li Zhijun, a indiqué lors de son discours que toute la société accorde désormais une plus grande attention à la cause des handicapés, un progrès qui traduit une aspiration à une société plus civilisée et plus juste. On l’écoute :

« Grâce aux activités de ce pavillon, les gens se rendent réellement compte des difficultés que rencontrent les handicapés dans leur déplacement et dans leur vie quotidienne à cause des imperfections physiques. En outre, et ce qui est encore plus important, ces activités nous exhortent à formuler un nouveau concept à l’égard des handicapés et à travailler pour créer un environnement social caractérisé par l’égalité, l’entraide et l’affection. Je souhaite que mon vœu soit exaucé dans un proche avenir ».

Mais monsieur Wang Xinxian, le directeur général de la CDPF, en appelle aux autorités gouvernementales pour qu’elles accroissent encore leur aide et développe des programmes à la hauteur des besoins actuellement non satisfaits. Selon Claude L, revenu récemment d’un voyage d’affaire en Chine, il n’est pas rare de voir, surtout dans les régions reculées du pays, des handicapés apparemment livrés à eux- mêmes, sans abri, mendiants, seuls avec leur handicap. Les chinois ont un sens de la pudeur différent de celui qui prévaut actuellement autour de nous. Cracher dans la rue est un comportement assez courant, se soulager dans ce que nous prendrions pour une insupportable promiscuité ne gêne personne, vivre à plusieurs dans une même pièce est encore très fréquent... Le handicap ne se cache pas et on ne le cache pas, sauf peut-être le handicap mental qui, en raison de possibles ressemblance avec des comportements délinquants, semble isolé – c’est un euphémisme – de la sphère publique. 

Situation contrastée donc, difficile à appréhender en raison des composantes cachées de la politique de gestion du monde du Handicap.

b) - La difficile réussite des ONG

Les déclarations officielles, quel que soit le crédit qu’on puisse leur accorder, parviennent mal à cacher une situation de profondes difficultés. Nombre de résidents étrangers habitant en Chine s’emploient à aider du mieux qu’ils peuvent des ONG, nationales ou internationales, engagées dans des programmes d’assistance aux enfants défavorisés et/ou handicapés. Ces ONG, plus nombreuses qu’on ne le pense, sont généralement portées à bout de bras par des volontaires locaux qui réalisent souvent des miracles, et ce dans une indifférence officielle quasi totale.

Il est vrai que la taille du pays et l’immensité des besoins en matière de soins aux handicapés rendent la tâche des autorités chinoises particulièrement ardue. La carence quasi généralisée des pouvoirs locaux en matière sanitaire et médicale transfère en fait aux ONG laïques ou d’inspirations religieuses présentes sur le terrain la responsabilité de s’attaquer à ce problème qui ne fait qu’empirer.

Généralement tolérées, pratiquement jamais financées localement, ces ONG s’attèlent avec un courage indescriptible à des tâches incommensurables avec une énergie qui soulèverait des montagnes. Innombrables sont les exemples de projets menés dans des conditions acrobatiques par des « aventuriers de l’espoir » comme certains se plaisent à les appeler. A condition de rester discrètes, de ne faire aucun prosélytisme d’aucune sorte, de se fondre dans l’environnement local, ces ONG construisent - souvent dans l’anonymat le plus total - des pôles d’espoir, de charité et de vie.

Toute initiative devant faire l’objet d’une autorisation officielle, la vie quotidienne de ces ONG est souvent ponctuée par toutes sortes d’incidents caractéristiques provoqués par des administrations pointilleuses, ambitieuses, indélicates ou désorganisées... Le chemin est donc long, semé d’embûches ; les progrès fragiles se gagnent pas à pas..

Parfois des communautés d’expatriés s’organisent pour apporter leur concours à un projet précis : concours matériel et financier, présence humaine, réseau de soutien à l’étranger. C’est le cas de l’Association Bethel qui soutient un programme lancé par deux jeunes - Guillaume et Delphine Gauvain - arrivés en Chine il y a 7 ans. Ayant de l’expérience dans le travail humanitaire, ils cherchèrent les groupes de personnes nécessitant une aide urgente et ne recevant pas d’aide précise. Il s’est avéré qu’il n’y a aucune organisation chinoise s’occupant d’enfants orphelins aveugles. Bethel était née...

Des cas comparables à celui de Bethel se comptent aujourd’hui par centaines en Chine. Malheureusement le contexte sociopolitique local décrit ci-dessus leur interdit souvent d’atteindre le niveau de visibilité qui leur permettrait d ‘obtenir un plus large soutien.

Ecoutons encore l’une d’entre elle :

« Quelques-uns des membres de notre organisation furent envoyés en mission en Chine de façon à déterminer comment nous pourrions étendre et améliorer le champ de nos interventions. Au cours de leur voyage, ils ont notamment rencontré « Petite Fleur de Chine », une œuvre de bienfaisance catholique dirigée par un Américain d’origine, Brent Johnson.

Mon objectif a déclaré Brent, c’est de promouvoir une culture de la vie par l’intégration et le travail et, pour ce faire, de donner une voix aux enfants abandonnés, livrés à eux-mêmes. 

Chaque année, c’est plus de 30 millions de bébés qui naissent en Chine. La politique rigoureuse d’encadrement de la natalité, la réglementation quasi répressive ( même si elle est en train d’évoluer doucement ), en tout cas très dissuasive en matière d’adoption font que nombre de nouveau-nés sont abandonnés. Les enfants qui naissent handicapés en pâtissent encore plus que les autres.

L’action de China Little Flower permet de sauver quelques enfants, de leur donner le minimum.

Une citation de l’Internet également : « L’Église de Chine - aussi bien les communautés "officielles" que "non-officielles" - est fortement engagée sur le plan de l’action sociale. Bien qu’elle dispose de moyens limités, elle a fait construire des dispensaires et de petites cliniques dans les villages de montagne les plus reculés, ainsi que dans les campagnes. Des religieuses chinoises soignent des malades du sida et des lépreux ; elles ont ouvert des dizaines d’orphelinats pour enfants abandonnés. Elles soignent des handicapés physiques et mentaux. Tout ceci est fortement apprécié dans la société chinoise contemporaine.. »

Début mai 2010, un événement illustre parfaitement le rôle des ONG en relation avec la Chine et son monde du handicap : Une Association de femmes de diplomates de la Communauté de développement d’Afrique australe vient de faire un don de plus de 350 000 yuans (soit près de 50 000 €) à des organisations caritatives pour aider les Chinois les plus vulnérables.

« Sous le thème "le handicap n’est pas l’incapacité", ce fonds a pour but d’améliorer les conditions de vie des orphelins et handicapés ».

L’année2010 commémore, en Chine et en France (à l’Institut Ricci) le 400e anniversaire du « jésuite du XVIème siècle qui nous a ouvert les portes de la Chine ». L’occasion de rappeler que l’implantation pacifique de grandes communautés chrétiennes en Chine s’enracine dans un passé lointain. 

Je remercie mes amis qui, à partir de leur expérience acquise durant leurs années passées en Chine, m’ont permis de donner à cette article quelques couleurs de la réalité.

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A voir :

De Dijon, on connait la Moutarde.. Et Ming : http://www.lexpress.fr/informations/de-dijon-on-connait-la-moutarde-et-ming_722097.html (d’ou nous avons extrait une citation)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/cluny-manhattan-yan-pei-ming-rome-61976

L’Atelier Yan Pei-Ming : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/cluny-manhattan-yan-pei-ming-rome-61976

Treasures gather in French Pavilion for Shanghai Exp : http://news.xinhuanet.com/english2010/china/2010-04/27/c_13269489.htm

Les femmes aux petits pieds : http://www.chine-informations.com/guide/chine-pieds-bandes_1344.html (l’image est une citation graphique de Chine Information)



2 réactions


  • asterix asterix 9 juin 2010 18:19

    Lorsqu’on parle d’handicapés principalement mentaux, la Chine est en avance car le système repose sur une entité séculaire : la famille !
    Mais c’est vrai que si on n’en a pas...


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 9 juin 2010 19:25

    Evident Asterix, évident, mais on va pas changer la « civilisation occidentale » en la dénonçant seulement , avec le visage qu’elle a pris actuellement.. Autant essayer de convertir Satan-le-grand en prétendant lui faire une leçon de morale.

    A propos, on demandait à Gandhi :

    - Que pensez vous de la civilisation occidentale Maître ?

    (Un temps de réflexion..)

    - La civilisation occidentale ?.. Tiens, ça serait une bonne idée !

    Le modèle généralisé, c’est le footeux à 7 millions de dollars le mois, le « financier » à 70 millions le mois, le chanteur a autant, le politique un peu moins, mais quand même, pour prix de sa collaboration avec l’industrie de la réclame et le règne tout puissant du Spectron..

    Gauche-droite à l’unisson.

    Alors, la famille, le social, le handicap, l’affection, la solidarité, l’entraide..

    Reste une chance très-mince : que l’hypothèse marxiste - ou celle de l’Aquinate - n’en soit vraiment qu’ à ses débuts. Mais je vous égare..

    Evident la famille « séculaire »


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